
Vue de loin, mais alors de très loin, la vie de Sandra Dee ressemble à un conte de fée mis en scène par la MGM. Tout y paraît rose et doux, tendre et sentimental. Sandra y est bien blonde, bien habillée et bien élevée. Elle n’y est même pas trop dinde. Elle n'y décevra jamais papa et maman, sera la tendre fiancée avant de finir en épouse modèle dans une cuisine bien équipée toute de jaune soleil et bleu layette. Tout cela est bien joli, bien faux, aux antipodes de la réalité.
La future Sandra Dee voit le jour le 23 avril 1944 à Bayonne dans le New Jersey sous le patronyme de Alexandra Zuck. Déjà sa naissance sera le premier mensonge de sa carrière.
Les lois sur le travail des enfants devenant de plus en plus strictes aux USA, la mère de Sandra la vieillira tout bonnement de deux ans. Avoir dix-huit ans au lieu de seize, ça change tout. On peut travailler plus tard, on peut travailler de nuit, jouer des scènes d’amour devant une censure béate et aller voir ses propres films au cinéma. Le procédé n’est pas nouveau, Linda Darnell en fut le plus extraordinaire exemple.

Mais revenons à Bayonne à l’heure de la divine naissance d’Alexandra rebaptisée d’emblée Sandra dans le cercle familial. Ses parents, John et Mary Zuck (née Cymboliak) s’étaient rencontrés à l’église. Ils sont tous les deux d’origine russe et orthodoxes très pratiquants.
Une rencontre, des fiançailles et un mariage très « comme il faut » dans les règles strictes de leur communauté. Ce qui n’empêchera pas cette union parfaite de se solder par un divorce alors que Sandra n’a pas cinq ans.
A l’heure du divorce parental, Sandra, toute bambine qu’elle soit est déjà forgée à la discipline. La danse d’abord. Omniprésente dans la culture russe, très codée et de tous les évènement sociaux et culturels, il est impensable qu’une petite fille russe n’apprenne pas ce joyeux folklore sur le bout des pieds.
Et puis surtout, comme elle est très sage, très obéissante et très docile, maman l’a inscrite dans des agences de mannequin « premier âge » et Sandra y fait fureur ce qui ramène quelques sous bienvenus. Ces premiers succès, quelques compliments de directrices d’agence, il n’en faut pas plus pour que Mary, et sa sœur Olga avec elle, se mettent à rêver d’avenirs à la Shirley Temple ou à la Deanna Durbin pour Sandra. Et pour ces deux femmes, l’avenir n’est pas à Hollywood, c’est le bout du monde. Il est à New-York dont les tours se dressent de l’autre côté de la rivière Hudson. New-York, ce n’est pas le temple du cinéma, c’est le paradis des grands couturiers. Sandra sera mannequin haute couture. Maman Mary et tante Olga en sont plus que sûres. Elles l’ont décidé ! Ces deux-là sont tellement projetées vers l’avenir de Sandra qu’elles ne voient rien de son présent.

Mary s’est remariée en 1950 avec un homme qui n’a pas tardé à abuser de la petite fille. Une petite fille qui, comme toujours dans ces cas-là, culpabilise et ne dit rien. Alors elle aussi se projette dans cet avenir rutilant fait de roses et de diamants que lui promet sa maman. Mais ce n’est pas pour y triompher et en savourer chaque seconde qu’elle l’espère de tout son être, c’est pour y fuir, s’y réfugier.
La légende de Sandra Dee veut que le producteur Ross Hunter ait découvert Sandra alors qu’elle se promenait sur Park Avenue avec sa maman. Une rencontre aussi fortuite qu’inespérée. Hunter cherchait désespérément une très jeune fille pour un film. Et soudain elle était là ! Devant lui, candide et solaire, jolie comme un cœur !
Evidemment c’est tout à fait faux. Sandra à l’heure de cette rencontre est déjà très célèbre.
Elle gagne de véritables fortunes en tant que mannequin teenage. Elle ne gagnera plus jamais autant d’argent à Hollywood lorsqu’elle sera devenue une star.
Que Ross Hunter ait croisé Sandra sans savoir qui elle était est aussi crédible que s’il avait prétendu avoir croisé Rita Hayworth ou Ava Gardner en les prenant pour d’anonymes promeneuses.

Et puis Sandra est bookée dans plusieurs agences de mannequins à travers le pays et surtout dans toutes les agences de casting. Si Ross Hunter avait cherché une jeune fille dans son genre, il est fort probable que ce soit la photo de Sandra qu’on lui ait soumise en premier.
J’ajoute que si maman Mary et tante Olga se sont révélées être des managers et des agents de toute première grandeur au service de Sandra, elles n’ont pas négligé son éducation et ne badinent pas avec les études. Sandra Dee ne flâne pas sur Park Avenue ! En dehors de ses obligations scolaires, ses cours de danse et son travail acharné, Sandra n’a de loisirs que dans le sommeil.
La trop jeune fille est harassée.
Elle ne subit plus les violences de son beau-père. Non qu’elle l’ait dénoncé et qu’on l’ait chassé, il est tout simplement mort.

Par contre, elle est tenaillée par la peur de « l’âge ingrat » l’âge où la peau des filles s’entache d’acné, ou leurs cheveux foncent et deviennent gras et où le corps n’en fait plus qu’à sa tête, faisant pousser les pieds avant les jambes comme si la femme en devenir n’était encore qu’un vague brouillon mal dessiné.
Alors Sandra s’est privée de sucreries, de boissons gazeuses, de bonbons, de cornets de glace avant de se priver tout à fait de nourriture et sombrer dans l’anorexie.
Si les sortilèges des maquilleurs et des photographes font d’elle un poème à la jeunesse et à la joie de vivre sur papier glacé, la jeune fille est dans la vie une petite créature presque moribonde. Lorsque sa mère a découvre avec effroi que la santé de sa fille décline, l’anorexie mentale n’est pas encore diagnostiquée. Alors elle ne peut que prier de toute son âme pour sa belle enfant qui perd ses cheveux, a la peau grise et parcheminée et des ongles en papier de cigarettes. Petite silhouette diaphane, fantomatique et fragile, Sandra semble mourir de ce que l’on appelait autrefois « la consomption ». Nom générique permettant de fourguer depuis le second empire toutes les femmes anorexiques, tuberculeuses ou cancéreuses sous un même vocable vaguement synonyme de « chichiteuses ».

Alors, lorsque s’offre la possibilité d’un film à Hollywood, la mère de Sandra se précipite pour signer le contrat de Ross Hunter. Le climat californien ne peut être que salutaire pour la petite beauté maladive. Et puis Hollywood est une ville truffée de nutritionnistes dont Garbo et Swanson ont lancé la mode dans les années vingt.
Inscrite au collège à Hollywood, Sandra sera soignée pour sa maladie et dira elle-même : « J’avais tant maigri que je n’avais plus de chairs et surtout je ne savais plus comment on faisait pour manger. J’ai dû réapprendre à me nourrir et mon corps à gérer la nourriture que j’ingurgitais à grand peine. »
Un espoir de survie et de guérison qui n’est qu’une rémission.
Sandra Dee ne guérira jamais.

A l’heure de ses plus grands triomphes, à l’heure où elle sera devenue l’idéal de toutes les jeunes filles qui veulent lui ressembler et de tous les garçons dont elle bouleverse l’imaginaire, Sandra ne sera pas dans le cercle de lumière éblouissante de sa gloire mais sur un lit d’hôpital parce que ses reins ne fonctionnent plus.
Le premier film de Sandra Dee, « Until they sail » ne sera pas un film « teenage », ce n’est pas une comédie sentimentale en technicolor. C’est un sombre drame en noir et blanc. Elle n’en est pas la vedette. C’est Jean Simmons, Joan Fontaine et Piper Laurie qui la devancent au générique. Et puis surtout, c’est un échec commercial.
Pourtant c’est Sandra et Sandra seule qui échappe à la curée générale. Robert Wise ne travaillera plus jamais à la MGM mais Sandra est admirée, louée, encensée. En grande partie d’ailleurs grâce à la chroniqueuse vipérine Louella Parsons qui s’en est entichée au-delà de l’imaginable. Sandra recevra le Golden globe de la « jeune découverte de l’année ».
Une année fertile en jeunes découvertes prometteuses car Sandra n’est pas seule couronnée. Diane Varsi et Carolyn Jones le sont aussi.

La MGM a toujours misé sur la jeunesse pour attirer le public vers les salles obscures. Judy Garland, Elizabeth Taylor, June Allyson ou Debbie Reynolds n’ont pas débuté ailleurs.
Le studio va mettre les petits plats dans les grands et propulser Sandra dans une comédie spirituelle et ambitieuse entre Rex Harrison et Kay Kendall « The reluctant débutante ».
Et comme il faut à la gracile Sandra un prince charmant de son âge et digne d’elle, le studio désigne le beau John Saxon et en fait le partenaire attitré de Sandra. Son fiancé de cinéma.
Le tournage du film dut être un enfer. Kay Kendall était déjà malade, souffrant de la leucémie qui allait l’emporter. Sandra Dee n’était guère plus vaillante. Rex Harrison couvant son épouse Kay Kendall comme une poule son œuf était encore plus irascible que d’habitude. Angela Lansbury qui en profita pour voler chaque scène où elle apparaissait n’était guère très facile non plus. On tournait en robes du soir et habits de longues scènes de réception avec des figurants dansants et costumés et rien n’est plus long ni plus pénible à préparer et répéter.
Tout le monde était épuisé, Kay et Sandra fondaient à vue d’œil malgré leur bonne humeur feinte et il fallait retoucher leurs robes haute couture sans arrêt. On finira par masquer la maigreur squelettique de Kay Kendall sous des tombereaux de plumes et de fourrures et étoffer Sandra de tulles pâles et de rubans jusqu’à ce qu’elle ait l’air d’une meringue ou d’un gâteau de mariage. Le film se déroulant dans la gentry londonienne. Il eut un vif succès en Angleterre mais ça ne suffit pas pour en faire un succès au box-office.

Cette fois, la MGM avec sa brutalité coutumière congédia sa jeune vedette qui n’en était pas une et ne sortait de l’hôpital que pour lui faire perdre de l’argent !
Dans le genre on avait déjà Elizabeth Taylor ! A ceci près que les films qu’Elizabeth tournait entre deux maternités trois mariages et cinq hospitalisations étaient des succès.
Le studio Universal se rua sur l’aubaine car on y avait précisément besoin du type de personnage qu’avait incarné Sandra dans « The Reluctant débutante ». Universal avait des projets pour une jeune créature qui serait une sorte de version « teenage » de la superstar du studio Doris Day. Laquelle ne pouvait plus décemment jouer les jeunes amoureuses mais les jeunes épouses à la fois accomplies mais toujours nigaudes en choses du sexe.
Et puis, Sandra Dee a un appui bien inattendu chez Universal : Ross Hunter qui entend bien se venger de la MGM.
Et quelle meilleure vengeance à Hollywood que de faire de Sandra Dee une super money maker au nez et au tiroir-caisse du studio qui l’a congédiée un peu vite ! John Saxon, lui aussi éjecté par la MGM sera recruté par Universal pour continuer à jouer les amourettes dans les films de Sandra. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Universal a vu juste et va rafler la mise.

Sandra est choisie pour être la fille de Lana Turner dans le mélo flamboyant de Douglas Sirk « Imitation of Life ». Son personnage de fille soumise aux ambitions dévorantes de sa mère lui va comme un gant. La jeune fille donne sa pleine mesure et tient son rang face à Lana Turner qu’elle affronte sans trembler. Le film est le plus gros succès financier du studio depuis sa création. C’est un chef d’œuvre et Sandra Dee devient une star ! Elle a 15 ans même si le studio annonce et croit qu’elle en a 18. Elle pourrait en avoir 25 tant les souffrances et la maladie ont déjà frappé sa vie de maturité. Elle sort à peine de l’enfance, elle n’est pas indécente dans ses scènes avec John Gavin.
Paradoxalement le service publicité du studio lui fait tenir des propos de petite fille : « Oh làlà ! Quand j’embrasserai un garçon j’espère qu’il n’aura pas de moustaches, ça doit être comme embrasser sa brosse à dents ».
Voilà, voilà.

Ross Hunter va mener sa carrière de main de maître, réutilisant à chaque film ce qui a marché dans les précédents, balayant ce qui n’a pas plu, travaillant sa star comme on taille une pierre précieuse.
Elle fait un nouveau triomphe au box-office avec « Summer place » et sans Lana Turner.
Elle grimpe à la seizième place du box-office et dès son film suivant où elle retrouve Lana dans un sombre thriller, « Portrait in black » elle passe à la septième place. Elle retrouve ensuite John Gavin sous la direction de Peter Ustinov pour « Romanoff et Juliette ».
Sandra triomphe, la Columbia fait des ponts d’or à Universal pour obtenir Sandra en prêt, plus rien n’est trop beau trop cher trop prestigieux pour Sandra Dee superstar. C’est Columbia qui lui offrira le rôle phare de sa carrière « Gidget » un film « Beach party », genre qui fait fureur depuis « Where the boys are ».
Ce sera un nouveau pensum à tourner. Etoffer la silhouette de Sandra sous des kilomètres de tulle est une chose. L’épaissir en bikini en est une autre ! Il faudra utiliser mille stratagèmes pour dissimuler sa maigreur, ses côtes saillantes. On n’aura d’autre recours que de rembourrer son soutien-gorge pour attirer le regard ailleurs, faire diversion et…Retoucher toutes les photos promotionnelles. Le personnage de Gidget plein de santé et de joie de vivre est à ce prix.

Il était impensable qu’Universal ne distribue pas Sandra Dee dans un film de sa plus grande star masculine, j’ai nommé Rock Hudson. Lequel Rock a comme partenaire attirée miss Doris Day. Mais Sandra est trop âgée pour jouer la fille de Doris. Les enfants de cinéma de miss Day doivent avoir contractuellement moins de dix ans et plutôt sept. Par contre, Sandra est peut-être trop jeune pour jouer la petite sœur de Doris…Laquelle n’a pas de sœur dans ses films !
C’est compliqué.
Trop.
L’autre vedette féminine avec qui Rock forme un team sur lequel le studio mise beaucoup est la volcanique Gina Lollobrigida. Sans doute pour inaugurer les années 60 avec tout le prestige et le panache qui convient, le studio met en chantier un film particulièrement ambitieux, tourné en décors naturel en Italie : « Come September » avec Gina Lollobrigida, Rock Hudson, Sandra Dee et le jeune Bobby Darrin qui pour les raisons que j’ignore, succède aux affections cinématographiques de Sandra à John Saxon.

Universal mise sur le retour de Gina Lollobrigida au pays pour asseoir la promotion du film.
La production invite toute la famille de Gina à venir la retrouver sur le tournage. C’était sans compter sur la famille pléthorique de l’actrice. Il faudra trois autocars pour caser les tantes les oncles et les petites cousines. L’entreprise devient vite une fiesta générale avec Gina qui préside aux agapes et aux distractions. Même Rock Hudson avouera avoir été mis au tapis par l’infatigable clan Lollobrigida. C’est dans ce joyeux charivari qu’arrive Sandra Dee sur la côte amalfitaine.
Elle l’ignore encore mais ce tournage va bouleverser sa vie à jamais.
A son arrivée, c’est Gina que Sandra Bouleverse. La star italienne s’attendait à voir débarquer une Gidget pleine de pétillance et de joyeuse santé. C’est un être éteint, fragile et famélique qui débarque.
Gina en est presque effrayée.
Sandra n’a pas 20 ans, elle en a 18 et ses cheveux sont si anémiés qu’il faut faire preuve de plus de ruses et de stratagèmes pour elle que pour Gina qui a toujours eu le cheveu pauvre et ne tourne pas sans artifices. Impossible d’entraîner la jeune américaine dans le tourbillon de fêtes qui lessive déjà Rock Hudson.

D’ailleurs il y a déjà quelqu’un qui « veille sur Sandra » et la suit comme son ombre. En fait il s’agit d’escamoter ses boissons fortes et ses cigarettes dès qu’un photographe se pointe à l’horizon .
Gina qui est malgré son tempérament houleux une femme attentive et loyale est dépassée par l’état de Sandra Dee et ne sait pas quoi faire pour lui insuffler un peu de sa joie et de son énergie.
Heureusement et à son grand soulagement, la solution va débarquer d’un avion sous l’aspect plutôt inattendu de Bobby Darin.
Bobby Darin n’est pas un John Saxon ou un John Gavin.
Il n’est même pas un acteur, « Come September » sera son premier film. En tout cas son premier rôle car il est déjà apparu aux écrans, grands et petits mais en tant que Bobby Darin chanteur.

Pour être tout à fait précise je dois spécifier qu’en réalité, Bobby Darin a déjà tenu un rôle très sérieux sous la direction de John Cassavetes dans « Too Late Blues ». Mais le studio misant sur la réputation de chanteur de Bobby Darin pour promouvoir à la fois le film avec Gina, Rock et Sandra et sa carrière d’acteur il fut décidé en haut lieux que « Come September » passerait avant le film nettement moins glamour et ambitieux il est vrai de John Cassavetes.
Il a commencé sa carrière comme compositeur pour Connie Francis, autre « révélation » des Beach party films puis a connu le succès comme interprète. Il a 25 ans lorsqu’il débarque sur le plateau mais en paraît nettement moins. Le couple qu’il forme avec Sandra colle parfaitement à l’image et va coller mieux encore à la ville.

Sandra est amoureuse de Bobby, Bobby est amoureux de Sandra.
Dans trois mois le film sera terminé et ils seront mariés.
En attendant, le tournage que Sandra appréhendait comme un pensum va devenir un véritable conte de fées sous le brûlant soleil d’Italie.
La côte amalfitaine est des plus beaux endroits du monde, en tout cas à l’époque.
Des rumeurs filtrent. La presse s’interroge, se passionne. Gidget amoureuse ? Vrai ? Faux ? Qu’en est-il ? L’idole des jeunes au cinéma épousera elle l’idole des jeunes sur microsillon ?
L’affaire ne serait pas mauvaise et l’idylle, réelle ou publicitaire ne peut que profiter au film.
Mais s’il y a du mensonge, de la souffrance et des non-dits dans la vie de Sandra il y en a tout autant dans la vie de Bobby Darin.
Ce jeune money maker à la réussite insolente qui aura été plus rapide que celle d’Elvis ou de Sinatra a été un enfant fragile et de nombreuses fièvres ont altéré sa santé.
Bobby Darin n’est pas malade, c’est un mort en sursis.
En a-t-il averti Sandra ? Rien n’est moins sûr.

Il est fort probable qu’il ignore lui-même la gravité de son état, voire même son état tout court.
Et puis un autre secret de famille ne va plus tarder à se faire jour.
Bobby Darin a grandi sans père entre sa mère et sa grande sœur. Bientôt il va apprendre que la femme qu’il appelle maman est en réalité sa grand’mère et que celle qu’il prenait pour sa sœur est en réalité sa mère. Une révélation qui va le bouleverser et le faire sombrer dans une dépression dont il ne sortira jamais vraiment.
Mais pour l’instant, Sandra et Bonny sont en Italie.
Ils s’aiment et sont heureux sur un tournage devenu idyllique.
Les prises de vues terminées en Italie, on rentre terminer le film en studio. Gina et Rock partent vers d’autres aventures, Sandra et Bobby annoncent leur prochain mariage.
Chose faite, la presse se régale des photos de Sandra aménageant son « home sweet home » et surtout la nurserie d’un goût délicieux car un événement s’annonce. « Ce sera un garçon, j’en suis sûre et je voudrais bien voir qu’il puisse en être autrement par exemple ! Bobby dit que ça lui est égal mais je sais qu’il préfèrerait un garçon lui aussi. Seulement il dit que ça lui est égal pour ne pas avoir l’air bête si c’est une fille ! Les hommes sont tellement bêtes ! ».
En attendant, l’incendie qui va dévaster la Californie va réduire le home sweet home au goût parfait en un amas de cendres. Sandra devra retourner chez sa mère, s’installer dans sa chambre de jeune fille qu’elle pensait bien avoir quittée pour toujours et y attendre sa délivrance comme on disait à l’époque.

Le 16 décembre 1961, le petit garçon Dodd Mitchell Darin vient au monde. Universal est ravi et prolonge le contrat de Sandra de sept ans alors qu’elle était encore liée pour trois ans. Il y avait déjà un moment que l’on songeait à lui confier des rôles de jeunes femmes un peu plus matures que Gidget. Probablement les rôles que Doris Day rechignait désormais à tenir.
Le début des années 60 fait de Sandra Dee et Bobby Darin le couple tapageur par excellence.
Le lundi la presse s’attendrit car Sandra reçoit un bouquet de roses rouges toutes les heures sur le plateau de son nouveau film. Le comble étant que Bobby est…Son partenaire !
Le mardi la presse s’affole car leurs tonitruantes disputes ne présagent rien de bon pour leur avenir commun.
On parlerait encore bien plus de leur cas si on n’était déjà pas très occupés dans les gazettes avec les rocambolesques amours de Liz-Taylor-Cléopâtre-Burton et le drame sentimental qui se dénoue entre Monroe et Miller.
Bobby Darin recevra à son tour un golden globe pour son travail sur « Come September ».
Mais malgré son luxe, ses stars et son soleil, le film ne couvre pas ses frais.
Aussitôt Universal rebat des cartes.

Trop tard pour revoir « If a man Answears » qui fait de Bobby et Sandra un couple adulte, le projet est trop avancé. Et puis après tout, l’échec de « Come September », n’est-ce pas la faute de cette italienne ? Quand on pense que si elle avait refusé, la Century Fox voulait bien prêter Monroe pour moins cher ! Comme on a été bêtes ! Mais n’empêche, Universal change son fusil d’épaule et rejette Sandra dans la catégorie « teenage ». Il faut de nouveaux Gidget, de nouveaux « Tammy ».
Quant à Doris Day, un peu plus de fond de teint, un petit régime, tulle sur l’objectif de la caméra et elle fera encore illusion en jeune fiancée innocente dans quelques films.
Si les films de Sandra sont encore des succès, ils sont son chant du cygne. On sait trop bien qu’elle est une femme mariée et une jeune maman pour encore croire vraiment à ses personnages de collégiennes trouvant le premier amour au fil du bel été sur Malibu.
En 1963 elle est encore classée huitième au box-office, l’année suivante elle a disparu des radars.
A jamais.

Sandra ne voit pas venir les rôles qui lui conviennent.
Elle n’est pas dupe et se rend bien compte qu’Universal se fourvoie et tue sa carrière en la sclérosant dans ses personnages de petites dindes blondinettes sur sable fin.
Son mariage avec Bobby Darrin est difficile et conflictuel. Il s’est entiché de politique et lorsqu’il n’est pas en tournée avec ses musiciens, en promotion avec ses disques, il suit Robert Kennedy comme son ombre dans ses campagnes. Il sera à ses côtés lors de l’attentat de Dallas.
Un choc terrible pour le jeune artiste.
Un choc qui précède de quelques jours à peine les révélations sur sa famille.
Bobby Darin effondré annule ses engagements, rentre à la maison près de sa femme et leur petit garçon trouver le réconfort.
Mais la Sandra qu’il a quittée n’est pas la Sandra qu’il retrouve.
« Come September » est loin.
Sandra est retombée en dépression. Elle rechute dans l’anorexie et un nouveau démon vient encore entacher sa vie et aviver son mal être : l’alcool. Sandra erre comme une âme en peine dans leur maison.

Bobby lui emboîte le pas. Un peu.
Assoiffé de vie comme s’il vivait avec le pressentiment de sa fin, Bobby Darin va laisser Sandra à ses démons et se jeter à nouveau dans le travail. Même si, chez lui aussi, quelque chose est définitivement brisé.
Darin a réussi ce que ne réussit pas Sandra.
Passer à autre chose.
Délaissant les musiques pour surprises party, il s’est lancé dans la musique Country.
Ensuite il va écrire pour Dean Martin, pour Nancy Sinatra, composer des thèmes pour Disney.
Sandra, seule de son côté, titubante de sa chambre à sa piscine ne tourne plus.
Ross Hunter vient à son secours, la supplie puis la persuade de revenir dans un « grand film » avec une « grande star » : « Rosie » avec Rosalind Russell.
Le film est un four colossal, Universal la raye définitivement de son dictionnaire interne.
Mais à l’heure de ce sensationnel bide, Sandra Dee ne fait déjà plus partie du paysage cinématographique et sa carrière est derrière elle.
Elle surgira en victime très dénudée dans un film supposé être d’épouvante où elle réussit à s’ennuyer encore plus que le rare spectateur ce qui n’est pas peu dire.

A l’aube des années 70, au moment de cet improbable tournage, les rares photos de Sandra la montre terriblement lasse.
Comme brisée. Belle encore mais comme surgissant d’un lointain passé dont ne resterait qu’une immense fatigue.
C’est un choc que de comparer les photos d’une Sandra Dee à celles d’une Brigitte Bardot ou d’une Sophia Loren à la même époque. Sublimes, rayonnantes et solaires avec le monde à leurs pieds alors que Brigitte Bardot et Sophia Loren ont précisément dix ans de plus que Sandra.
D’autant que le public a perdu Sandra de vue alors qu’elle tournait encore des films où elle câlinait ses nounours en peluche dans sa chambre de jeune fille.
Seule dans sa villa avec ses démons et son alcool elle voit de loin en loin la santé de Bobby Darin s’étioler.
Le couple est divorcé depuis le printemps 1967 mais reste en contact.
Sandra Dee l’oubliée solitaire d’Hollywood voit impuissante Bobby Darin sombrer dans la dépression après l’assassinat de Robert Kennedy en 1968.
Le chanteur a renoncé à ses biens et vit dans une caravane.
Il ne s’occupe plus de politique.
Il continue une carrière de plus en plus difficile à cause de sa santé déclinante.
Le public l’ignore mais Sandra le sait, Bobby Darin doit être placé sous oxygène pendant ses concerts ou durant ses tournages.
Il s’éteint à seulement 37 ans le 20 décembre 1973.

Sandra Dee s’éteindra à son tour le 20 février 2005.
Quelques rares apparitions publiques ou à la télévision l’avaient parfois rappelée au souvenir. On avait alors la candeur de la trouver toujours aussi charmante et « bien conservée » alors qu’elle était tout simplement encore très jeune.
Sandra Dee s’est éteinte à seulement 61 ans, quelques semaines avant d’en avoir 62.
Elle avait complètement cessé de boire. Son système rénal était resté déficient depuis ses premiers troubles anorexiques et la maladie hâta sa fin après avoir assombri de souffrance ses dernières années de vie.
Sa fin ne bouleversa pas le tout Hollywood outre mesure.
L’eau avait coulé sur les écrans depuis les très éphémères années Sandra Dee.
La libération sexuelle, le MLF, Woodstock, le Viêt-Nam le Watergate ou Charles Manson, tout ça et bien d’autres bouleversements encore avaient rayé Tammy des mémoires.
A peine pouvait on imaginer qu’autrefois de telles niaiseries sirupeuses avait pu trouver un public.
Gidget était déjà bien loin et lorsqu’Olivia Newton John chantait « Goodbye to Sandra Dee » dans Grease, nombreux étaient ceux qui ignoraient qui était Sandra Dee. Ils oubliaient déjà les Beatles et Janis Joplin !
Celine Colassin

QUE VOIR ?
1957 : Until They Sail : Première apparition de Sandra Dee au cinéma en petite sœur de Joan Fontaine, Jean Simmons et Piper Laurie.
1958 : The Reluctant Debutante : Sandra jeune fille américaine en quête d’émancipation découvre la gentry anglaise très protocolaire et collet monté. Mais heureusement pour elle, elle découvre aussi John Saxon ! Et la mise en scène de Vincente Minnelli. Après Robert Wise, la petite débutante était bien servie.
1959 : Imitation of Life : Sandra en fille de Lana Turner dans ce qui restera la quintessence du mélodrame flamboyant à la Douglas Sirk.
1959 : Gidget : Le Beach party film de Sandra entre Cliff Robertson et James Darren.
1959 : A Summer Place : Un triomphe pour Sandra sous la direction de Demer Daves. Sa fabuleuse année 1959 l’aura propulsée au premier rang des stars internationales.
1960 : Portrait in Black : Sandra retrouve Lana Turner dans un film noir où celle-ci n’a de cesse que d’occire son encombrant mari.
1961 : Romanoff and Juliet : Revoici le couple Sandra Dee John Gavin sous la houlette cette fois de Peter Ustinov.
1961 : Tammy Tell Me True : Sandra Dee récupère à son compte le personnage de Tammy créé par Debbie Reynolds à la MGM. Il n’y a pas grand-chose à relever de cette niaiserie.
1961 : Come September : Comme disait un critique célèbre : « Quand dans un film les décors sont ce qu’il y a de mieux, il y a du souci à se faire ! ». C’est presque ce qui se passe ici bien que la garde-robe de Gina Lollobrigida ait aussi beaucoup de talent. Le reste et malgré la bonne volonté évidente des acteurs n’est qu’un luxueux gâchis méditerranéen.
1962 : If a man answears : Dès leur retour d’Italie, Hollywood s’empresse de distribuer dans un même film le couple Sandra Dee Bobby Darin. Sorti en France sous le titre de « Un mari en laisse », la presse internationale s’intéressa surtout au retour à Hollywood de Micheline Presle et de sa fantastique garde-robe !
1963 : Tammy and the Doctor : Revoici cette gourde surréaliste de Tammy, cette fois dans les pattes du pauvre Peter Fonda.
1963 : Take Her, She's Mine : Les bikinis de Sandra reprennent du service dans un film teenage dont la vedette est…James Stewart ! Il est fort surprenant de constater à quel point les rôles que tient Sandra Dee en 1963 sont nettement plus puérils que ceux qu’on lui confiait en 1959.
1965 : That Funny Feeling : Le film qui joue sur de bonnes vieilles ficelles qui auraient fait le régal de Doris Day et Rock Hudson.
1966 : A man could Get Killed (D pour Danger). C’est le dernier film du contrat qui lie Sandra à la Warner. Elle a fait des pieds et des mains pour ne pas le tourner mais le studio a été inflexible. Qui refuserait huit semaines sur les plages du Portugal. Elle va y rester quatre mois. Quatre mois d’enfer sur un tournage électrique ou tout le monde s’insulte et se bagarre. Le film sombre dans un oubli mérité dès sa sortie. A ceci près que la chanson écrite pour le film n’est autre que « Stranger in the night ».
1967 : Rosie ! : Démodé avant d’être tourné, le film devait être le « Sunset boulevard » de Rosalind Russell. Il n’en sera rien.
1970 : The Dunwich Horror : Depuis le phénomène « Qu’est-il arrivé à Baby Jane », tous les grands noms d’Hollywood glissés sur la pente de l’oubli se confrontent au cinéma d’épouvante. Sandra s’y essaie, tourne nue, semble particulièrement éteinte, comme absente. Ce qui n’est d’ailleurs pas plus mal.
1983 : Lost : Tourné avec des bouts de ficelles cet ultime film de Sandra la montre jeune maman d’une petite fille égarée dans les montagnes de l’Utah. La chose est plus difficile à voir aujourd’hui que le monstre du Loch Ness par une nuit sans lune.
LES FILMS QUE VOUS NE VERREZ PAS
(Avec Sandra Dee)
Kaléidoscope : Sandra Dee et Warren Beatty s’étaient détestés au point de ne pas tourner ensemble « That funny Feeling ». Le studio Universal ne s’avoua pas vaincu et après avoir réussit à vaguement réconcilier ces deux-là, ce projet fut annoncé pour enfin les réunir à l’écran. Peine perdue !