MARION HUTTON
- Céline Colassin
- 16 mars
- 7 min de lecture

Marion Hutton fait incontestablement partie ce ces fratries d’artistes dont le souvenir s’est dissous dans l’ombre d’un frère ou d’une sœur bien plus célèbre. Car qui se souvient aujourd’hui que Fernandel et Danielle Darrieux avaient un frère, Carmen Miranda et Michèle Morgan une sœur. Des frères et des sœurs artistes, comme eux. Marion Hutton avait une sœur elle aussi. Sa petite sœur Betty Hutton!
Le 10 Mars 1919, Marion Thornburg vient au monde à Battle Creek dans le Michigan au sein d’un couple qui ne s’entend déjà plus très bien. Lorsque sa petite sœur Elizabeth vient au monde deux ans plus tard, c’en est trop pour le père de famille qui déserte au premier jupon un peu affriolant qui passe. Des années plus tard, en 1939, on apprendra son suicide.
Restée seule avec ses deux petites filles, la jeune mère de famille doit trouver mille solutions pour survivre et nourrir ses deux enfants. Elle va étrangement trouver le salut grâce à la…prohibition! Elle ouvre un bars clandestin chez elle où elle vend de l’alcool et tant qu’elle y est prend même les paris.

Une vie marginale commence pour la petite famille. Régulièrement il y a descende de police, fermeture du bar. On détale dans un autre état, une autre ville et on recommence. Les deux petites filles grandissent dans une ambiance toute relative de films de gangsters et trouvent cela…Tout à fait palpitant et vont bientôt mettre la main à la pâte. Elles vont jouer les attractions chantantes dans les speakeasy de maman. La plus grande a cinq ans, la plus petite, trois!
Tout cela peut nous sembler bien « risqué » aujourd’hui. Au temps de la prohibition, les speakeasy n’étaient pas fréquentés par n’importe qui. L’alcool de qualité était un alcool de contrebande passé en fraude depuis le Canada et coûtait cher. Ce n’était pas dans les moyens de n’importe quel traine-savate. En outre les adresses de bars clandestins s’échangeaient sous le manteau et la clientèle était souvent formée d’un réseau d’habitués. Ici des industriels, là des politiciens. Là encore le gratin du théâtre ou du cinéma. Et si ce n’était l’aspect clandestin qui rendait tout cela plus grisant encore, ces bars étaient nettement mieux fréquentés que les rues.
Bien des années plus tard, lorsque le succès aura frappé à la porte de la petite famille, l’époque des speakeasy restera pour toutes les trois un excellent souvenir du « bon vieux temps ».
Un jour qu’elle arrivent dans une ville escortées par la police comme toutes personnalités importantes, Betty Hutton lance à sa mère assise à côté d’elle dans la limousine « Tu as vu, maman, la police est devant nous! » et sa mère: « Pour une fois! » Il faut laisser cette justice à la mère de Marion et Betty Hutton, des pseudonymes choisis par leur mère pour leurs débuts dans les bars clandestins familiaux, les deux petites filles vivaient certes très en marge de la légalité par la force des choses, mais leur mère les a toujours surprotégées et veillé à ce qu’elles aient une scolarité convenable.

Le duo des sœurs chantantes va être remarqué par un client du speakeasy, le chef d’orchestre Vincent Lopez. Ce pianiste d’origine portugaise affichant un physique à la Rudolph Valentino est le premier à avoir eu son orchestre diffusé sur les ondes de la radio américaine. Ce qui a fait de lui un artiste ultra populaire. Sa gloire n’a alors rien à envier à ce que sera plus tard celle des Beatles ou de Michael Jackson. Etre remarquées par Vincent Lopez, c’est pour les deux sœurs être remarquées par une des plus grandes superstars américaines du moment. C’est lui qui aura découvert Artie Shaw, Xavier Cugat et Glenn Miller pour ne citer qu’eux.
Lorsqu’il invite les sœurs Hutton à se produire avec lui, cela tient plus du miracle que de la chance. Les deux adolescentes deviennent les attractions du plus célèbre orchestre du monde. Et lorsque Glenn Miller quittera l’orchestre de Vincent Lopez pour former son propre orchestre, il n’aura de cesse que de choisir une des deux sœurs pour être la chanteuse de sa formation.
Avec la fin de la prohibition, les choses ont bien changé. La fin des interdits sonne le glas de la clandestinité et paradoxalement le glas d’une certaine liberté puisque par définition, dans la clandestinité, les lois ne sont pas en vigueur et on fait donc ce que l’on veut en vertu du sacro saint « pas vu pas pris ». Ce qui revient à dire que si dans un speakeasy des enfants pouvaient se produire, maintenant qu’il s’agit de se produire dans des night clubs et autres ballrooms on ne peut plus légaux, il est hors de question de voir des adolescents travailler, la nuit sur scène.
La loi autorisait certaines dérogations. Par exemple, lorsque les adolescents tels Carmen Cansino future Rita Hayworth se produisent avec leurs parents. L’idée vint alors à Glenn Miller et son épouse Helen d’adopter officiellement la plus âgée des sœurs Hutton, Marion alors âgée de 17 ans. La jeune fille put alors chanter dans l’orchestre de …son nouveau papa!

Nous étions en 1936, l’orchestre de Glenn Miller allait imposer son style et devenir la signature musicale de la décennie suivante, l’ère du « swing »! Marion resterait la chanteuse « officielle » de l’orchestre Glenn Mille jusqu’à la tragique disparition du musicien en 1944.
Certes les enregistrements de l’orchestre Glenn Miller avec ces superstars que sont les Andrews Sisters ont quelque peu effacé cette collaboration des mémoires. Mais Marion est un des piliers de la formation puisque c’est avec elle au micro que l’orchestre a connu des débuts lents et difficiles.. A l’heure de la notoriété, lorsque pour une raison quelconque elle est empêchée, Glenn Miller fait appel à la fabuleuse Kay Starr pour la remplacer. C’est un peu comme si, quand je n’ai pas envie de faire la vaisselle, Joan Collins venait la faire à ma place avec le titre officiel de bouche-trou. A l’heure de la disparition du musicien dont l’avion s’est volatilisé au dessus de la Manche et n’a jamais été retrouvé, Marion venait de débuter au cinéma, avec l’orchestre de Glenn comme on l’imagine, dans » Orchestra Wives ».
Elle allait retrouver sa petite sœur Elizabeth devenue Betty Hutton. Elle piétinait dans l’antichambre de la gloire hollywoodienne depuis 1938 et Marion était bien plus célèbre et populaire qu’elle. Pourtant, Betty n’allait plus tarder à devenir une « box office machine » et éclipser jusqu’au souvenir de sa sœur. Il faut dire que privée de Glenn Miller, Marion Hutton ne fit pas grand chose pour perpétrer sa gloire. Après l’orchestre de Vincent Lopez et celui de Glen Miller, elle se produira un temps avec celui de Desi Arnaz et apparaîtra dans quelques films qui se comptent sur les doigts d’une main.

En 1940 elle s’était mariée avec le producteur Jackie Gleason, homme de télévision étranger à celui des grands orchestres et le couple avait eu deux enfants, deux fils, Jean et Philippe, de quoi justifier les intérims de Kay Starr.
Elle épousera ensuite l’écrivain Jack Douglas, père de son fils Peter.
Son troisième mari la ramènera vers le monde de la musique. En 1954 elle épousait Vic Schoen qui s’occupe alors des arrangements pour de nombreuses stars de la chanson dont Bing Crosby et…Les Andrews Sisters.
Nombreux étaient ceux qui alors estimaient perdre au change avec Betty de plus en plus présente et Marion de plus en plus effacée. Betty Hutton fut la plus extravagante tornade blonde qui n’ébouriffa jamais Hollywood faisant feu de tout bois pour faire rire et pour séduire. Mais le clown en jupons n’aura pas que des admirateurs et sa gloire sera d’ailleurs assez brève. Ses détracteurs aiment alors pousser un soupir nostalgique en pensant à Marion Hutton, certes plus discrète mais d’un avis général bien meilleure chanteuse et bien plus belle que Betty. Difficile de départager les deux sœurs sur se dernier point. Il faudrait trouver une photo de Betty où elle ne fait pas le pitre.

Marion Hutton elle-même s’exprimait à ce propos « Ma petite sœur a toujours été la star de la famille, celle qui était née pour une carrière, moi je suis née pour être une femme mariée et avoir des enfants, si j’ai fait une petite carrière j’en suis très fière mais ca reste un accident de parcours. » Mais cette image d’épouse et mère comblée ne colle pas tout à fait à la réalité. Vic Schoen avait depuis longtemps des soucis de dépendance. Avec lui Marion va sombrer dans les affres de l’alcoolisme avant la spirale des drogues de plus en plus dures.
En 1967 un drame avait frappée les sœurs Hutton. Leur mère adorée périssait dans l’incendie et l’effondrement de sa maison. A l’heure de ce funeste évènement, Marion était déjà bien oubliée et Betty courait après le succès qui la boudait depuis dix ans déjà. Les deux sœurs vont sombrer dans la dépression et les dépendances.
Le couple Schoen réussira à vaincre ses démons dans les années 70 mais leur fortune aura fondu comme neige au soleil. Ils s’installeront alors dans une banlieue de Seattle où ils feront campagne pour les alcooliques anonymes et ouvriront un centre de désintoxication. Marion reprendra d’ailleurs des études de psychologie pour mieux venir en aide aux jeunes qu’elle accueille dans sa fondation.

Malheureusement pour Marion Hutton enfin sereine, le cancer allait avoir raison d’elle. Elle s’éteint le 10 Janvier 1987 à l’âge de 67 ans.
Vic Schoen lui survivra jusqu’au 5 Janvier 2000.
Betty Hutton, la tornade hollywoodienne avait vu son étoile pâlir et puis s’éteindre jusqu’à devenir une des plus notables « has been » d’Hollywood. Après avoir sombré comme sa sœur et avoir été déclarée en faillite, elle trouvera le secours de la religion et réussira elle aussi à vaincre des démons. Elle rejoindra d’ailleurs sa sœur sur les bancs de la faculté pour obtenir son diplôme en psychologie.
Betty s’éteindra, elle aussi vaincue par le cancer le 11 Mars 2007 dans un oubli complet. Elle venait d'avoir 86 ans un mois plus tôt.
Celine Colassin

QUE VOIR?
La filmographie de Marion Hutton ci-dessous est à ma connaissance complète
1942: Orchestra Wives: Avec Ann Rutherford et Glenn Miller
1943: Crazy House: Avec Martha O’Driscoll
1944: In Society: Avec Bud Abbott et Lou Costello
1944: Babes on Swing Street: Avec Ann Blyth et Peggy Ryan
1949: Love Happy: Avec Les Marx Brothers, Vera Ellen et Marilyn Monroe