VIVECA LINDFORS
- Céline Colassin
- il y a 2 jours
- 4 min de lecture

Une fois n'est pas coutume, commençons par un mari. Il y a des hommes qui font carrière dans les divorces glorieux. Harry Hasso est un de ceux-là. Réalisateur, photographe, charmeur scandinave, il avait épousé Signe Hasso — jolie Suédoise partie conquérir Hollywood. Elle l’a quitté pour les studios. Il s’est consolé avec une autre actrice suédoise, Viveca Lindfors. Elle aussi l’a quitté… pour Hollywood. Deux épouses sublimes, deux billets aller simple, même destination. On appelle ça un motif récurrent — ou une vocation.
Viveca, née à Uppsala en Suède le 29 décembre 1920 , sous le patronyme complet d' Elsa Viveca Torstensdotter Lindfors est fille d’un officier qui lui répétait que les filles d’officiers ne pleurent pas, et qui la met très vite en compétition avec sa soeur. A celle qui sera digne de l'intéresser quelques heures.
Viveca a donc pris le large sans mouchoir. Warner Bros voulait en faire une nouvelle Greta Garbo, une autre Ingrid Bergman, avec juste ce qu’il faut d’accent et de mystère. Elle avait vingt-cinq ans, des yeux d’hiver et un tempérament de printemps. Mais elle est loin d'être une débutante, elle débarque avec un palmarès européen de 20 films à son actif. Dans les studios, on la présente à Errol Flynn sous le nez de Bette Davis qui le méprise comme homme et comme acteur. Errol le héros fatigué, déjà plus légende que vivant. Il la trouve fascinante. Elle le trouve triste. Ils s’entendent. Elle dira plus tard : J’aimais Errol, vraiment. Il jouait à l’homme heureux pour ne pas mourir de mélancolie. Hollywood, c’est souvent ça : des gens splendides qui s’ennuient à la perfection.

Viveca, parfaite standing lady ne tirant jamais la couverture à elle donnera la réplique à quelques géants d'Hollywood dont James Cagney, Roy Scheider, Glenn Ford, Ed Harris Dana Andrews ou Nicolas Cage. Et ce sans oublier les collaborations un peu plus risquées avec Bette Davis ou Faye Dunaway Et lorsque l'on sait qu'elle n'acceptait un film que si elle était certaine d'être à la hauteur de ses partenaires, tout est dit...ou presque
Quand la machine à rêves se referme, Viveca file à New York. Elle préfère le théâtre, la poussière, les cafés où personne ne prononce votre nom correctement. Elle se marie à nouveau Avec Folke Rogard, juriste élégant devenu président de la Fédération mondiale des échecs. Une union cérébrale : il calculait les coups, elle jouait avec les pions. Puis vint Don Siegel, futur réalisateur d’Invasion of the Body Snatchers et mentor de Clint Eastwood. Un homme d’action, persuadé qu’il pouvait diriger le monde comme un plateau de tournage. Viveca l’a quitté dès qu’elle a compris que sa caméra avait plus de répliques qu’elle.
Enfin, George Tabori. Écrivain, metteur en scène, juif hongrois rescapé des tragédies du siècle. Entre eux, ce fut du feu intelligent : ça discutait Freud le matin, Brecht à midi et l’amour le soir. Entre deux répliques Ils ont eu trois enfants, dont Kristoffer, qui deviendra réalisateur. Tabori restera l’homme qui l’a comprise sans chercher à la réparer.

Derrière cette trajectoire brillante se cache un chagrin ancien : un frère, Bjarne, sensible, tourmenté, disparu trop tôt, avalé par sa propre tristesse. Viveca n’en parlait presque jamais, mais on sentait cette perte sous sa voix — une faille élégante, un silence têtu. C’est peut-être ce qui la rendait si digne : elle connaissait le poids de l’absence.
Et puis, le couteau. Janvier 1990, Greenwich Village. Viveca sort d’un immeuble, entourée d’amis. Un jeune homme, Peter Bedford, dix-neuf ans, s’avance et la blesse au visage et lui coupe l'oreille. Vingt-huit points de suture. des blessures au cutter, les pires. Aucun motif. Juste la violence nue, gratuite, bête. Elle sort de l’hôpital, se poudre, et donne sa lecture de poésie le soir même. Le fer de la lame a entaillé profondément sa joue au même endroit que Katharine Hepburn, trente ans plus tôt — blessée par un ventilateur de tournage. Deux actrices, deux cicatrices, deux manières de dire à la vie : tu ne m’auras pas, je resterai debout Deux actrice dans le deuil éternel d'un jeune frère qui a choisi de ne pas vivre.

Ce qui frappe, chez Viveca, ce n’est pas la beauté pourtant sublime — c’est la tenue. Une façon de se redresser, de reprendre la parole là où d’autres se tairaient. Elle écrit, joue, met en scène, fonde une troupe, crée I Am Woman, un solo féministe avant la mode. Elle dit : Quand une femme tombe amoureuse, le monde s’ouvre. Mais souvent, c’est une trappe. Et elle rit.
Viveca Lindfors n’a jamais été une star classique. Trop libre pour les studios, trop profonde pour la publicité, trop drôle pour la tragédie. Trop intellectuelle pour les marchands de soupe d'Hollywood. Elle s’est tenue sur sa ligne — entre rage et grâce, entre cicatrice et sourire. Lorsqu’elle est morte en 1995, à Uppsala, on a dit qu’elle “avait rejoint les étoiles”. Je crois plutôt qu’elle les a réorganisées.
Viveca s'éteint le 25 octobre 1995, emportée par les complications d'une polyarthrite rhumatoïde. Cette maladie qui aura dévasté Edith Piaf avant d'en avoir raison.

Viveca avait 75 ans, elle en aurait même eu 76 quelques semaines plus tard Star d'Hollywood bien oubliée, ce dont elle se fichait comme d'une guigne, fière d'une carrière d'actrice de plus de 50 ans. Elle aura tourné ses deux derniers films l'année de sa mort et donné vie à plus de 150 personnages rien qu'au cinéma. Toujours inattendue, Viveca avait réalisé son premier film à plus de 70 ans et s'était offert le luxe de se diriger elle-même.
Celine Colassin

QUE VOIR?
1940: Sunrriga Familjen: Avec Elsa Carlsson
1945 Maria Pâ Kvarnagârden: Avec Irma Christenson
1945: Svarta Rosor: Avec Anders Ek
1948: Les Aventures de Don Juan: Avec Errol Flynn
1950: The Flying Missile: Avec Glenn Ford
1950: No Sad Song for Me: Avec Margaret Sullavan
1951: Journey Into Light: Avec Sterling Hayden
1955: Run for Cover: Avec James Cagney
1958: I Accuse: avec José Ferrer
1961: King of Kings: Avec Jeffrey Hunter
1965: Brain Storm: Avec Jeffrey Hunter et Anne Francis
1970: Portrait d'une Enfant déchue: Avec Faye Dunaway
1979: Voices: Avec Amy Irving
1982; Creepshow: Avec Ed Harris
1985: Yellow Pages: Avec Jean Simmons
1985: The Sure Thing: Avec John Cusack
1987: Rachel River: Avec Pamela Reed
1990: The Exorcist III: Avec George C. Scott
1991: Zandalee: Avec Nicolas cage et Erika Anderson
1994: Stargate: Avec Kurt Russell et James Spader
1995; Run for Cover: Avec Adam West
1995: Last Summer in the Hamptons: Avec Victoria Foyt


