BARBARA STANWYCK
- Céline Colassin
- 15 avr.
- 21 min de lecture

Personne n’aurait pu imaginer un seul instant que la petite fille qui venait de naître dans l’étouffante moiteur d’un mois de Juillet à Brooklyn deviendrait un jour une des stars les plus admirées et les plus respectées de l’écran mondial.
Nous sommes le 16 Juillet 1907 et rien ne distingue la misère de la famille Stevens de la misère des autres habitants de ce quartier défavorisé de New-York. Le mois de Juillet 1907 vit aussi la naissance officielle du scoutisme, mais probablement pas dans le même quartier.
La petite fille est baptisée Ruby Catherine Stevens, fille de Catherine Ann Mac Phee d’origine canadienne et de Byron Stevens né dans le quartier.
Les débuts dans la vie de la petite Ruby n’ont rien de glorieux et deux ans plus tard, sa maman mourra écrasée sous les roues du chariot d’un ivrogne.
La petite fille reste seule avec un frère, Malcolm et une grande sœur, Mildred.
Un frère, une sœur et un père dépassé par les évènements qui ne va pas tarder à disparaître lui aussi mais par ses propres moyens. Parti un jour chercher l’embauche, on ne le revit pas. On le saura porté au nombre des victimes qui donnèrent leur vie pour le creusement du canal de Panama.
Ainsi l’obscur Byron Stevens fut-il le père d’une des plus grandes stars du monde et peut-être compagnon de travail de Gauguin lui-même.

Pour Ruby, ce sera la misère et la désolation de foyer d’accueil en orphelinat avec de courtes pauses dans ce manège infernal, pauses durant lesquelles sa sœur Mildred peut prendre un peu soin d’elle à la faveur d’une embauche momentanée. L’enfance défavorisée d’alors est une enfance lamentable et méprisée comme si les adultes épargnés par la misère rejetaient sur les enfants le mépris que leur inspire les « fautes » de leurs parents. Que cette faute soit la mort n’est qu’un détail vulgaire et dégoûtant de plus, les pauvres on le sait ne meurent qu’à cause de leurs abus, de leur inconduite, dans l’alcool, la saleté et les maladies inavouables.
Les classes moyennes et supérieures ne s’abstiennent elles pas d’aller au cinéma puisque ce loisir est réservé aux pauvres puisque dans leurs moyens et qu’il est hors de question de les coudoyer ? Le mépris, certes. Et aussi cette nauséabonde odeur de désinfectant qui heurte si vivement les narines, car à l’époque il faut en effet désinfecter la salle après chaque projection, soit toutes les 20 minutes. Pour l’odeur de transpiration rance, certes, mais surtout pour les parasites.
La misère américaine du début du siècle est loin d’être une vue de l’esprit.
Très vite, la petite Ruby est consciente qu’elle ne peut compter que sur elle-même pour s’en sortir et se cherche au plus tôt des petits boulots afin de pouvoir rester avec sa sœur.
A 13 ans la petite fille est au travail. La chance lui sourira. Elle sera acceptée comme mannequin. A 15 ans. Ca ne rapporte pas autant qu’une journée d’usine mais est moins salissant.

Ziegfeld l’accepte comme figurante dans ses spectacles, mais ce qui ressemble à un miracle ou une chance incroyable n’est en fait qu’un modeste boulot sans gloire ni prestige, Ziegfeld consomme les jeunes filles à la tonne pour ses tableaux vivants dans ses « Folies ».
Bien plus tard, Barbara Stanwyck se souvenant de ses glorieux débuts avouera :
« J’ai été la troisième flamme à gauche sur un chandelier humain, je vous assure que ça forge un caractère ! » Mais l’univers théâtral non seulement fascine la jeune fille mais lui ouvre des perspectives d’avenir. Elle qui ne pensait qu’à survivre se met à envisager des lendemains.
Il y a au théâtre et au music hall des femmes qui font un métier passionnant, suscitent l’admiration et qui de plus est en vivent bien. Elles sont habillées richement, mangent tous les jours, parlent de choses comme « champagne », « bijoux », « fourrures », « voitures », « restaurants » comme si c’était là des choses normales, des choses dues à leur prestige et à leur talent.
C’est décidé, Ruby sera l’une d’elles, mieux encore, elle sera la plus grande, la plus belle, la meilleure.
Même si elle n’est encore au fond qu’une petite fille, elle va se mettre à tout regarder, tout observer, tout apprendre et travailler d’arrache-pied. Aussi jeune soit-elle, elle sait qu’il faut se forger un personnage, se rendre intéressante, se démarquer. Evidemment elle n’a pas de quoi s’offrir des cours d’art dramatique. Mais elle a de quoi s’offrir le zoo et passer ses journées à observer les félins. Leur manière de marcher, de se poser, leur rythme. Elle s’en servira toute sa vie. Chez Clara Bow il y avait du sexe, chez Barbara Stanwyck il y aura de l’animalité.

A 19 ans elle fait enfin de vrais débuts à l’Hudson Theater dans la pièce « The Noose » où elle a un rôle important.
Et pour la première fois la chance va jouer vraiment. La pièce marche, le bouche à oreille fonctionne, « The Noose » sera le hit de la saison.
Un an à l’affiche.
Ruby Stevens est comblée, elle est enfin actrice, gagne de l’argent et qui de plus est, elle vit sa première véritable histoire d’amour avec son partenaire le beau Rex Cherryman. Non content d'être le plus bel acteur du monde, Rex est une véritable star et l’illustre Alla Nazimova ne jure que par lui. Adulé du public féminin il brille à la scène, pendant intellectualisé du Rudolph Valentino des écrans. Car une chose est sûre : Ruby Stevens aime que les hommes soient beaux !
Celle qui est devenue Barbara Stanwyck est folle de bonheur mais un bonheur qui sera de courte durée, Rex Cherryman meurt à 32 ans au Havre alors qu’il passe ses vacances en Europe. Les circonstances de sa mort sont assez nébuleuses et bien moins glorieuses que sa fulgurante ascension : l’acteur serait mort de septicémie après une chute dans une fosse d’aisance.
Barbara Stanwyck est effondrée, elle qui touchait au bonheur après ses années noires voit sa mauvaise étoile la rattraper et la rejeter au néant. L’actrice a tort de douter de sa chance. Une proposition venant d’Hollywood la cueille en plein désarroi.

Rex n’est plus, Broadway lui fait l’effet d’un sépulcre, elle accepte.
Le producteur Bob Kane a entendu les meilleures critiques qui soient à propos de la nouvelle vedette de Broadway. Il la convoque sans la voir et s’avoue assez déçu. Barbara Stanwyck ce n’est pas Greta Garbo ou Norma Thalmadge ! Il la trouve d’une vulgarité doublée de laideur et l’essai qu’elle passera pour lui ne sera pas concluant. Cette femme n’est même pas foutue de pleurer lorsqu’il claque des doigts. Elle croit donc que la pellicule est gratuite ?
Elle fera une vague prestation dans le film où elle aurait dû tenir le premier rôle.
Barbara tournera ensuite d’autres films qui selon sa propre constatation « Vidèrent les salles où on les projetait mieux qu’un lâcher de boules puantes »
Bref, malgré la classe de son pseudonyme, elle est moche, godiche et ne passe pas à l’image. Le public américain des cinémas n’en veut pas. Qu’elle retourne à Broadway brûler sur son chandelier si ça l’amuse mais qu’elle débarrasse le plancher des studios !
Cette Stanwyck n’est pas du bois dont on fait les stars !
Point final !
Elle est complètement livrée à elle-même sur les plateaux, ignorée de tous comme une intruse Annabella et bien plus tard Michèle Mercier confirmeront cette attitude des professionnels du cinéma américain qui s’occupent très bien de leurs affaires en ignorant complètement celles des autres.
Pour couronner le tout, la nouvelle venue éprouve des difficultés à s’habituer à son nouveau nom et lorsque l’on hurle sur le plateau « Miss Stanwyck, s’il vous plaît ! », elle reste sagement sur sa chaise, attendant que l’on appelle enfin Ruby Stevens.

Un homme pourtant s’intéresse à cette actrice prête à faire ses valises : Frank Capra.
Non qu’il la trouve sensationnelle, la première fois qu’il l’a filmée il a déclaré qu’elle n’était pas une femme mais un porc-épic. Mais le cinéma s’est mis à parler et les actrices sachant utiliser leur langue ne sont pas légion à Hollywood. Entre les voix de crécelles et les accents du Wisconsin, c’est plutôt la dèche. Même la fin de Garbo qui s’obstine encore à se taire semble imminente.
Une nouvelle fois, comme avec les félins du zoo, Barbara va se forger une identité. Elle a l’accent du Bronks, elle en est bien consciente. Alors elle va travailler sa diction jusqu’à pouvoir s‘exprimer tout naturellement avec un accent british qui ne déparerait pas dans les conversations à Buckingham Palace…Mais sans perde son accent du Bronks, ça serait trop simple. Barbara Stanwyck aura un phrasé inimitable qui n’appartient qu’à elle. Elle saura suivant les nécessités folâtrer sur tous les mots, en détachant toutes les syllabes avec délicatesse comme les feuilles d’un artichaut puis dégainer un débit de mitraillette qui fusille texte et partenaires.
Frank Capra va prendre Barbara Stanwyck par le bras et tout lui montrer. Les plateaux, les caméras, la pellicule, les salles de montages, les projecteurs et les éclairagistes, la cantine et ce que l’on met dans les sandwiches, tout absolument tout jusqu’à ce qu’elle en sache autant que lui. Jusqu’à ce que le cinéma n’ait plus le moindre mystère. Jusqu’à ce qu’elle soit chez elle.
La leçon est profitable. Barbara tourne pour Frank Capra, elle est sensationnelle .

Le 26 Août 1928, Barbara Stanwyck s’est mariée avec un acteur de Broadway : Frank Fay. Le couple adoptera un petit garçon mais les difficultés de la famille Fay font les délices des chroniqueurs Hollywoodiens. Si Frank Fay a connu le succès sur les scènes, Hollywood l’ignore souverainement. L’acteur boit de plus en plus, les disputes sont fréquentes, tournent au pugilat et Barbara n’a pas forcément le dessous ! Le couple divorcera. Frank Fay accusé d’être un alcoolique violent, Barbara accusée publiquement de préférer les femmes aux hommes.
Il semblerait que l’union Frank Fay-Barbara Stanwyck ait inspiré le scénario de « A Star is Born ».
Le couple est officiellement divorcé à la Noël 1935 mais Barbara Stanwyck ne se débarrassera jamais des rumeurs d’homosexualité la concernant. Elle ne confirma rien, ne nia rien non plus, estimant probablement être en droit de vivre sa sexualité comme elle l’entendait et que de hurler « non coupable » serait insulter toutes les femmes vraiment homosexuelles.
Des années plus tard lorsqu’on lui proposera de rédiger son autobiographie, elle répondra « Je n’ai pas pour habitude de me déshabiller devant tout le monde ». Lorsque l’Amérique décidera de publier un très sérieux rapport (et très utile, vraiment !) sur les 100 personnalités « supposées » avoir été au moins bisexuelles, Barbara sera classée numéro un.
Sa grande amie de toujours, Joan Crawford arrivera en quatrième position.

En 1938, Barbara se prépare à tourner « Golden Boy ». L’histoire d’un violoniste devenant boxeur. Rôle pour lequel on cherche un inconnu. Un jeune gaillard à 50$ la semaine de chez Paramount est envoyé chez Columbia pour faire des essais avec Barbara qui a un droit de regard sur tout. Le jeune godelureau avoue qu’il ne sait pas du tout boxer et qu’il n’a jamais vu un violon de près. Quant à jouer la comédie…Il n’a tenu que des rôles minuscules au théâtre. Rouben Mamoulian le réalisateur s’énerve. Alors que vient faire là cet idiot ? « On m’a envoyé » répond le pauvre aspirant acteur. Barbara dans son coin observe la scène et trouvant sans doute que ce pauvre gars avait « quelque chose ». Elle l’attrape par le col et le fait travailler des heures durant. Un écolage aussi rapide qu’efficace. Le jeune homme de 21 ans obtient le rôle et fera une carrière sensationnelle sous le nom de William Holden.
Le tournage avait débuté un premier avril et Barbara recevra chaque année à la même date un énorme bouquet de roses de la part de William Holden en souvenir de cette première journée qui n’aurait pas existé sans elle.
Si Barbara savait y faire et se dépensait sans compter pour les autres, elle n’eut jamais de rapports satisfaisants avec son fils adoptif et ils restèrent toute leur vie des étrangers l’un pour l’autre.
Heureusement pour l’actrice, au cinéma les choses vont pour le mieux, elle sera bientôt pressentie, elle aussi, pour incarner Scarlett O’hara ce qui l'épouvante. Elle se battra comme Bette Davis pour obtenir les rôles qui lui plaisent et au passage refusera de se faire doubler pour les scènes jugées périlleuses de ses films. « Il y a toujours eu une cascadeuse frustrée en moi, c’est pour ça que je ne refuse jamais un bon western ! ». Avec « La femme au fouet » elle traumatisera littéralement des générations de spectateurs !

A une époque où les assurances interdisent à Ginger Rogers de conduire une voiture durant un tournage, Barbara galope comme John Wayne et caracole sur le dos de chevaux câbrés ! Une des attitudes qu’elle gardera tout du long de sa carrière, se faisant encore traîner derrière un cheval au galop à soixante ans.
L’anecdote « Stella Dallas » est restée célèbre elle aussi et définit bien la volonté Stanwyckienne : Barbara voulait le rôle de Stella et personne ne l’imaginait là dedans. Elle finança elle-même un essai et tourna dans un costume grotesque, la taille épaissie par des coussins et les seins tombants. La scène du dîner d’anniversaire où personne n’accepte l’invitation lancée par sa fille.
Le résultat fut à ce point saisissant que Stanwyck eut le rôle, fut nommée aux Oscar et son essai fut intégré tel quel au film, tout y était à ce point parfait qu’il aurait été inutile de retourner la scène.
Malgré sa réputation sulfureuse, Barbara Stanwyck voit beaucoup Robert Taylor, Don Juan numéro un du cinéma depuis qu’il fut l’Armand Duval de Greta Garbo dans « Camille ».
Le mariage eut lieu en 1939, clairement sponsorisé par les studios, dans le but sans doute de faire taire les rumeurs d’homosexualité qui collent aux basques des principaux intéressés.
Ce fut d’ailleurs assez raté à ce niveau là.
Le couple Stanwyck-Taylor fréquentant beaucoup le couple Joan Crawford-Franchot Tone et les plus fins observateurs remarquent que les deux dames se tenaient la main pendant que ces messieurs se frôlaient d’un peu trop près.
Le couple s’offrit un gigantesque ranch du côté de Brentwood, loin des canards déchaînés et y coula des jours heureux au grand air entre deux tournages prestigieux. Stanwyck sembla se désintéresser des infidélités de Robert Taylor jusqu’à ce que la très jeune Lana Turner fasse son entrée de vamp dans la vie de l’acteur. Pourquoi Lana plus qu’une autre mit-elle le feu aux poudres, je l’ignore mais il y eut divorce.
La liaison de Robert Taylor avec Ava Gardner avait bizarrement eu moins d’effet sur l’épouse légitime. Il convient de dire pour être tout à fait en accord avec la réalité des faits, qu’après l’épisode Lana, le beau Robert gagna Rome pour y tourner « Quo Vadis » et qu’à peine débarqué dans la ville aux sept collines il se retrouvait embarqué dans une love affair avec Léa di Léo, figurante sur le film. Cette fois la coupe déborda.

Robert Taylor s’enlisa dans des explications de « coup monté » par une starlette en mal de publicité, laquelle aurait supplié l’innocent acteur Américain de la ramener chez elle où elle se serait jetée sur lui au signal de paparazzi embusqués dans le décor. Barbara Stanwyck n’en crut pas une syllabe et ajouta à la rancœur d’être trompée, la rage d’être prise pour une imbécile.
Le couple Taylor considéré comme un des couples symbolisant le possible équilibre des familles Hollywoodiennes se désunit après un voyage « de réconciliation » en Europe relayé minutes par minutes par la presse. Le monde entier espérant la réconciliation de ses idoles en rêvant devant leurs photos à Venise ou place Vendôme. Ceux qui firent brûler des cierges pour la réconciliation du couple de stars en furent pour leurs frais. Robert Taylor offrit une étourdissante rivière de diamants à Barbara et celle-ci pour ne pas être en reste se fendit du dernier modèle Cadillac à son intention. Ainsi qu’une paire de boutons de manchettes en or à son effigie dans « Quo Vadis » !
Barbara Stanwyck commit une tentative de suicide selon une rumeur aussi persistante que celle de sa liaison avec l’actrice Tallulah Bankhead avant de demander le divorce qu’elle obtient en 1951. Ainsi que 15% des revenus de Robert Taylor jusqu’à ce que mort s’en suive !

Ceci ne l’empêcha pas d’affirmer : « C’est Robert qui a voulu reprendre sa liberté, pas moi, j’ai fait tout mon possible pour faire des onze années de notre mariage des années heureuses, mais Robert est trop passionné de chasse et de pêche, je ne le vois plus jamais et je suppose que de me savoir à l’attendre bride ses plaisirs ! »
Barbara ne se remariera jamais, restera très proche de son ex mari sans renoncer à sa petite rente, s’avouera désespérée lorsqu’elle perdra dans un incendie des vieilles lettres de lui.
Leur mariage avait à ce point frappé les imaginations que ni l’un ni l’autre ne purent plus jamais donner d’interview sans que le nom du conjoint mythique ne soit remis sur le tapis, ainsi lorsque Robert Taylor attend les questions relatives à son nouveau film, il doit entendre : « Pourquoi Barbara Stanwyck déteste-elle les chapeaux ? »
L’aversion de l’actrice pour tous les couvercles était légendaire et fascinait l’univers, précisément à une époque où « sortir en cheveux » ne se faisait pas. La chose était aussi effrontée qu’offensante pour la morale et les modistes craignaient que la star ne fît des émules.
Lorsque la question des chapeaux était inévitablement abordée, Barbara répétait inlassablement : « Je ne porte pas de chapeaux parce que ça énerve mon chat ! » laissant le chroniqueur dans un abîme de réflexions. Était-ce une façon polie de dire « merde » ? Barbara Stanwyck avait-elle un chat ?

Elle continue au cinéma une carrière exemplaire et très prolifique, nommée quatre fois aux Oscar sans jamais l’emporter.
Elle a sa propre technique de travail et prépare ses rôles très en amont. Elle apprend son texte et celui de ses partenaires en entier, de A jusqu’à Z. Comme ça, il peut se passer n’importe quoi sur le tournage, elle s’en fout. Elle est prête.
Son professionnalisme lui vaudra d’être la seule actrice de l’histoire du film américain à avoir reçu un prix l’honorant de la part des techniciens.
Sa technique était pourtant simple : Elle préparait ses rôles au cinéma comme si elle avait à les jouer d’une traite sur une scène de théâtre. Donc si le plateau 2 pour la scène du bal n’est pas disponible et qu’on va plutôt tourner la scène du dîner plateau 5, Barbara est prête. Elle n’a qu’à changer de robe.
Les professionnels du film ne prononcent jamais son nom. Ils l’appellent « The Queen ».
Elle deviendra la « Meilleure actrice n’ayant jamais reçu d’Oscar » titre qui couronne également les gracieuses têtes de Myrna Loy, Irène Dunne et Deborah Kerr.
Elle recevra un Oscar d’honneur en 1982 que lui remettra William Holden.
Elle vint le chercher, dans un fourreau de paillettes rouge cerise avec sur le visage un petit air qui signifiait clairement « Ah quand même ! ».
Et il va sans dire, Barbara reçut son « prix orange » à vie.

Ceci bien que parfois, quand même, la suavitude légendaire de la dame était prise en défaut. Sur le tournage de « L’Emprise du Crime » elle prit en aversion profonde le jeune débutant Kirk Douglas et fit de sa vie un enfer durant toute la durée du tournage.
Lorsque Robert Taylor fut remarié à la belle Ursula Thiess, le sachant un soir à dîner chez Romanoff avec le couple Mitchum, Barbara débarqua dans le très coté restaurant, saoule comme une bourrique et hurla à la cantonade pour les dîneurs offusqués : « Il paraît que Robert Taylor dîne ici avec sa vache allemande ? Faites-moi voir ça ! » On ne saurait être plus aimable en effet !
Par contre et contre toute attente, Humphrey Bogart lui plaisait beaucoup et ces deux-là nouèrent une amitié réciproque qui durera toute la vie sur le plateau de « The Two Mrs Carroll.
Bogart qui tournait rôle un peintre se plaignit un jour que sa garde-robe n’était pas très virile. Le lendemain il trouva dans sa loge une casquette à pompon et une blouse de peintre ornée d’un grand nœud. Il entra dans une colère noire avant de réaliser qu’il ne s’agissait pas là d’une bévue de costumier mais d’une plaisanterie de Barbara hilare. Ensuite tout ce petit monde prit un jour de congé pour le mariage de Bogey et Lauren Bacall.
Elle aura une longue liaison avec le jeune Robert Wagner rencontré sur le tournage de « Titanic » en 1953 alors qu’il a 23 ans de moins qu’elle et c’est elle qui s’offrira le luxe de la rupture au bout de quatre ans d’aventure clandestine.

Le jeune Elvis Presley, autre partenaire de Barbara sera lui aussi très troublé par les charmes de la vétérane aux cheveux gris.
Son dernier partenaire à l’écran sera…Robert Taylor en personne, histoire de boucler la boucle.
Robert Taylor était remarié avec la belle Ursula Thiess avec qui il avait deux enfants. Mais Ursula avait deux enfants de son premier mariage et les frasques de ceux-ci défrayaient la chronique. Le garçon mourra d’une overdose à 23 ans et la fille passera des années à s’afficher avec ses amants noirs, ce qui était alors un scandale sans nom pour disait-elle « Faire chier Robert Taylor ! Ce mauvais acteur à la sexualité bizarre qui prétend se faire passer pour mon père et me donner des ordres. »
Robert Taylor se mourait d’un cancer alors que sa vie était un véritable tourbillon de scandale qui hâta probablement sa fin. Barbara était là, ne faisait pas de commentaires et regardait Robert Taylor d’un regard navré d’ex femme compatissante et compréhensive. Un regard qui voulait dire « ça t’apprendra ! ».

L’actrice délaisse le grand écran pour le petit à une époque où le cinéma s’essouffle et se cherche de nouveaux spectateurs grâce à un érotisme psychédélique et une violence débraillée alors que la télévision est en plein essor. Barbara Stanwyck y connaîtra une seconde carrière aussi longue et prestigieuse que la première.
A chacune de ses interviews elle déclarera : « Et surtout dites bien mon âge ! Bien ne m’énerve plus que ces actrices qui ne cessent de rajeunir, c’est ridicule ! Elles auront bientôt besoin de leur mère pour sortir le soir ! »
Elle est la mère de famille dans « Bonanza », série cultissime aux Etats-Unis à un point tel que programmé à la même heure que le « Judy Garland Show » il en sonnera le glas.
Elle y est la mère d’une jeune madame Derek : Linda Evans. La jolie blonde est une actrice aussi mauvaise que ravissante et il est question de se débarrasser de son personnage fade et encombrant.

Barbara Stanwyck intervient en sa faveur, ne souhaitant pas que l’on supprime sa fille, fût-elle de fiction. Elle prend alors la jeune Linda à part et lui dit : « Tu sais ma chérie, tu es bien mais tu manques de présence ! » Tête de Linda Evans.
Barbara continue : « Tu sais ? La présence ! Non ? Bon, je te montrerai à ta prochaine scène »
Pour cette scène en question, Linda devait sortir de la cuisine avec un poulet rôti et le déposer sur la table pour le repas familial. Tout est prêt, Linda derrière la porte avec son poulet en plastique attendant les prestigieux conseils de Barbara…conseils qui ne viennent pas, l’actrice reste muette.
Au moment de faire son entrée, Linda reçoit un coup de pied aux fesses qui l’envoie valdinguer au milieu de plateau avec son poulet qui atterrit sur la table en double salto arrière au milieu des acteurs tétanisés.
Barbara sort de la cuisine à son tour et lui dit : « Voilà ! Ça c’est de la présence ! »
Reine de l’audimat après avoir été reine du box office, le soap « Falcon Crest » sera écrit à son intention. Elle le refusera pourtant, laissant la voie libre à Jane Wyman pour une fin de carrière en apothéose.
Barbara se consacre alors à ses œuvres. Chaque année, les orphelinats de la ville reçoivent un chèque de 10.000$ et le dimanche, l’actrice vient passer l’après midi avec les orphelins à qui elle raconte de passionnantes histoires.
Elle aura une colère terrible lorsque la presse se fera l’écho de ses bontés comme s’il s’agissait d’une manière de se rendre intéressante publicitairement.

Barbara Stanwyck, cette femme qui avait l’air d’être faite de béton armé est pourtant plus fragile qu’il n’y paraît, souffrant d’emphysème depuis des années, elle perd peu à peu la vue et sa colonne vertébrale en mauvais état finit par la contraindre à une immobilité partielle.
Le temps des honneurs et des hommages vient alors. Le public découvre par le biais de témoignages de proches la véritable personnalité de Barbara Stanwyck.
En lui remettant son Oscar en 1982, William Holden avouera avoir traversé une passe très difficile alors qu’il tournait « Golden Boy » avec elle et pensait sérieusement au suicide, remerciant Barbara à qui il estimait devoir la vie.
Linda Evans se souvenait aussi de l’aide que Barbara lui avait apportée au pire moment de sa vie. Linda avait appris le décès de sa mère pendant le tournage de Bonanza, Barbara Stanwyck se rendant compte du chagrin de la jeune fille lui dit de son ton coutumier : « Allons bon ! En plus maintenant il va falloir que je sois ta maman ! » Ce qu’elle fut.

Surnommée Missy par ses proches et ses amis, Barbara Stanwyck fut la dame de cœur d’Hollywood, à l’unanimité moins une voix, celle de Kirk Douglas !
L’icône américaine décède le 20 Janvier 1990 à Santa Monica, elle avait quitté sa chère maison après y avoir été agressée par des cambrioleurs qui l’avaient enfermée dans un placard le temps de la dévaliser.
C’est une pneumonie aggravée par son emphysème qui aura raison d’elle à 82 ans bien sonnés
Celine Colassin

QUE VOIR ?
1929 : The Locked Door : Première apparition Stanwyckienne au cinéma.
1929 : Le Signe sur la Porte : Un premier rôle pour Barbara face à Rod la Roque.
1930 : La Rose Mexicaine
1930 : Ladies of Leisure : Ralph Graves, artiste peintre à la fois bohème et bien né s’éprend de Barbara Stanwyck, à la réputation douteuse. La famille de l’artiste préfèrera pousser Barbara au suicide plutôt que de la tolérer dans son entourage qui n’avait pourtant rien à lui envier en matière de basses besognes ! Il fallait bien Capra pour donner du crédit à tout ceci ! Un des premiers parlants réussi, grâce essentiellement à Barbara qui n’éprouve aucune gêne face au micro.
1931 : The Miracle Woman : Ce film est typiquement Américain, certes, mais très actuel. A 24 ans, Stanwyck est déjà grandiose
1931 : Night Nurse : Barbara flanquée de Clark Gable en soupirant
1932 : Mon Grand : Histoire de voir ce que donnent ses nouvelles recrues à moindres frais, Hollywood distribue Bette Davis et Barbara Stanwyck dans le même film !
1933 : The Bitter Tea of General Yen : Barbara en grande forme dirigée par son cher Frank Capra, cela mérite le détour.
1933 : Ladies They Talk About : Film de gangsters où Barbra dirige son propre gang !
1935 : la Dame en Rouge : Un film semble-il disparu avec Gene Raymond.
1936 : St Louis Blues
1936 : Message à Garcia
1936 : The Bride Walks Out
1937 : Stella Dallas : Ne loupez pas ce film, Barbara y est sensationnelle, je n’en dis pas plus.
1938 : Miss Manton est Folle : Le Couple Barbara Stanwyck-Henri Fonda.
1939 : Golden Boy (L’Esclave aux mains d’Or) : Alias le débutant William Holden
1939 : Pacific Express : Ce western plutôt sans intérêt avec une Barbara Stanwyck dans un rôle mal défini impressionna tant le jury du festival de Cannes de 1939 qu’il obtint la palme d’or.
1940 : L’Aventure d’une Nuit : Avec Fred McMurray l’incontournable ! Toute l’affaire est pétrie de bons sentiments autour du sapin de Noël et Barbara la voleuse de bijoux voudra expier sa faute, comme c’est beau ! (Sois dit en passant, la scène où l’avocat de Barbara justifie le vol d’un bracelet par la fascination hypnotique exercée par les pierres précieuses sur sa cliente est excellentissime et 70 ans plus tard, alors que nous ne croyons plus en la justice, la scène prend tout son sel !
1941 : Meet John Doe : Barbara, fouine professionnelle « invente » une sorte de néo christ à l’usage des foules et choisit pour se faire Gary Cooper qui a tôt fait de la rallier à de plus nobles causes.
1941 : Ball of Fire : Une comédie délectable qui souffre un peu de la censure imposée aux dialogues mais où Stanwyck et Gary Cooper sont sensationnels, le film connaîtra un remake avec Virginia Mayo et Danny Kaye, c’est autre chose.
1941 : Tu M’appartiens : Retour d’Henri Fonda dans les parages
1942 : Les Folles Héritières (The Gay Sisters)
1943 : Obsessions : Duvivier s’emmêle les pinceaux dans trois récits surréalistes plutôt ennuyeux, Barbara a pour partenaire Charles Boyer en trapéziste bien peu convaincu.
1944 : Assurance sur la Mort : Un rôle d’anthologie pour Barbara, vamp de film noir, excellente, vulgaire et ténébreuse à souhait. Le film est quelque peu discrédité par sa perruque en ciment.
1946 : The Strange Love of Martha Vickers : Barbara marraine les débuts au cinéma de Kirk Douglas et Lizabeth Scott se prend pour Lauren Bacall avec une voix invraisemblable, on dirait qu’elle est doublée par John Wayne.
1946 : Amazone moderne : Le titre original aurait dû se traduire par « La Mariée portait des bottes ».
1946 : Le Droit d’Aimer : Avec Georges Brent, sortit tout chaud du lit de Bette Davis.
1946 : Variety Girl : Paramount recrute l’absolue totalité de ses stars y compris Gary Cooper, Bob Hope, Ray Milland et Bing Crosby pour faire bon accueil à sa nouvelle découverte Mary Hatcher dans le rôle d’une provinciale rêvant d’être engagée à…La Paramount !
1946 : Californie, Terre Promise : Western avec l’anglais Ray Milland. Une scène suscita une très vive émotion : Barbara et Ray changeaient en gros plan un baiser passionné qui se terminait en gifle magistrale sur son nez !
1947 : L’Orchidée Blanche : avec l’élégant et débonnaire David Niven
1947 : Cry Woolf (Le Loup des Trois Collines) : Barbara s’offre un partenaire encore inusité jusqu’ici : Errol Flynn.
1947 : La Seconde Mrs Carroll : Ce film qui réunit Barbara et Humphrey Bogart est introuvable
1948 : Raccrochez, c’est une Erreur : Autre grand triomphe de Barbara
1948 : B.F.’s Daughter : Le roman homonyme avait fait un gros succès deux ans plus tôt, mais Hollywood devant se passer des séquences les plus sulfureuses, on en arrive à un résultat tout à fait conventionnel pour ne pas dire banal. Et quelle ne fut pas la surprise de voir le film rebaptisé en Angleterre « Polly Fulton », puisque le titre original s’y traduisait par « La Fille de l’Imbécile ». BF signifiant en effet « Imbécile » sur les bords de la Tamise !
1949 : Chaines du Destin : Vous avez déjà vu ce film ! Pas avec Barbara (un peu vieille pour le rôle d’ailleurs) mais avec Nathalie Baye, Francis Huster et Madeleine Robinson puisqu’il s’agit d’une précédente version de « J’ai épousé une Ombre », scénario débile entre tous que l’on n’arrête pas de tourner, une version « drôle » a été perpétrée par les Américains où Shirley MacLaine succédait à Madeleine Robinson. (Miss Winterbourne) en 1995
1949 : Une Femme Joue son Bonheur
1949 : La Femme à l’Echarpe Pailletée : Ça valait bien un film !
1949 : Ville Haute, Ville Basse : avec l’excellent James Mason et la sublime Cyd Charisse
1950 : Les Furies : Le Western le plus célèbre de Barbara très déchaînée.
1950 : Pour Plaire à ma Belle
1950 : Chaînes du Destin
1951 : L’Homme en Manteau Noir : Film noir traditionnel avec Joseph Cotten et une jeune première effarouchée qui n’est autre que Leslie Caron qui tourne là son deuxième film.
1952 : Le Démon s’éveille la Nuit : Une excellente série B avec des acteurs en état de grâce dont la jeune Marilyn Monroe qui ne démérite pas. Barbara s’étonnait de l’absence de journalistes et de photographes autour d’elle dès que Marilyn était dans les parages. Robert Ryan lui répond le plus naturellement du monde : « On est des vieux, maintenant c’est son tour ! »
La Plage déserte
1953 : Titanic : Nombreux amateurs de ce film l’estiment meilleur que celui réunissant Di Caprio et Winslet. En regard des moyens techniques disponibles en 1953 je suis assez d’accord avec eux.
Désir d’une Femme (Désir de Femmes) : Bref, « All I Désire » en version originale.
1953: Le Souffle Sauvage : Avec Gary Cooper, 12 ans après John Doe.
1953: Le Voleur de Minuit
1954 : La Tour des Ambitieux : Film à la distribution fleuve et au scénario un rien confus.
1954: Le Souffle de la Violence : Western à la distribution mâle intéressante : Glenn Ford et Edward G.Robinson sur une seyante paire de béquilles.
1954: La Reine de la Prairie : Barbara colle à l’univers du western comme une mouche sur du miel et se devait donc d’y rencontrer Ronald Reagan !
1954: Les Rubis du Prince Birman (Evasion en Birmanie) : Barbara dirige en Birmanie un élevage d’éléphants (après tout pourquoi pas ?) retrouve Robert Ryan
1954: Il y a Toujours un Lendemain.
1956 : La Horde Sauvage : Barbara Stanwyck qui tient tête à tout le monde dans un western est un spectacle dont le public fut longtemps friand, il faut hélas reconnaître qu’ici la formule s’essouffle.
1957 : Quarante Tueurs : Encore un western où Barbara est cette fois à la tête d’une horde de hors la loi, mais il s’agit cette fois d’un film de Samuel Fuller ce qui donne une autre dimension au programme traditionnel.
1957: Tornade en Arizona. Ces films se ressemblent tant qu’on a parfois l’impression que l’actrice en fait plusieurs en même temps !
1962 : La Rue Chaude : Barbara Stanwyck en mère maquerelle propose Jane Fonda et Capucine aux amateurs.
1964 : Roustabout : Barbara Stanwyck toujours en maîtresse femme, de champ de foire cette fois-ci est secourue par un rocker à tout faire nommé Elvis Presley.
1964: Celui qui n’existait pas : Après ce film où elle tient la tête d’affiche avec son ex mari légendaire Robert Taylor, Barbara Stanwyck tire sa révérence cinématographique définitive mais reste très présente à la télévision jusque dans les années 80.
LES FILMS QUE VOUS NE VERREZ PAS
(Avec Barbara Stanwyck)
The Man With the clock :Rebutés par les exigences financières de Marlène Dietrich, le film fut proposé par ses producteurs à Barbara qui déclara trouver là un rôle qui lui convenait pour sa « rentrée » après son très médiatisé divorce. Le film semble pourtant avoir été abandonné (à moins qu’il n’ait changé complètement de titre ce qui n’est pas impossible !)
Finale : En plein mois d’août 1952, Barbara boucle ses valises. Elle est attendue à Londres pour le tournage de ce film qui doit s’exiler ensuite à Vienne. Quelques jours avant son départ le projet est annulé.
Hush Hush Sweet Charlotte : Barbara fit savoir qu’elle était vivement intéressée par le rôle laissé vacant par Joan Crawford, mais Robert Aldrich préféra faire appel à Olivia de Havilland, seule actrice que Bette Davis tolérât dans son entourage immédiat sans souhaiter l’étriper toutes les trois secondes !