
Lorsque l’on jette un œil sur la carrière de Spring Byington, par simple curiosité ou même par inadvertance, on reste immédiatement sidéré par cette invraisemblable liste de titres parmi les plus prestigieux du golden âge hollywoodien. Alors certes, Spring n’y tient pas les premiers rôles. Mais reste que son palmarès est, dans l’absolu, peut-être le plus prestigieux de tous ! Et quand on saura que sa vie privée valait bien le meilleur de tous ses scénarii, on aura compris à quel point la dame fut extraordinaire.
Spring Byington naît le 17 Octobre 1886 à Colorado Springs au Colorado. Ses parents Maud et Edwin auront encore une fille et un garçon, Spring étant donc l’aînée. Nous sommes dans une famille d’érudits. Edwin est professeur et surintendant des écoles et Maud a fait de très brillantes études, tout à fait exceptionnelles pour une femme de son époque.
Bien qu’elle ait renoncé pour se marier et devenir maman, la suffragette couvait sous les jupons et les tournures, et on n’avait encore rien vu.
La famille s’est installée à Denver lorsqu’Edwin décède subitement. A l’époque une veuve avec trois enfants tombe immédiatement au tréfonds de l’échelle sociale et de la misère. Mais c’est mal connaître madame veuve Byington qui encore toute endeuillée vend tous les avoirs de la famille à Denver, met sa cadette dans un train direction l’Ontario où elle a de la famille tandis qu’elle part pour Boston avec les deux aînés. But du voyage : entrer à l’université de médecine et devenir médecin !

On connaît la lutte qui fut nécessaire pour l’acceptation des personnes de couleur dans les universités américaines. Et bien ce n’est rien en regard de celle qu’il fallut mener pour qu’on y accepte les femmes 50 ans plus tôt ! Certains établissements taxés de sectarisme et de misogynie feront savoir sans rire qu’ils seraient ravis d’accepter ces demoiselles mais qu’hélas leurs établissements ne disposent pas de commodités prévues à cet effet ! Ça semble tout à fait grotesque que d’interdire l’érudition sous prétexte de sanitaires mais ce sera le cas dans des établissements aussi prestigieux que Yale ! Alors imaginons l’accueil qui dut être fait à cette veuve mère de trois enfants ! Aujourd'hui encore elle serait poliment dissuadée, non plus pour affaire de tuyauterie mais de quotas.
Elle réussit pourtant et haut la main. Son diplôme dans un joli cadre doré elle fit le chemin en sens inverse et s’installa à Denver pour y exercer sa pratique ouvrant son cabinet avec un autre toubib en jupons. Avec une mère de cette trempe on se doute bien que la jeune Spring en prit de la graine. Elle déclara, fermement campée devant sa mère à stéthoscope qu’elle avait tâté du théâtre en amateur et qu’elle comptait bien en faire son métier
Sa mère leva à peine un sourcil et ainsi fut fait.
En 1907, Spring est déjà comédienne depuis trois ans lorsqu’un cancer emporte son intrépide maman en quelques semaines. Les trois enfants Byington sont adoptés légalement par la famille d’Ontario. Mais Spring qui est maintenant majeure décrète qu’elle n’ira pas au Canada et descendra du train à New-York, pays des actrices.

Un an après son arrivée, Spring épousait le directeur de la troupe qui l’avait engagée, Roy Chandler. La concurrence à Broadway étant plutôt rude, Chandler accepta une tournée en Argentine avec sa troupe. Partis en 1908, ils rentreront en 1916 ! Ils y seraient peut-être encore si Spring n’avait pas exigé d’accoucher de son premier enfant à New-York. La petite Phyllis viendra au monde à New-York les malles de la troupe à peine défaites et Loïs viendra compléter la famille dès l’année suivante. Le couple Chandler divorcera en 1920.
Spring consacrera alors son temps essentiellement à sa carrière, exactement comme l’avait fait sa mère avant elle. Et tant pis si les filles passent beaucoup de temps chez tonton et tantine en Ontario. l’air y est saint et c’est salutaire à la bonne santé des enfants ! A peine si leur mère ne les envie pas dans ses lettres, elle soumise à l’infernale poussière des scènes et des coulisses.
C’est que miss Byington a 34 ans à l’heure de son divorce et pour une actrice, même si elle est encore jolie et très allurale, il n’est plus temps pour la sentimentalité si on ne veut pas finir dans quelque canfouine sordide des rues basses à ressasser des souvenirs de gloire mal gérée. Elle connaîtra enfin ses premiers succès personnels en 1924, à 38 ans. Elle en a 40 lorsque son nom en lettres lumineuses au fronton des théâtres attire le public en nombre.

Elle a 45 ans bien sonnés lorsqu’Hollywood se met à parler et attire tout le ban et l’arrière ban des acteurs de Broadway pour qu’ils parlent devant les caméras. C’est Katharine Hepburn et Georges Cukor qui incitent Hollywood à faire venir Spring Byington. Celle-ci flattée est surtout très intéressée. Elle pourrait gagner en un film ce qu’elle gagne en six mois à Broadway mais hésite quand même. Elle n’a plus vingt ans, elle n’en a même plus 30 ni 35. Alors elle tourne un court métrage histoire de voir la tête qu’elle a sur un écran.
C’est convaincue d’elle-même qu’elle débarque sur le plateau de « Little Women », la première perle de sa couronne californienne. Son premier triomphe, son premier « classique ». Spring qui voyait son âge comme un handicap le voit maintenant comme une aubaine. Hollywood met des mois à préparer les films de ses plus grandes stars. Mais dans chaque film il y a un rôle que Spring Byington pourrait tenir . Elle a son personnage : celui de la gentille maman, la gentille tante, la gentille voisine. Toujours compréhensive et bien de sa personne malgré l’âge, quitte à jouer quelques évaporées et quelques fofolles au passage. Elle a en outre un gros avantage sur les quelques autres vétéranes attitrés d ‘Hollywood : elle porte magnifiquement la toilette ce qui n’est pas forcément le cas d’une Marie Dressler !
Tournant presque en exclusivité pour la MGM, souvent distribuée dans des comédies familiales qui font alors fureur, elle tournera avec les plus grands noms de son temps comme Katharine Hepburn, Barbara Stanwyck, Bette Davis, Gary Cooper, Errol Flynn, William Powell, Lionel Barrymore, Hedy Lamarr et Joan Bennett !

Voilà déjà un palmarès assez sensationnel auquel on peut ajouter Mickey Rooney, Irène Dunne, Clark Gable, Leslie Howard, David Niven, Ginger Rogers, Olivia de Havilland ou Doris Day. Et bien sûr si ce n’est pas suffisant, je peux ajouter James Stewart, Robert Taylor, Henri Fonda, Joan Crawford, Fredric March, Loretta Young, Jean Arthur ou Shirley Temple !
Elle restera une star énorme durant près d’un quart de siècle. Non que son nom à l’affiche se fasse précipiter le public dans les salles obscures mais parce que lorsque son nom apparaît au générique, Juste après les deux stars, on se trémousse d’aise dans la salle. Lorsqu’enfin elle paraît, tout le monde a le sourire. Tout le monde adore, adule Spring Byington. Les dames de son âge aimeraient bien « être comme elle à son âge, toujours si chic, si pimpante » et tout le monde aimerait l’avoir comme maman, comme grand’mère, comme tante, comme confidente ou comme voisine.
Hollywood s’était bien entendu chargé de la consacrer en lui décernant l’Oscar du meilleur second rôle féminin en 1938 pour « You Can’t Take It with You » où elle s’en était donné à cœur joie entre James Stewart et Jean Arthur dont elle jouait la mère gentiment perchée.

Au début des années 50 la télévision fit une percée foudroyante dans les foyers américains. Beaucoup de stars hollywoodiennes affichèrent un mépris souverain pour la chose, d’autres s’y engouffrèrent persuadés que l’avenir n’était pas dans la panavision mais dans le petit écran. Spring Byington ne fit partie ni des uns ni des autres. Elle avait gardé un souvenir ému de ses années de tournée en Amérique latine et y investissait dans des plantations de café. Elle cultivait sa maîtrise de l’espagnol et du portugais en écoutant tout en dormant des enregistrements toute la nuit. On la dit même, un temps, très sérieusement fiancée à un très riche planteur qui, paraît-il, mourut subitement sans qu’elle n’en paraisse autrement affectée.
Les mauvaises langues et dieu sait qu’à Hollywood on en cultive au moins autant que de grains de café en Colombie, prétendaient que le riche planteur était en réalité l’inénarrable Marjorie Main avec qui Spring filait régulièrement en escapade sentimentale dans son paradis latin. On ne prête qu’aux riches c’est bien connu et que ce soit vrai ou pas cela ne concerne que les deux joyeuses intéressées.
Pour en revenir à la télévision c’est parce qu’on lui proposa, un peu paradoxalement d’ailleurs d’y revenir au théâtre ! La jeune télévision avait alors à cœur de montrer au public des confins lointains, c’est à dire deux rues plus loin que Broadway, les grands succès que l’habitant de l’Arkansas ou du Wyoming n’avait eu aucune chance d’applaudir. Et au théâtre, même filmé, Spring Byington ne résistait pas. Elle découvrit avec stupeur des tournages beaucoup plus rapides car moins contraignant techniquement et ce n’était pas pour lui déplaire. Malgré ses élégances, Spring avait maintenant 70 ans. C’est comme bien d’autres stars à l’époque le petit écran qui l’éloignera du grand.

Elle avait joué durant la guerre dans un feuilleton radiophonique « December Bride » que Lucille Ball avait adoré. Devenue la femme la plus puissante d’Hollywood à la tête des Desilu productions, Lucille se lança dans l’adaptation télévisée de « December Bride », immédiatement après les premiers succès de son propre show « I love Lucy ». Ce fut un deuxième bingo pour la Desilu et Spring tournera 111 épisodes de »December Bride » !
L’aventure terminée elle tiendra un rôle récurrent dans une autre série triomphale : « Laramie ».
Il n’y a décidément que le temps qui puisse venir à bout de femmes telles que Spring Byington. Elle s’éteignit le 7 septembre 1971 à 84 ans, un peu plus d’un mois avant d’en avoir 85. Elle avait tourné jusqu’à 80 ans, donnant son baroud d’honneur face à Sally Field qui s’essayait à la télévision dans un rôle de nonne volante !
Céline Colassin.

QUE VOIR ?
1930: Papa’s Slay Ride: Avec Hugh Cameron
1933: Little Women: Avec Katharine Hepburn et Joan Bennett
1935: Mutiny on the Bounty: Avec Clark Gable
1936: Educating Father: Avec Dixie Dunbar
1936: Palm Springs: Avec Frances Langford et David Niven
1936: The Voice of Bugle Ann: Avec Maureen O’ Sullivan et Lionel Barrymore
1936: The Girl on the Front Page: Avec Gloria Stuart
1936: The Charge of the Light Brigade: Avec Olivia de Havilland et Errol Flynn
1936: Theodora Goes Wild: Avec Irène Dunne et Melvyn Douglas
1937: Green Light: Avec Anita Louise et Errol Flynn
1937: It’s Love I’m After: Avec Bette Davis et Olivia de Havilland
1937: A Family Affair: Avec Cecilia Parker, Mickey Rooney et Lionel Barrymore
1937: Off to the Races : Avec Shirley Deane et Slim Summerville
1937: Clarence: Avec Eleanore Whitney
1938: The Adventures of Tom Sawyer: Avec Tommy Kelly et May Robson
1938: Jezebel: Avec Bette Davis et Henri Fonda
1938: The Buccaneer: Avec Fredric March
1938: You Can’t Take It with You: Avec Jean Arthur et James Stewart
1939: Chicken Wagon Family: Avec Jane Withers
1939: The Story of Alexander Graham Bell: Avec Loretta Youg, Don Ameche et Henri Fonda
1939: Everybody’s Baby: Avec Shirley Deane
1940: The Blue Bird: Avec Shirley Temple
1940: Young as You Feel: Avec Joan Valerie
1940: On Their Own: Avec Kenneth Howell
1940: Lucky Partners: Avec Ginger Rogers et Ronald Colman
1940: My Love Came Back: Avec Olivia de Havilland
1941: Meet John Doe: Avec Barbara Stanwyck et Gary Cooper
1941: When Ladies Meet: Avec Joan Crawford et Robert Taylor
1941: Arkansas Judge: Avec June Weaver et Léon Weaver
1941: Roxie Hart: Avec Ginger Rogers
1942:The Affairs of Martha: Avec Marjorie Main et Marsha Hunt
1942: The War Against Mrs. Hadley: Avec Jean Rogers
1943: Presenting Lily Mars: Avec Judy Garland
1943: Heaven Can Wait: Avec Gene Tierney et Don Ameche
1944: The Heavenly Body: Avec Hedy Lamarr et William Powell
1944: I’ll Be Seeing You: Avec Ginger Rogers, Shirley Temple et Joseph Cotten
1945: The Enchanted Cottage: Avec Dorothy McGuire
1945: Thrill of a Romance: Avec Esther Williams
1946: Dragonwyck: Avec Gene Tierney et Vincent Price
1946: Faithful in my Fashion: Avec Donna Reed et Tom Drake
1947: My Brother Talks to Horses: Avec Beverly Tyler et Peter Lawford
1947: It Had to Be You: Avec Ginger Rogers et Cornel Wilde
1947: Living in a big way: Avec Marie MacDonald et Gene Kelly
1947: Cynthia: Avec Elizabeth Taylor
1949: The Big Wheel: Avec Mary Hatcher, Lina Romay et Mickey Rooney
1950: Louisa: Avec Ruth Hussey et Ronald Reagan
1950: Please Believe Me: Avec Deborah Kerr, Mark Stevens, Peter Lawford et Robert Walker
1954: The Rocket Man: Avec Anne Francis et James Coburn
1960: Please Don’t Eat the Daisies: Avec Doris Day et David Niven