La très belle brune aux yeux bleus, Gaïa Germani est l'une de ces étranges beautés qui hantèrent un temps les écrans. Ces créatures affichant une élégance désabusée et sensuelle qui allait d'ailleurs également très bien en couverture de VOGUE ou de PLAYBOY.
Il semble que le règne de ces étranges se soit achevé avec la belle Clio Goldsmith.
Gaïa vint au monde le 30 Août 1942, divin accomplissement d'une histoire d'amour follement romantique. Sa mère, une Française de noble ascendance, épouse d'un noble sicilien avait estimé plus distingué et meilleur au teint d'attendre la fin de la guerre au soleil plutôt que dans le dernier métro ou dans une file pour des tickets d'alimentation. Elle mit donc sa petite fille au monde à Rome. Capitale tout aussi tourmentée mais plus ensoleillée. Hélas, alors que la divine enfant n'a encore que six mois, son père se tue dans un accident de voiture à l'âge de 33 ans.
Son épouse, évaporée en diable se retrouve veuve avec deux enfants. Gaia et son grand frère. Cette créature superbe et peu faite pour affronter les aléas d'une vie si ce n'est organiser des plants de table pour des dîners de 40 couverts fera bien entendu de son mieux mais les avoirs fondront comme neige au soleil.
Lorsque Gaïa a dix-huit ans, on vend les dernières propriétés familiales. La jeune fille qui hésitait entre "lettres et philosophie" ou "Physique et Mathématiques" s'entend dire sur un ton navré qu'elle peut choisir ce qu'elle veut à condition de...pouvoir le payer elle-même!
La jeune fille en question n'avait pas attendu que le garde manger soit vide et avait déjà travaillé pour la mode et les romans feuilletons dont la vogue est alors inouïe en Italie. Comme elle avait, ca tombait bien, étudié également un peu d'art dramatique, elle n'eut pas de mal à dégoter un agent qui accepta de s'occuper de ses intérêts.
C'est lui qui va la placer sur un casting que fait le jeune Georges Lautner en Italie. Dès que le réalisateur français aperçoit la belle Gaïa, distinguée et très réservée, semblant sortie tout droit d'un défilé Courrèges alors que toutes les autres actrices singent Silvana Pampanini ou Marilyn Monroe, il l'engage immédiatement.
Gaïa avait déjà, il est vrai tourné un film" Hercule au Centre de la Terre" ou elle jouait une Médée sans doute en stage de spéléologie en visite chez Christopher Lee lorsque le choix de Lautner s'abattit sur elle.
Gaïa découvrit donc la France. Hélas, le film de Lautner est probablement ce qui a existé de pire dans le cinéma des années 60, à part peut-être "Les Don Juans de la Côte d'Azur...Et encore! Le film met en scène une Martine Carol crépusculaire et marquée par les épreuves aux prises avec un Francis Blanche complètement hystérique. Le tout saupoudré de l'ineffable talent de Félix Marten
La chose était si mauvaise qu'elle fut triturée par les distributeurs, sortit à la sauvette dans des cinémas de quartier et il semble que personne n'ait songé à sauvegarder une seule bobine de l'œuvre. Au grand soulagement de Georges Lautner lui-même.
Seul le titre était à la hauteur de l'ensemble: "En plein cirage".
Le cinéma ne tirera rien de ce naufrage en mer de vulgarité sur les côtes de l'ennui. Lautner fut néanmoins satisfait du travail de Gaïa et celle-ci ne lui garda pas rancune.
Ce qui leur permettra plus tard de collaborer à nouveau sur "L'oeil du Monocle".
En attendant, la presse potinière fut mieux servie que les très rares spectateurs. On montra beaucoup les photos de Martine Carol "finie" et de Gaïa Germani, la nouvelle "beauté" qui allait disait-on, enfoncer à coups de talon aiguille le couvercle du cercueil de Martine chérie.
La "Belle" en question manqua hélas à la fois de chance mais aussi de discernement comme de pugnacité. Avec une régularité confondante, elle cumula un nombre assez considérable de niaiseries plus que navrantes
Avouons que ce n'est pas "Bang-Bang" avec Sheila en vedette qui allait lui sauver le prestige.
Qui de plus est, elle ne se tint jamais à un plan de carrière bien défini.
On lui avait dit de trouver du travail pour payer ses études, c'est ce qu'elle faisait!
Elle tournait deux ou trois films vite faits, ensuite rentrait sagement à l'université ou pire encore pour son agent, entrait en retraite dans un monastère quelconque où elle était bien entendu injoignable.
L'Italie rappela bientôt sa superbe ressortissante. On en avait assez à Cinecitta que l'on parle de Gaïa Germani comme d'une actrice française.
Elle revint, paisible, tourna des films pour quelques metteurs en scène de prestige, mais cette fois encore, un autre écueil freinait sa carrière au pays natal.
Elle avait laissé en France une Martine Carol au bord du gouffre et rentrait en Italie pour donner la réplique à Gia Scala qui elle était tout au fond du même gouffre. De tels spectacles avaient de quoi impressionner les jeunes âmes, faire réfléchir sur les destinées d'actrices et quelque peu freiner les ambitions.
Miss Germani ne trouvait rien de drôle aux comédies italiennes qui l'ennuyaient à périr et refusa d'en faire alors même que leur vogue battait son plein et qu'on en tournait à la chaîne.
Ce fut non!
Elle laissa Sophia Loren et Gina Lollobrigida continuer dans cette voie sous la houlette pourtant inspirée de Vittorio de Sica.
Elle fit également de la télévision, histoire de voir comment c'était. Mais après dix ans du métier d'actrice, bardée d'une foule de diplômes, elle souhaita tourner la page.
Nous étions en 1971. N'aimant pas froisser ses amis, elle daigna tourner jusqu'en 1975 puis secoua sur le cinéma la poussière de ses sandales Pucci et vaqua à d'autres occupations, plus insaisissable encore que l'autre G.G.: Greta Garbo.
Gaïa s'est éteinte le 20 février 2019 dans sa chère Rome. Elle avait 76 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1961: Hercule au Centre de la Terre: Avec Leonora Ruffo, Reg Park et Christopher Lee
1962: En Plein Cirage: Avec Martine Carol, Francis Blanche et Félix Marten
1962: Le Triomphe de Robin des Bois: Avec Gia Scala et Don Burnett
1962: L'Oeil du Monocle: Avec Paul Meurisse et Elga Andersen
1963: A Toi de Faire Mignonne: Avec Eddie Constantine et Elga Andersen
1964: Il Castello dei Morti Vivi: Avec Christopher Lee et Donald Sutherland
1965: OSS 117 Opération Fleur de Lotus: Avec Dominique Boschero, Sandro Moretti et Yoko Tani
1965: I Complessi: Avec Alberto Sordi
1967: Bang-Bang: Avec Sheila, Jean Yanne et Brett Halsey
1974: Seduzione Conjugale: Avec Rosario Borelli et Gabriele Tini