ANN HARDING
- Céline Colassin
- 26 avr.
- 8 min de lecture

Comment se peut-il qu’une star d’Hollywood, une star de première grandeur, soit aujourd’hui aussi oubliée qu’Ann Harding? Certes, bien des actrices voient leur gloire s’essouffler dans les mémoires mais lorsqu’on a été une superstar célébrée pour sa beauté, son élégance, sa voix et son talent, est-ce bien normal? Ann fut même admirée pour ses jambes sublimes qui furent illustres bien avant celles de miss Dietrich. Elle fut admirée pour sa longue chevelure blonde qu’elle portait lâchée librement sur ses épaules Alors même que le cheveux court était de la plus absolue rigueur ou ramenée en un classieux chignon bas qui deviendrait bientôt sa marque de fabrique.
Pour son allure folle qui faisait d’elle l’arbitre des élégances filmées, il était d’ailleurs convenu qu’elle dépassait encore en distinction la first lady MGM miss Norma Shearer elle-même
Pour sa voix qui à l’apparition des micros fit d’elle la « first Talking lady » d’Hollywood.
Les studios se l’arrachaient. Son nom à l’affiche d’un film était synonyme de prestige et de recettes faramineuses. Ann pouvait donc se permettre de ne tourner que pour les plus grands et bien entendu avec les meilleurs et les plus prestigieux de ces messieurs…

Ann Harding vient au monde le 7 Août 1901 au Texas sous le patronyme de Dorothy Walton Gatley. Nous sommes très exactement à Fort Sam Houston. Son père, ancien cadet de West Point est un militaire de carrière et ne badinera jamais avec la discipline à la maison. La future star grandira dans nombre de ville différentes au gré des casernements paternels.
Née au Texas, Ann sera diplômée dans un collège du New-Jersey. Son père sera un des grands héros américains de la grande guerre dont il reviendra saint et sauf.
Mais la discipline de fer qu’il avait infligée à sa fille durant toute son enfance aura des répercussions. Anne coupera les ponts avec son père. Elle n’acceptera de lui adresser à nouveau la parole puis de se réconcilier vaguement que quelques semaines avant la mort du héros.
Passionnée de théâtre, Ann trouvera un emploi de lectrice de scripts avant de faire ses débuts à Broadway en 1921. Elle fête ses magnifiques 20 ans sur scène devant un parterre d’admirateurs déjà éblouis. En quelques années elle deviendra une des plus grandes vedettes des scènes américaines, emmenant ses plus prestigieux succès en tournée. Partout l’Amérique se presse pour l’admirer, « voir en vrai » cette authentique sirène qui sera bientôt pour le pays entier le symbole de la vie saine.
Préceptes nouveaux alors de celle qui deviendra le premier gourou beauté santé de l’histoire. Miss Sylvia de Hollywood dont Ann est devenue l’égérie, la preuve triomphante des bienfaits des méthodes de Sylvia bien qu’en toute objectivité, l’éclatante beauté de l’actrice ne lui doive rien.
Ann Harding épouse en 1926 son partenaire dans l’un de ses films à succès, l’acteur Harry Bannister. Leur fille Jane vient a monde en 1928 entre deux triomphes de ses parents qui ne se produisent plus qu’ensemble sur scène et sont devenus un des couples phares du théâtre américain.

En 1929, elle accepte enfin de paraître dans un film, il y avait longtemps qu’Hollywood se traînait à ses pieds mais le cinéma se taisait. Ann n’était que peu convaincue, ne voyant pas ce qu’il y aurait de gratifiant pour elle de comparer sa gloire à celles de Lupe Velez, Mae Murray, Thelma Todd, Lina Basquette ou Clara Bow! Elle n’était pas du même monde que ces joyeuses créatures certes très distrayantes mais sorties d’on ne savait où et arrivées dieu sait comment.
Mais enfin, il s’agissait de donner la réplique à Fredric March, un des rares acteurs qu’elle admirait doublé d’une parfaite éducation jamais prise en défaut. Ann accepta donc de venir se taire à l’écran dans le premier rôle féminin de « Paris Bound ». Fredric March resterait son éternel ami. Il sera son premier et son dernier partenaire à l’écran. Quant à son mari, elle avait exigé qu’il soit engagé avec elle et ils seront partenaires deux fois à l’écran avant de divorcer en 1932.
Le public est sous le choc provoqué par l’apparition de cette nouvelle sublime étoile. Sacrée grande vedette en un film, elle est portée au pinacle dès qu’elle sa fait entendre pour la première fois! Elle est avec Greta Garbo la seule star non chantante que le micro a propulsée vers de nouveaux sommets encore jamais atteints par personne. En 1931 les Oscar la consacrent définitivement en la plaçant en lice pour l’Oscar de la meilleure actrice pour « Holiday »
La vétérane Marie Dressler emportera ce soir là la statuette déjà très convoitée. Ann Harding restait sur le banc de touche avec Marlène Dietrich, Irène Dunne et Norma Shearer. Sa rivale en jambes, sa rivale en talent et sa rivale en élégance.

Ann Harding sous contrat chez RKO est considérée comme la grande rivale de Norma Shearer qui elle-même n’est autre que la plus prestigieuse actrice du plus prestigieux studio d’Hollywood: la MGM. Elle est avec Myrna Loy et Constance Bennett, la seule actrice du studio pour qui on achète des histoires à leur intention afin de produire des films à leur gloire. Pour situer le prestige d’Ann Harding, son studio la considère à l’égale de Constance Bennett et Constance est la star féminine la mieux payée du monde!
En 1933, mêlée à ce qui fut alors un scandale inouï, ni sa cote au box office ni son image de sainte n’en seront ébranlées Anne accompagnait l’acteur Alexander Kirkland et sa secrétaire pour une sortie à la voile au large de Cuba. Une tempête se leva et le petit bateau fut retourné par les vagues jetant ses occupants au bouillon. L’homme d’équipage essaya de gagner la côte à la nage mais fut happé par un requin. Très vite la nouvelle tomba sur les téléscripteurs et fit le tour du monde aussi vite que si on avait déjà inventé internet. La star Ann Harding avait dit-on trouvé une mort tragique en mer et on ajoutait que si les occupants du bateau n’avaient pas réagi assez vite à l’approche de la tempête c’est qu’ils étaient à ce moment là très occupés à d’autres distractions n’ayant aucun rapport avec le temps qu’il faisait ni avec la navigation.
La nouvelle était-elle partiellement ou totalement fausse, qui pourra le dire? Ann Harding restée accrochée des heures à la coquille de noix retournée n’avait pas trouvé une mort tragique en mer. Mais par contre elle avait bien perdu sa robe et quelques autres éléments vestimentaires et quelques compagnons de voyage.

Son ex mari en profita pour envenimer la procédure de divorce, menaçant Ann de « révélations très scabreuses » s’il n’obtenait pas la garde de leur fille. L’actrice mit autant de persévérance à se défendre qu’elle en avait mis à rester accrochée à une coque de voilier retourné. L’indélicat rangea ses allégations sensationnelles contre, il est vrai une très substantielle somme d’argent.
Mais le prestige de grande dame à la beauté sublime qui vaut à Ann Harding ses plus grands succès va bientôt lui valoir ses premiers déboires. Bien qu’elle ait connu un succès commercial et personnel avec un rôle de femme à la moralité douteuse dès son deuxième film « Her Private Affair », le code Hayes allait mette bon ordre à sa carrière. Ann Harding deviendrait l’archétype de la femme sublime et irréprochable sachant souffrir dans la dignité. Elle est la madone dévouée et pardonneuse attendant telle une belle au bois dormant sur des couvre-lits d’hermine que monsieur revienne demander pardon à madame.
Elle n’est pas la seule actrice de l’époque à batailler avec son studio pour obtenir des rôles moins stéréotypés.
Greta Garbo, Katharine Hepburn, Bette Davis, Olivia de Havilland et Joan Crawford livrent le même combat. Ann Harding ne gagnera pas le sien. Il faut dire qu’elle le menait mollement.
Après quelques récriminations elle laissait tomber « Oh et puis après tout, si c’est ce que le public demande! ». Anne tournerait ce qu’on lui demandait. Forcément les rôles plus étoffés allaient à ses rivales qui elles ne cédaient jamais et ne faisaient jamais d’un « non » un « oui ». Lorsque le public se détournera de ses sempiternels personnages de sainte haute couture, elle même s’en était lassée depuis bien longtemps.
Deux ans avant Greta Garbo, dès 1937 elle envoie bouler Hollywood à la faveur de son second mariage avec le chef d’orchestre Werner Janssen. Une seconde petite fille viendra couronner ce second mariage. Grace Kay Janssen.

Mais Ann Harding était une actrice et adorait cela. La mièvrerie des scénarii qu’Hollywood lui donnait à défendre n’avait en rien entamé sa vocation. Peut-être même au contraire l’avait-elle exacerbée tout en l’empêchant de livrer la pleine mesure de son talent.
En 1942 elle revient à l’écran jouer une nouvelle carte avec beaucoup d’intelligence. Ann Harding ne se positionne plus comme une « first lady » mais comme une actrice de second rôle sachant exceller dans les personnages de composition.
La seconde partie de sa carrière sera donc forcément la plus intéressante même si les rôles sont moins longs à l’image des traînes de ses robes et les passages où elle pleure. Mais elle aura la chance d’enfin varier les plaisirs et au passage donner la réplique à quelques acteurs parmi les plus mythiques de la génération suivante qui viendront compléter le florilège de ses partenaires prestigieux. Elle aura ainsi donné la réplique à quelques monuments du cinéma américain dont Robert Montgomery, Ronald Colman, Melvyn Douglas, Dana Andrews, Clive Brook, Walter Pidgeon, Conrad Nagel, Gregory Peck, Laurence Olivier, Gary Cooper, Leslie Howard et bien sûr Fredric March et même Myrna Loy, Anne Baxter et Jennifer Jones!
Laurence Olivier l’adorait et déclarait volontiers qu’elle lui faisait croire à l’existence des anges. Jusqu’au jour où il dit ça à Henry Hathaway qui lui répond « Quoi? Cette salope? Un ange? Mon cul, oui! »

La seule chose à laquelle Ann Harding n’avait pas pensé, outre le fait qu’elle ne ferait pas l’unanimité serait la baisse de niveau général du cinéma américain de l’après guerre. Pour quelques chefs d’œuvres on tourne des niaiseries au kilomètre. Son genre était définitivement ailleurs. Pas de « Francis la Mule qui Parle » pour Ann Harding!
L’actrice préfère encore accepter quelques apparitions télévisées qui lui semblent plus dignes d’intérêt que ce que lui propose Hollywood.
Elle avait quitté Broadway au sommet de sa gloire en 1927, elle y revient en 1962, après son second divorce, auréolée d’un prestige intact malgré 35 ans d’éloignement. Ann Harding aura la garde se sa fille adoptive, Grace Kay qui prendra alors le nom de sa mère et deviendra officiellement Grace Kay Harding.
Au grand dam de ses admirateurs, Ann Harding cesse toute activité professionnelle dès 1965 et se retire complètement de la vie publique. Durant des années, scénaristes, réalisateurs et producteurs menaceront de se pendre devant sa porte si elle ne consent pas à tourner le film merveilleux qu’ils lui proposent.
Elle les refusa tous et personne ne se pendit mais elle devint « l’actrice qui a refusé plus de films qu’elle n’en a tournés ».
On apprendra son décès le 1 Septembre 1981 à l’âge de 80 ans fraichement fêtés un mois plus tôt et on découvrit avec stupeur qu’elle avait finalement choisi de retourner vivre à deux pas des studios hollywoodiens dont elle avait été une des reines incontestées
Celine Colassin

QUE VOIR?
1929: Paris Bound: Avec Fredric March
1929: Her Private Affair: Avec John Loder et Harry Bannister
1929: Condemned: Avec Ronald Colman
1930: Holiday: Avec Edouard Everett Norton, Mary Astor et Hedda Hopper
1930: The Girl of the Golden West: Avec Harry Bannister et James Rennie
1931: East Lynne: Avec Clive Brook et Conrad Nagel
1931: Devotion: Avec Leslie Howard
1932: The Conquerors: Avec Richard Dix
1932: Prestige: Avec Melvyn Douglas
1932: Westward Passage: Avec Laurence Olivier
1932: The Animal Kingdom: Avec Leslie Howard
1933: When Ladies Meet: Avec Robert Montgomery et Myrna Loy
1933: The Right to Romance: Avec Robert Young
1933: Gallant Lady: Avec Clive Brook
1934: The Life of Vergie Winters: Avec John Boles
1934: The Fountain: Avec Brian Aherne
1934: Biography of a Bachelor Girl: Avec Robert Montgomery
1935: The Flame Within: Avec Herbert Marshall et Maureen O ‘Sullivan
1935: Enchanted April: Avec Frank Morgan
1935: Peter Ibbetson: Avec Gary Cooper
1936:The Lady Consents: Ave Herbert Marshall
1937: Love From a Stranger: Avec Basil Rathbone
1942: Eyes in the Night: Avec Donna Reed et Edward Arnold
1943: The North Star: Avec Anne Baxter, Dana Andrews et Dean Jagger.
1943: Mission to Moscow: Avec Eleanor Parker
1944: Nine Girls: Avec Evelyn Keyes, Anita Louise et Nina Foch
1944: Janie: Avec Joyce Reynolds
1945: Those Endearing Young Charms: Avec Laraine Day et Robert Young
1947: It’s Happened on Fifth Avenue: Avec Gale Storm et Victor Moore
1947: Christmas Eve: Avec Joan Blondell et Georges Brent
1950: Two Weeks with Love: Avec Jane Powell et Ricardo Montalban
1950: The Magnificent Yankee: Avec Louis Calhern
1950: The Unknow Man: Avec Dawn Addams et Walter Pidgeon
1956: The Man in the Gray Flannel Suit: Avec Jennifer Jones et Gregory Peck
1956: I’ve Lived Before: Avec Jock Mahoney
1956: Strange Intruder: Avec Ida Lupino et Edmund Prudom