FAY WRAY
- Céline Colassin
- 18 oct.
- 6 min de lecture

Fay Wray naît un 15 septembre 1907 à Cardston, dans l’Alberta canadienne. Une minuscule bourgade posée au milieu des plaines. Elle s’appelle Vina Fay Wray pour l’état civil. Ses parents, Joseph Heber Wray et Elvina Marguerite Jones, sont des mormons durs à la tâche, venus d’Utah. Joseph est tailleur, Elvina élève onze enfants, dont Fay est la cinquième. Le foyer est modeste, très croyant, et plein de chants religieux. La petite Fay aime chanter aussi, mais pas les mêmes hymnes. Elle rêve de villes, de caméras et d’histoires. Déjà, on dit qu’elle joue des tragédies dans le jardin avec un drap blanc pour robe et le chien pour prince charmant.
L’Alberta, c’est beau, mais on n’y tourne pas de films. Qu'importe. Le destin veille. les Wray quittent le Canada pour les États-Unis, direction l’Arizona, puis la Californie, où l’industrie du cinéma grandit comme un mirage. Le père disparaît du tableau — un départ dont Fay parlera peu. Elle gardera de cette enfance une conviction : qu’on ne survit que si on se réinvente. Et Hollywood, justement, adore ce genre d’idée.

À Hollywood High School, la jeune Fay fait des petits boulots pour s’en sortir un peu durant ses études. Des figurations. Elle a seize ans et le visage parfait pour les films muets : des yeux immenses, une bouche délicate, et cette expressivité pure qu’aucun dialogue ne viendra troubler. Elle tourne d’abord dans l’anonymat complet. On la voit ici et là, sans la remarquer. Jusqu’à ce que l’un des chefs de casting de la Paramount, charmé par sa fraîcheur, lui dise :
“Vous avez un visage de rêve, Miss Wray. On dirait que la lumière se repose sur vous.”
Et la lumière ne l’a plus jamais quittée.
En 1925, elle signe un contrat à Universal et obtient son premier rôle d’importance. Très vite elle traverse les studios comme une étoile qui apprend à scintiller sans faire d’ombre.
Dans le Hollywood des années 20, les actrices sont souvent façonnées comme des poupées interchangeables. Un jour brune, le lendemain blonde, selon la lubie d’un directeur de la photographie. Fay, elle, garde sa blondeur naturelle, son port altier et son regard d’enfant sage qu’un rien rend tragique.
Elle plaît. Elle plaît même beaucoup. On la compare à Mary Pickford, la “petite fiancée de l’Amérique”. Ce qui amuse beaucoup Fay, qui confie à un journaliste :
“Je ne suis la fiancée de personne, mais je veux bien être celle du cinéma.”

Le passage du muet au parlant, cette apocalypse qui emporta bien des carrières, la trouve prête. Elle a une voix claire, douce, un accent américain parfait malgré son enfance canadienne. Et surtout, elle sait jouer la peur — comme personne. Dès le début des années 30, elle devient la reine des films d’épouvante, la “Scream Queen” avant qu’on invente le mot.
Elle tourne en 1932 Docteur X, premier film d’horreur tourné en Technicolor, puis Le Mystère du Musée de Cire. On la retrouve traquée, hypnotisée, ligotée, évanouie, criant à s’en briser la gorge, toujours magnifique. La critique ricane un peu, mais le public l’adore. Fay s’en moque :
“On dit que je crie trop. Mais j’ai toujours pensé qu’il valait mieux crier trop fort que se taire au mauvais moment.”
Et puis arrive King Kong.
Quand le réalisateur Merian C. Cooper la rencontre, il lui lance sans préambule :
“Je vous offre le rôle de votre vie.” “Quel homme vais-je aimer cette fois ?”“Pas un homme. Un singe.” Fay rit. Puis elle accepte, évidemment. Cooper est un ancien aviateur, un aventurier, un fou visionnaire qui veut tourner une histoire d’amour impossible entre la beauté et la bête. Fay, qui n’a peur que de s’ennuyer, fonce.

Sur le tournage, on ne voit jamais le gorille en entier : il est fait d’un bras géant articulé, d’un œil en caoutchouc, et d’une imagination démesurée. Fay doit hurler dans le vide, grimper sur des maquettes et se faire secouer par des câbles dissimulés sous ses jupes.
Elle en ressort couverte de bleus, exténuée, mais lucide :
“Ce gorille-là, disait-elle, c’est le seul partenaire qui m’ait vraiment pris dans ses bras.”
King Kong sort en 1933 et fait d’elle une légende mondiale. Son cri résonne dans toutes les salles du monde. Les Américains sont fascinés. L’Europe, intriguée. Et Fay Wray, soudain, devient plus qu’une actrice : elle devient le symbole de la beauté confrontée au monstrueux.
À New York, pour l’avant-première, l’Empire State Building — le vrai, celui que Kong escalade — est illuminé pour elle. Elle confie plus tard :
“Ce soir-là, je me suis sentie aussi haute que le gratte-ciel. Et un peu seule, aussi.”

Car pendant que le monde acclame son cri, Fay traverse ses propres drames. Son mari, l’écrivain John Monk Saunders, brillant mais instable, sombre dans la dépression et l’alcool. Leur mariage se délite, il se suicide en 1940. Fay élève seule leur fille. Elle se remariera avec Robert Riskin, le scénariste fétiche de Frank Capra. Un homme doux, intelligent, presque timide.
Ce sera son grand amour. Mais la vie ne lui fera pas de cadeau : Riskin meurt à son tour en 1955. Fay a à peine la cinquantaine, et déjà le visage d’une survivante.
Elle continue à tourner, ici et là, mais le cinéma a changé. Le son est devenu plus fort que le silence, la technique plus importante que la grâce. Fay reste digne et active jusqu'à la fin des années 50 puis s'offre une carrière télévisée en apparaissant dans toutes les séries importantes du moment.
Elle se consacre à ses enfants, à ses rôles télévisés, à des conférences. Toujours élégante, toujours coiffée à la perfection, elle parle de Kong comme d’un vieil ami. “Il ne m’a jamais quittée, dit-elle. Dans chaque foule, il y a quelqu’un pour me dire : Oh mon Dieu, c’est la fille de King Kong ! Je crois que j’ai été enlevée par ce singe toute ma vie.”

Le temps passant, Hollywood redécouvre sa tendresse. Les jeunes réalisateurs l’invitent. Les historiens du cinéma la vénèrent. Quand Peter Jackson décide de tourner son propre King Kong en 2005, il lui écrit une longue lettre. Il veut sa bénédiction. Fay, âgée de 96 ans, la lui donne avec humour :
“Dites à votre Kong que je suis une vieille dame, il risque d’être déçu.”
Quelques semaines plus tard, elle s’endort paisiblement chez elle, à New York, sans tambour ni trompette, mais avec la sérénité des gens qui ont laissé une empreinte indélébile.
C’était le 8 août 2004. Fay avait 96 ans. Elle en aurait même eu 97 un mois plus tard.
Le soir de sa mort, l’Empire State Building éteint ses lumières pendant quinze minutes. Ce geste symbolique fait plus pour sa mémoire que tous les hommages officiels. C’est comme si Kong lui-même, depuis le sommet, avait fermé les yeux.
.“Si j’avais su que c’était ça, la célébrité, j’aurais crié plus fort.”
Celine Colassin

QUE VOIR?
1923: Speed Bugs: Avec Fred Spencer
1924: Sweet Daddy: Avec Charley Chase
1925 : Unfriendly enemies : Avec George Rowe
1925: Chasing the Chaser: Avec Helen Gilmore
1925: A Lover’s Oath: Avec Ramon Novarro
1925: Ben Hur Avec Ramon Novarro et May MacAvoy
1926 : The Saddie Tramp : Avec Edmund Cobb
1926: The Man in the Saddle: Avec Hoot Gibson
1926: WAMPAS baby Stars 1926: Avec Joan Crawford et Dolorès Costello
1929: Pointed Heels: Avec William Powell
1929: The Four Feathers : Avec Richard Arlen et William Powell
1931: The Finger Points: Avec Richard Barthelmess et Clark Gable
1932: Doctor X: Avec Lionel Atwill
1932 : The Vampire Bat: Avec Lionel Atwill et Glenda Farrell
1932 : The Most Dangerous Game : Avec Joel McCrea
1933: The Woman I Stole: Avec Jack Holt et Raquel Torres
1933: Ann Carver's Profession : Avec Gene Raymond
1933: King Kong: Avec Robert Armstrong et Bruce Cabot
1933: Mystery of the Wax Museum: Avec Lionel Atwill et
1933: Below the Sea: Avec Ralph Bellamy
1934: The Affairs of Cellini: Avec Constance Bennett et Fredric March
1937 : It happened in Hollywood : Avec Richard Dix
1937: Murder in Greenwich Village: Avec Richard Arlen
1941: Adam Had Four Sons: Avec Ingrid Bergman et Susan Hayward
1955: The Cobweb: Avec Lauren Bacall, Gloria Grahame et Richard Widmark
1955 : Queen Bee : Avec Joan Crawford
1956 : Rock, Pretty Baby: Avec Luana Patten et John Saxon
1957 : Tammy and the bachelor : Avec Debbie Reynolds
1958 : Dragstrip Riot : Avec Yvonne Lime et Connie Stevens
1958 : Summer Love : Avec John Saxon et Jill Saint John


