La belle Eva Bartok connut un destin aussi tragique que fertile en rebondissements. A la fois jetée dans la tourmente et dans la folie de son époque et bousculée par sa destinée personnelle hors norme.
La belle Eva naît en Hongrie, à Budapest le 18 Juin 1927 sous le patronyme d'Eva Ivanova Szöke.
Son père est un intellectuel juif à la fois très engagé dans la politique de son pays et très à cheval sur les convenances. Ainsi lorsque les institutrices de la petite Eva avertiront la famille qu'elle a un don inouï pour la comédie et qu'il faudra impérativement la diriger en ce sens, il y mettra son veto le plus formel.
La mère d'Eva qui pour sa part s'était sentie flattée d'avoir mis au monde une petite fille douée se promit bien de faire fléchir la décision paternelle mais...n'y réussit jamais. Certes Eva aurait aimé jouer, danser, chanter, mais elle aime encore plus faire plaisir à son cher papa qu'elle vénère littéralement.
Si Eva grandit dans les années 30, le nazisme grandit en même temps qu'elle. Bientôt les écrits de son père toujours plus virulents envers Hitler commenceront à lui valoir des menaces et il choisira d'évacuer sa famille à la campagne par mesure de sécurité. Dès lors Eva ne va plus vivre que pour les dimanches où son cher papa vient la voir. La semaine, la jeune adolescente est tombée amoureuse d'un jeune voisin, ils se promettent le mariage pour "quand ils seront grands".
Mais la vie à la campagne n’est qu'un sursis. Hitler au pouvoir, la Hongrie envahie, l'intellectuel respecté devient le "sale juif". Il sera arrêté, déporté, on ne le reverra jamais. Le beau fiancé des années insouciantes non plus, il sera envoyé sur le front Russe.
La jeune Eva a 14 ans, nous sommes en 1941. Restée seule avec sa mère, les deux femmes courent en tous sens, frappent à toutes les portes, s'adressent à toutes les autorités pour avoir des nouvelles.
Or Eva aussi risque la déportation.
Elle va croire un court laps de temps en sa bonne étoile. Un jeune officier nazi lui propose le mariage afin qu'elle échappe à son inévitable camp de concentration. Sa mère accepte pour elle. En 1941, Eva devient madame Géza Kovacs pour survivre. Mais l'ange noir qui lui sauve la vie fait d'elle son esclave sexuelle. Elle subit plusieurs viols par jour et est battue à longueur de journée et de nuit.
La guerre terminée, la mère et la fille auront survécu. Eva sera meurtrie à jamais. Le mari porté lui aussi disparu en 1942 à la guerre, les autorités soviétiques annuleront ce mariage sur base de la jeunesse d'Eva que l'on désignera comme "mineure forcée".
Elles ont survécu mais elles n'ont plus rien. Elles regagnent Budapest dans le désarroi le plus total et le dénuement le plus complet. Eva se serait bien laissée mourir sur le pavé des rues dans cette ville détruite qu'elle avait connue si fabuleuse, mais il y a sa chère maman.
Alors elle va se battre, chercher n'importe quel boulot pour un crouton de pain et dans la foulée se souvenir de ses rêves d'enfants et des louanges de ses professeurs. Elle est jolie, elle se sait douée. Elle tente sa chance. Elleauditionne pour les premiers théâtres qui réouvrent.
Une nouvelle fois la chance semble lui sourire. Elle obtint un rôle et dans ce rôle elle a du succès. Un succès incroyable. La pièce prévue pour dix représentations tient l'affiche trois mois.
Dans la foulée elle fera la conquête de l'auteur de la pièce, de 40 ans son aîné mais qui saura lui rendre confiance en elle et en la vie. Il lui servira de père de substitution.
Mais les jours sombres ne sont pas finis pour autant. Sous tutelle soviétique, la vie reste dure en Hongrie. Surtout pour les intellectuels. Surtout pour les artistes. Eva déclarera plus tard: "Les Allemands voulaient votre sang, les Russes voulaient votre sang et votre âme". Eva tente alors par tous les moyens de s'évader de Hongrie.
Elle réussira grâce à une proposition de film venue d'Angleterre. Elle est maintenant une actrice assez célèbre en Hongrie pour prétendre à des rôles au cinéma. Mais bien évidemment, sa mère ne pourra pas la suivre. Et Eva ne peut fuir en abandonnant sa mère.
Paal Alexander, Hongrois, lui aussi, qui l'a faite venir en Angleterre lui propose alors de l'épouser. Elle deviendrait ainsi citoyenne anglaise et ses ennuis avec le "bloc soviétique" seraient terminés. Alexander avait bien connu le père d'Eva à Budapest et lui était redevable de grands services. En aidant Eva, il rendait par-delà la mort un hommage à celui qui fut son mentor.
Eva accepte, nous sommes en 1948. Elle a 19 ans et se marie pour la seconde fois. Toujours pour des raisons bien étrangères à l'amour. Mais la ruse ne fonctionnera pas. Contre toute attente et au mépris des lois les plus élémentaires, les Russes changent d'avis à son propos. Eva et son mari sont revenus en Hongrie pour rechercher la mère d'Eva. Mais la veille du retour, les visas des deux femmes sont annulés.
Eva pourra malgré tout partir. Grâce à la clairvoyance d'un modeste employé qu'elle bénira toute sa vie. Un brave homme qui lui fait remarquer que son précédent visa n'est pas périmé et donc toujours valable. Eva, femme mariée pour obtenir un visa quitte une nouvelle fois la Hongrie avec un visa estampillé "célibataire".
Elle mettra des années pour sortir enfin sa chère maman de Hongrie. En Angleterre, la vie n'est pas facile. Alexandre Korda, Hongrois comme elle lui a signé un contrat à la Rank, un contrat bien modeste pour lui rendre service mais il n' a pas de films à lui faire tourner.
Alors Paal Alexandre va l'inciter à se montrer, à se faire connaître. Il faut qu'elle soit de toutes les fêtes, de toutes les premières, il faut que l'on parle d'elle, qu'elle se crée une image, une réputation à défaut de légende. Mais pour tout cela, Eva, devenue Bartok pour des raisons bien évidentes de prononciation n'a ni robes ni bijoux ni visons. Alors elle se crée des tenues extravagantes avec trois fois rien. Très vite ses chapeaux inouïs deviennent célèbres. Bientôt on parlera plus de ses bibis dans la presse que des acteurs qui jouaient la pièce sur scène. Il ne se passera plus une semaine sans que l'on parle de ses tenues. Elle est une habituée des pages modes des magazines. Mais au cinéma, rien ne vient. La stratégie n'est pas payante. Pire: elle donne d'Eva Bartok une image publique frivole, futile et coquette, ce qui est à l'exact opposé de sa nature.
Elle ne parviendra plus jamais à s'en défaire.
Lorsqu'Eva sera enfin en sécurité, Paal Alexander reprendra sa liberté et quittera Londres pour Hollywood où il était attendu. En 1950, Eva n'a toujours tenu qu'un petit rôle au cinéma. Le film qu'elle était venue tourner pour Paal Alexander en 1948 ne sortira qu'en 1951 dans une indifférence complète. Mais enfin, les choses avançaient. Sa mère a enfin quitté la Hongrie. Elle s'est installée chez des cousins grenoblois car les réfugiés sont alors mieux protégés en France. Eva de son côté a rencontré l'amour en la personne distinguée de William Wordsworth.
Et puis enfin, les choses démarrent et l'avalanche de publicité s'avère payante. Des producteurs italiens cherchant une actrice anglaise l'engagent, persuadés qu'elle est une actrice de premier plan puisque la presse londonienne ne parle que de ses robes et de ses chapeaux. On ne peut plus ouvrir la moindre gazette sans tomber sur une photo d'Eva Bartok. C'est ainsi que l'exilée hongroise de Londres débutera vraiment sa carrière d'actrice à Rome. Mais comme toujours, le rose et le noir se disputent dans la vie d'Eva Bartok. A son immense stupéfaction, son mari la somma de refuser l'offre italienne. Elle refusa cette exigence et il y eut divorce.
Dès lors la vie d'Eva Bartok va se transformer en un incroyable tourbillon international comme si le destin lui remboursait subitement les années perdues. Son film n'est pas encore terminé lorsque Burt Lancaster , lui aussi en Italie, l'engage pour son prochain film.
Il n'en faut pas plus.
Eva est lancée.
Très vite Hollywood s'intéresse à son cas, elle y est reçue comme une reine et avec un contrat chez Warner à la clé. Les films se succèdent à une allure incroyable et dans la foulée Eva forme un couple de cinéma avec Curd Jürgensque le public va adorer et plébisciter à cinq reprises. Lorsque les amours de cinéma deviendront réelles et que le couple choisira de convoler en justes noces, ce sera un véritable délire.
Curd couvrira sa sublime épouse adorée de visons, de bijoux, de robes inouïes. Il lui offrira des Cadillac, des villas, un château dans les Alpes, mais ne pourra pas lui donner ce qu'elle espère le plus au monde: Un enfant. Comme William Holden, Curd Jürgens a subi une opération qui l'empêche d'être père.
Une nouvelle fois, c'est le divorce qui attend Eva Bartok.
Quelques mois après que le divorce ait été rendu officiel, l'actrice, seule dans sa villa d'Hollywood est prise de violents maux de ventre. Emmenée d'urgence à l'hôpital, elle est diagnostiquée souffrant d'un cancer de l'ovaire. Dans la foulée on lui apprend qu'elle est enceinte et qu'il faut impérativement pratiquer un avortement. Si ses jours peuvent être sauvés, l'enfant est irrémédiablement condamné.
Au plus fort d'elle-même Eva Bartok refuse cette éventualité. Elle sait jusqu'au fond de son âme que son enfant se porte bien. Elle repoussera sans cesse son opération au grand dam catastrophé de ses médecins qui finirent par la déclarer perdue.
Eva Bartok accouche d'une ravissante petite fille en parfaite santé le 7 Octobre 1957.
On spécula d'ailleurs beaucoup sur le père de l'enfant. Frank Sinatra avec qui Eva avait eu une courte liaison après son divorce fut placé gagnant devant Dean Martin par les commères hollywoodiennes. Curd Jürgens mit tout le monde d'accord en reconnaissant la petite Deana Grazia. Eva accepta. Puis elle se consacra à sa liaison avec le prince italien Vittorio Massimo qui de son côté livrait une bataille juridique à l'actrice Dawn Addams pour la garde de leur petit garçon.
Depuis le début des années 50, Eva Bartok se passionnait pour les philosophies et avait son gourou. Il fut le seul à la soutenir dans sa volonté de garder son enfant. Lorsque sa fille fut venue au monde et l'actrice remise de son accouchement, Eva accepta enfin de sa faire opérer. Mais l'intervention n'était plus nécessaire. Eva Bartok était guérie. Elle mit ce miracle sur le compte de sa seule volonté et se consacra alors avec ferveur au "voyage intérieur".
Elle devint membre de l'association spirituelle "Subud" C'est son gourou qui l'incitera à reprendre son travail d'actrice. Elle était une star immense en Allemagne et triomphait maintenant dans cette Angleterre qui n'avait su que faire d'elle dix ans plus tôt. Eva restera une enfant chérie du cinéma international jusqu'au milieu des années 60. Puis elle se sentit soudain fatiguée et comme prise à nouveau dans un tourbillon artificiel.
Elle choisit alors de se retourner vers la méditation et se retira à Java. Elle s'y installa et y vécut avec sa fille et sa chère maman.
Elles quitteront ensuite Java pour Hawaï puis Los Angeles puis Londres, mais les activités de la belle Eva Bartok n'auront plus rien à voir, de près ou de loin avec le cinéma.
Le 1 Août 1998, Elle s'effondrait vaincue par une crise cardiaque.
© 2023 Céline Colassin.
QUE VOIR?
1950: Madeleine: Avec Ann Todd et Ivan Desny.
1952: Le Corsaire Rouge: Avec Burt Lancaster
1953: Spaceways: Avec Howard Duff
1953: Park Plaza 605: Avec Tom Conway
1954: Viktoria und ihr Husar: Avec Friedrich Schoenfelder
1954: Orient Express: Avec Silvana Pampanini, Curd Jürgens et Henri Vidal
1956: Durch Die Walder Durch Die Auen: Avec Peter Arens
1957: Ten Thousands Bedrooms: Avec Dean Martin et Monique van Vooren
1958: Madeleine, Tel: 13 62 11: Avec Alexander Kerst
1959: Douze Heures d'Horloge: Avec Lino Ventura et Laurent Terzieff
1960: Ti Aspettero All 'Inferno: Avec John Drew Barrymore et Massimo Serrato
1960: Beyond the Curtain: Avec Richard Greene
1961: La Vérité d'un Mensonge: Avec Petre van Eck et Marianne Koch
1961: Es muß nicht immer Kaviar sein: Avec O.W. Fischer et Senta Berger
1961: Diesmal muß es Kaviar sein: Avec Geneviève Kervine et Senta Berger
1963: Nia Ferien, We Noch Nie: Avec Carlos Thompson
1963: L'Avventura al Motel: Avec Riccardo Billi