Je ne trahirai personne puisque tout le monde le sait et que la principale intéressée n'en a jamais fait mystère, en disant que Coccinelle naquit Jacques, Charles Dufresnoy. C'était dans le troisième arrondissement de Paris le 23 août 1931.
Qu'elle soit née garçon fut une intense stupéfaction pour notre héroïne du jour; Car enfin, elle était bien certaine d'être une fille. Elle passera son enfance dans cette interrogation étrange que doit être celle du daltonien qui n'ose plus porter son costume gris préféré parce que tout le monde s'esclaffe en lui disant qu'il est vert pomme. Pourtant lui le voit gris, il ne l'imagine pas il ne l'invente pas, ce gris il le voit. C'est ce vert pomme dont il ignore tout. Faudrait il que pour satisfaire le plus grand nombre il se gausse lui aussi prétendant voir en effet, un invraisemblable costume vert pomme? C'est tout à fait pareil en ce qui la concerne. Elle se voit fille tout le monde la voit garçon.
La future Coccinelle devra attendra la liberté qu'offre la majorité légale pour se parer de toutes les couleurs qu'elle veut. En attendant l'âge de la délivrance, elle s'est évadée dans le rêve. Et pour elle, le rêve c'est le monde fabuleux des stars de cinéma.
A l'âge de 22 ans, on était majeurs à 21, ses stars préférées n'ont plus aucun secret pour le petit Jacques. Son moment de bonheur absolu c'est lorsque dans le secret de sa chambre, il peut se travestir et devenir Martine Carol, la vraie Martine, plus sensationnelle encore que Caroline chérie. Mais toute Martine parfaite qu'il puisse devenir, le petit Jacques ne risque pas de se voir offrir des rôles rien qu'en entrant de sa démarche chaloupée sur talons aiguilles dans un studio de cinéma. Jacques n'est pas dupe. Il sait que la Martine fabuleuse qu'il offre à voir est créée de toutes pièces sur la carcasse de Jacques Dufresnoy.
Mais il y a un endroit au monde où être ce qu'il ne se décide pas à appeler "un homme" mais plus pudiquement "un garçon" peut être un avantage: Un cabaret transformiste dont la mode est en plein essor. Même le frère de sa future majesté la reine Fabiola de Belgique aura le sien. "Chez Fabiolo". Pour Jacques qui choisit de s'appeler Coccinelle, ce sera "Madame Arthur" à Paris. De Martine Carol, Coccinelle passera à Marilyn Monroe plus époustouflante encore que la vraie. Mais les spectacles de transformistes sont des spectacles burlesques. Or, Coccinelle n'est pas burlesque. Elle est très belle et chante d'une voix féminine et bien placée. Il y a un décalage.
Un décalage qui lui importe peu. L'essentiel est de gagner assez d'argent pour une vaginoplastie. Opération qui la débarrassera de ses attributs masculins et lui permettra de vivre enfin une sexualité de femme. Une opération interdite en Europe et qu'elle devra subir à Casablanca. Elle sera la première européenne connue a franchir le pas. A ses risques et périls. On lui promet la mort, la paralysie, la folie ou pire: la frigidité. Coccinelle n'en a cure et s'il faut mourir en tentant de s'accomplir ou rester à jamais Jacques Dufresnoy, l'artiste ne se pose même pas la question.
Sa décision est prise. Elle passe à l'acte en 1956 autant dire à l'âge de pierre de la technique.
Mais avant de s'envoler pour Casablanca jouer sa vie à ce qui ressemble alors à un quitte ou double, il s'est passé des choses dans sa vie d'artiste. Le décalage entre Coccinelle et les "travestis comiques" de chez madame Arthur a donné une idée au directeur du "carrousel de Paris": Engager Coccinelle comme une vedette "normale" tout en ne laissant planer aucun doute sur son identité. "Le Carrousel de Paris" est l'ancien cabaret de Joséphine Baker où elle a plus fait la bringue que chante. Brel, Barbara, Leo Ferré, Sacha Distel, Serge Gainsbourg, Piaf et Dalida s'y sont produits. On n'est plus du tout chez "les invertis" comme on disait à l'époque.
Coccinelle chante, danse, séduit, enjôle, c'est le triomphe. C'est une véritable star qui s'envole pour Casablanca. A son retour c'est l'Olympia qui l'attend!
Son opération réussie, son tour de chant aussi, c'est le très prestigieux Robert Badinter en personne qui plaide pour elle et crée un précédent: Il lui obtient un état civil féminin. En 1959, naît officiellement Jacqueline Charlotte Dufresnoy. Une prouesse qui restera sans lendemain, l'état français refusant ensuite le changement de prénom et d'état civil aux personnes transgenre pour plusieurs décades.
Coccinelle, qui de Marilyn est passée à sa nouvelle idole Brigitte Bardot concrétise son rêve ultime en se mariant en grandes pompes, en blanc, et à Notre Dame s'il vous plaît. L'heureux époux, le journaliste sportif Francis Paul Bonnet ne sera pas tendre avec son éphémère épouse. Mariés en mars il divorcent en septembre. Ce mariage dut faire quelques déçus, célèbres ou non dont Sacha Distel, Gilbert Bécaud ou...Fernand Raynaud qui ne faisaient pas mystère de leur admiration.
Coccinelle commente: Un jour merveilleux, surtout quand on m'a lancé des œufs pourris sur ma robe.
Et puis franchement?
Avait elle une tête à devenir madame Jacqueline Bonnet pour la vie?
Avec une telle renommée, une telle popularité, et il faut bien le dire un tel physique, il était impensable que le cinéma ne s'intéresse pas à elle.
C'est Alessandra Blasetti qui la fait débuter à l'écran en 1959. On pourrait croire alors que Coccinelle touche du bout des doigts le paradis de ses plus grands rêves: le monde du cinéma.
Il n'en sera rien. Il y a longtemps déjà qu'elle s'est elle-même créée de A à Z qu'elle invente sa vie son spectacle. Se mettre au service d'un réalisateur pour servir un auteur ne lui plaît pas. Le cinéma est contraignant, rigoureux. Elle doit être sur le plateau à cinq heures du matin!
A cette heure là elle n'est même pas encore couchée.
Sa beauté transcende l'image, le cinéma ne transcende pas Coccinelle. Très pudiquement elle déclarera: "Je suis faite pour imiter, pas pour créer".
C'est faux. Mais c'est diplomatique.
Et puis, ce qu'elle ne dit pas, c'est qu'elle a découvert assez stupéfiée que son spectacle avec lequel elle se produit dans le monde entier et qui l'amuse follement lui rapporte infiniment plus d'argent.
A la mort de Marilyn, la Century Fox se traîner à ses pieds pour lui offrir un contrat et succéder à l'idole disparue dans un film prévu pour elle "Goodbye Charlie".
Elle refuse!
Malgré la Cadillac convertible assortie au vert émeraude de ses yeux offerte en cadeau de bienvenue.
Elle refuse!
Elle tournera encore. Pour faire plaisir, parce qu'elle a le temps, parce qu'elle joue son propre rôle.
Et lorsque je dis "si elle à le temps" c'est un euphémisme. Il est arrivé que son spectacle en Amérique latine ou dans les pays du golf soient prolongés de semaine en semaine durant...Des années!
Tant qu'il y a du soleil, la mer et la plage, elle est contente elle devient une sorte de Brigitte Bardot gitane, une Bardot itinérante...Avec sa troupe, sa vraie famille.
Bataillant contre l'embonpoint, elle verra avec stupeur la liberté des années 60 disparaître, les mœurs se corseter avec l'émergence des préceptes religieux que l'on croyait abolis à tout jamais, piétinés par une Coccinelle en talons dorés. Comment pouvait elle s'imaginer que l'on obligerait les femmes à se voiler de noir dans des pays où les hommes voulaient mourir pour un regard de Coccinelle après lui avoir lancé des joyaux, de l'or et des diamants après l'avoir baignée de champagne pour encore une chanson, une dernière dans la nuit de Tripoli ou de Téhéran.
Coccinelle retrouvera l'Europe et l'Europe retrouvera Coccinelle. Comme une amie perdue de vue. Elle retrouve la notoriété la popularité, elle est de tous les plateaux TV et se remariera même en direct!
Puis le temps continuant son cours, Coccinelle s'installera dans son midi adoré, ni oubliée ni retraitée.
C'est là qu'elle décède des complications d'un AVC le 9 octobre 2006.
En 2017 la ville de Paris inaugure la "promenade Coccinelle" qui mène du boulevard de Clichy à la place Pigalle c'est la première fois qu'une personne transgenre a droit à cet honneur.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1959: Nuits d'Europe: Avec Alba Arnova
1962: I Dongiovanni della Costa Azzurra: Avec Curd Jürgens, Martin Carol et Annette Stroyberg
1962: Los Viciosos: vec Graciela Borges
1968: Dias di Viejo Color: Avec Cristina Dalbo