
La carrière de Carol Lynley démarra sous un mauvais présage. Carolyn Lee, le nom qu’elle a choisi pour faire carrière est déjà été enregistré par une autre actrice. Elle doit en changer. La chance n’allait jamais vraiment lui sourire.
Carole Ann Jones, cette ravissante blonde à la beauté particulièrement moderne, peut-être même en avance sur son temps, autre malchance, voit le jour à Manhattan le 13 Février 1942. L’Amérique va entrer en guerre, papa va partir au front. La petite fille n’aura que sa maman, serveuse, pour veiller sur ses premiers pas. Devenue une ravissante adolescente, elle deviendra mannequin Teenage avec un certain succès et le bien nommé magasine « Teen » lui offrira sa couverture comme cadeau d’anniversaire pour fêter ses 15 ans. Lorsque l’on vit à New-York, que l’on est une ravissante adolescente au délicat visage de poupée blonde, aux yeux bleus et au sourire d’ange affichée dans tous les kiosques à journaux, la tradition veut qu’on vous propose de faire de la télévision. C’est là que Carol Lynley débute, elle a 14 ans.

Pour le cinéma il faudra attendre le bon vouloir du studio Disney toujours à l’affût pour voir Carol débuter dans « La Lumière dans la Forêt » avec Fess Parker mieux connu pour être alors David Crockett à la télévision. Carol devient très vite une « jeune première romantique » très sollicitée. Il ne lui manque, peut-on lire dans la presse, que sa « grande chance », le rôle qui la portera au pinacle. Et on crut d’un avis unanime la chose venue avec la suite de « Peyton Place » qu’Hollywood mettait en chantier. Une suite dont aucun membre du casting qui avait porté le film initial au triomphe n’accepta de faire partie. Diane Varsi dont le film avait fait une star énorme avait littéralement fui. Lana Turner avait décliné, John Gavin fit de même, ensuite ce fut Hope Lange qui déclara forfait talonnée de près par Terry Moore.
Eleanor Parker remplacerait Lana Turner, Jeff Chandler remplacerait John Gavin, Tuesday Weld et Luciana Paluzzi reprendraient les rôles d’Hope Lange et Terry Moore, et enfin, Carol succèderait à Diane Varsi. L’échec du film fut inversement proportionnel à la hauteur de ses ambitions c’est à dire aux chiffres records atteints par le premier opus. Le film sera distribué en France sous le titre « Les Lauriers sont coupés » et rarement il faut bien l’admettre, titre ne fut mieux porté. Personne ne sortit grandi de l’aventure. Carol dont on avait parlé comme de la future superstar en fut pour ses frais et ne récolta qu’une rivalité toute inventée avec Tuesday Weld! C’était la joyeuse époque des « Lolita », ces très jeunes filles ravissantes, avides d’être adultes et de connaître les joies interdites. Carol s’était distinguée dans l’emploi dès 1959 avec « Blue Denim » où elle était une adolescente enceinte hors mariage et après un rapport sexuel consenti. Heureusement pour Carol, elle était sous contrat avec son studio et put enchaîner avec d’autres films après « Retour à Peyton Place ».

L’époque était résolument aux actrice jeunes, aux Lolita, blondes, naturelles, à visage d’ange et sourire un peu triste. C’était le nouveau « nec » Ava Gardner ou Jayne Mansfield se faisaient reléguer au rayon des articles démodés au profit de Sue Lyon, Tuesday Weld, Yvette Mimieux, Sandra Dee et Carol Lynley. Du coup, Otto Preminger allait affubler Carol d’une perruque « aile de corbeau » incroyablement enlaidissante pour jouer la soeur de son « Cardinal » en 1963. A la fin du film, Carol joue la fille de son personnage cette fois chapeautée d’une perruque rouge toute aussi maladroite. Nonobstant cette histoire de perruques, le film de Preminger fut celui de tous les bouleversements. Tout d’abord, le salaire de Carol allait passer de 30.000 à 100.000$ par film. Preminger s’était félicité de l’avoir engagée et lui avait prédit un grand avenir de star. Ce à quoi elle avait répondu « J’espère bien! C’est mon vœu le plus cher« . C’est bien celà qui stupéfia tout le monde. Trois ans plus tôt elle pleurait les larmes de son corps parce qu’elle détestait le cinéma et ne rêvait que d’une chose: l’abandonner. Or, aujourd’hui elle ajoutait « Ne vous fiez pas à mon apparence. J’ai peut-être l’air fragile mais j’ai une volonté de fer et j’obtiens toujours ce que je veux! Or il n’y a rien que je veuille plus que la renommée. La renommée d’une star, pas d’une simple vedette d’Hollywood! Je veux le sommet!«
Ce qui sidéra surtout l’assistance, c’est qu’en 1960, elle s’était éclipsée de chez elle en catimini à quatre heures du matin pour filer épouser en grand secret Mike Selsman. En grand secret parce que c’était contre l’avis du studio …Et de sa mère! Le mariage entériné, Mike regagna New-York où il travaillait et Carol regagna les plateaux de la Century Fox.
Son film en cours terminé, elle quitta Hollywood et rejoignit Mike à New-York. A la Century Fox on croyait revivre une nouvelle fois l’enfer Marilyn Monroe qui filait à New-York pour un oui ou un non.

Carol clama une fois de plus sa détestation du cinéma, son refus net d’encore en entendre parler et reprit son métier de mannequin.
Il faudra tout le peu de diplomatie dont est capable la Century Fox pour ramener sa Lolita au bercail: Une jolie maison pour le jeune couple à Beverley Hills et un poste somptuairement payé au département publicité pour Mike. Si on s’étonna bien un peu de la rapidité avec laquelle Carol avait accepté de revenir à Hollywood, c’est qu’elle attendait la venue de sa petite Jill et n’aurait bientôt plus été en mesure de travailler comme modèle. Alors deux beaux salaires au soleil de Californie avait semblé être une opportunité intéressante au couple Selsman plutôt que de tirer le diable par la queue dans l’hiver New-Yorkais.

Carol tourna le dernier film qu’elle devait à la FOX, « The Stripper » puis refusa de reconduire son contrat et resta à la maison à pouponner sa petite Jill. Jusqu’au jour où lui parvint donc l’offre de Preminger pour tourner « Le Cardinal ». Carol emmitoufla sa petite Jill et prit l’avion pour Boston où le film se tournait. Mike n’y vit aucun inconvénient. Après tout, il avait épousé une actrice et ne lui avait jamais demandé d’abandonner sa carrière. Il fut bien un peu étonné en découvrant dans son journal les déclarations de Carol à propos de sa « folle ambition d’actrice » mais il crut à de la publicité.
Lorsque Carol rentra de Boston, elle lui lança un « je veux divorcer » d’une fermeté sans équivoque, sans même prendre le temps de poser ses valises et enlever son manteau!
La femme qui venait de passer la porte ne ressemblait plus à celle qui l’avait passée pour partir à Boston. Carol s’était sophistiquée, elle portait une robe d’une élégance folle, maquillée comme pour la couverture de VOGUE. Elle déclara à Mike complètement estomaqué qu’elle s’était mariée trop jeune, que l’assujettissement d’une femme mariée lui était insupportable et qu’elle voulait vivre. Vivre dans une villa plus grande avec une plus grande voiture et une plus grande piscine! Mike ne se révolta que lorsqu’elle exigea la garde exclusive de leur petite Jill.

Carol continua sa carrière, tourna des films souvent de prestige et avec des partenaires de choix comme Kirk Douglas, Jack Lemmon ou Rock Hudson. Mais rien qui lui permit vraiment de se faire cette » place au soleil d’Hollywood ». La télévision restait encore et toujours sa meilleure alliée jusqu’à ce qu’une nouvelle tourmente médiatique s’empare d’un film qui se préparait avec elle.
En 1965, la Century Fox exhume le scénario de « Harlow », jadis prévu pour « the late Marilyn Monroe » et prépare le film en grandes pompes avec celle que le studio considère précisément comme sa nouvelle Marilyn: Miss Carrol Baker!
Or, hasard ou pas, Carol Lynley s’apprête précisément à devenir Jean Harlow dans un biopic consacré à la star platine pour un autre studio. La presse s’empare de l’affaire et crée de toutes pièces une « Guerre des Jean Harlow » qui va littéralement monopoliser les médias! On n’avait plus vu ca depuis les Burton-Taylor à Rome sur le tournage de Cléopâtre!
On inventa même une guerre des mères de Jean Harlow! Angela Lansbury serait celle de Carrol Baker et Ginger Rogers celle de Carole Lynley.

Avec Cléopâtre, la Fox avait beaucoup souffert et perdu beaucoup d’argent. Le studio n’allait pas laisser SA Jean Harlow se faire éclipser par une autre! Carrol Baker allait bénéficier d’un traitement publicitaire comme Hollywood n’en ferait bien tôt plus jamais, laissant ses artistes de débrouiller pour se faire mousser tout seuls aux yeux du public. Mais en attendant, Carrol Baker était partout tout le temps et se fendait de quelques coûteux caprices, histoire sans doute de « faire vrai » comme on le lui avait appris à l’actor’s studio. Carol Lynley faisait figure de copieuse un peu médiocre de Carrol Baker dans la presse. Ses producteurs n’avaient pas les moyens d’une machinerie publicitaire comme celle de la Century Fox. Carol offrit ses charmes à la convoitise dans « Playboy » mais c’est à peu près tout ce dont le film bénéficia en matériel publicitaire (si j’ose dire). Mais par contre, pour le film de Carol Lynley, les producteurs avaient du matériel et des techniques de tournage nettement moins lourdes que celles de la FOX. Et ce qui était un désavantage en publicité se révéla être un avantage à ce niveau là. Commencé après le film de Carrol Baker, celui de Carol Lynley fut terminé et distribué avant.

Le public intéressé vit donc d’abord le film de Carol Lynley et Ginger Rogers. Prirent ils la peine de voir l’autre ensuite, histoire de comparer? Je n’en jurerais pas. L’éléphant Century Fox accoucha d’une souris. La vie de Jean Harlow, toute pathétique qu’elle soit ne faisait pas un bon scénario et pouvait encore moins se résumer en une heure trente. Aucune des nouvelles Jean Harlow ne récolta le succès escompté. Carrol Baker s’exila en Italie et Carol Lynley qui avait tourné l’excellent « Bunny Lake a disparu » resta maîtresse du terrain, géographiquement parlant.
Mais c’était le troisième gros échec de sa carrière. Après « Retour à Peyton Place » elle avait été du naufrage du « Cardinal » d’Otto Preminger avec Romy Schneider. Avec Harlow c’était son troisième flop. A Hollywood ce n’est pas le genre de chose qui fait plaisir. Bientôt elle aussi quitterait Hollywood pour l’Angleterre y tourner quelques effrayances pour la Hammer. Et si elle restait très célèbre c’était encore et toujours grâce à la télévision.
Carol Lynley fait partie de ces actrices au statut étrange, ces actrices qui ont tourné des films idiots en leur temps mais qui sont devenus cultes à l’usage. Si aujourd’hui on revoit très volontiers « Le Blob », A l’époque, pour une actrice qui avait tenu la vedette dans de grosses productions à Hollywood, c’était il faut bien le dire plus navrant qu’intéressant.

Elle aura pourtant sa revanche en ressurgissant à Hollywood dans un rôle important et dans un film qui allait à la fois marquer des générations et créer un genre: « L’Aventure du Poséidon » Carol réapparaissait, plus séduisante encore qu’auparavant dans un film où il faut bien le dire seuls les décors et les effets spéciaux étaient les vedettes. Mais quel film!
On fêta dignement les millions de dollars engrangés et puis ensuite le retour de la belle Carol.
Laquelle allait avouer d’un air las deux choses aux journalistes: Elle était doublée pour le chant dans le film et elle était la victime d’une très longue et très profonde dépression. Considérant Hollywood comme responsable de ses dérives personnelles, malgré la pluie de contrats qu’on lui proposa dans la foulée du triomphe posséidonesque. Carol préféra regagner son New-York natal et ses plateaux de télévision où à ses yeux la vie était à la fois moins cruelle et plus enrichissante. Dorénavant, le cinéma ce fut « de temps en temps ».
Le 3 septembre 2019, Carol qui était revenue en Californie s’installer face à l’océan à Pacific Palissade meurt chez elle foudroyée par une crise cardiaque. Elle avait 77 ans. La presse magnifiquement informée s’empressa de dire qu’avec elle disparaissait la dernière survivante du naufrage du Poséidon. Même si Stella Stevens s’égarait déjà dans les limbes de la maladie d’Alzheimer, Pamela Sue Martin dut quand même faire une drôle de tête!
Celine Colassin

QUE VOIR?
1958: The Light in the Forest: Avec Fess Parker
1959: Holiday for Lovers: Avec Jill St John, Jane Wyman et Clifton Webb
1959: Blue Denim: Avec Brandon de Wilde
1961: The Last Sunset: Avec Dorothy Malone, Kirk Douglas et Rock Hudson
1961: Return to Peyton Place: Avec Eleanor Parker et Jeff Chandler
1963: The Stripper: Avec Joanne Woodward et Claire Trevor
1963: Under the Yum Yum Tree: Avec Jack Lemmon
1963: The Cardinal: Avec Romy Schneider, Tom Tryon et John Huston
1964: The Pleasure Seekers: Avec Ann Margret, Pamela Tiffin et Gene Tierney
1964: Shock Treatment: Avec Stuart Whitman et Lauren Bacall
1965: Bunny Lake is Missing: Avec Laurence Olivier et Keir Dullea
1965: Harlow: Avec Efrem Zimbalist Jr. et Ginger Rogers
1967: The Shuttered Room: Avec Oliver Reed et Gig Young
1967: Danger Route: Avec Richard Johnson et Barbara Bouchet
1969: The Maltese Bippy: Avec Dan Rowan et Julie Newmar
1969: Once You Kiss a Stranger… Avec Paul Burke et Martha Hyer
1972:Beware! The Blob: Avec Robert Walker jr.
1972: The Poséidon Adventure: Avec Shelley Winters, Gene Hackman et Stella Stevens
1975: The Four Deuces: Avec Jack Palance
1977: Bad Georgia Road: Avec Gary Lockwood
1978: The Cat and the Canary: Avec Honor Blackman
1979: The Shape of Things to Come: Avec Jack Palance
1983: Vigilante: Avec Robert Forster
1986: Balboa: Avec Tony Curtis
1988: Blackout: Avec Gail O’Grady
2003: A Light in the Forest: Avec Lindsay Wagner
2006: Vic (court métrage) Avec Clu Gulager et John Philip Law