
En 1967, Claudia Cardinale était, plus belle que jamais, la grande attraction du festival de Venise. Le jury, sous la direction d’Alberto Moravia, sortait bouleversé d’un modeste film d’auteur allemand: « L’Insatiable », qui sortirait bientôt sur les écrans rebaptisé « Le Repas » et qu’avait dirigé Edgar Reitz.
Bien que la révolution échevelée de 1968 couve déjà en 1967, ce n’est pas le scénario de l’œuvre qui bouleversa à ce point le jury. Bien qu’après la projection du film on décida que cette année là, le festival serait « engagé ». Le scénario: Un jeune couple s’adore et se fiche bien de l’argent qu’il n’ a pas. Les tourtereaux s’installent dans une minable sous pente mansardée avec vue sur cour. Elizabeth la belle amoureuse pouponne a trois reprises et son cher et tendre Rolf travaille en fignolant sa coupe de cheveux et des études nébuleuses et éternelles. Finalement ils en viendront à la conclusion que sans fric la vie n’est décidément pas possible et ils deviendront mormons. Puis Rolf se suicidera et Elizabeth se remariera avec un américain bien moins pauvre.

Evidemment, raconté par moi le grotesque n’est pas loin. Mais le film était fort et beau. Ne méritant pas mon ton sarcastique, il avait la puissance du jeune cinéma Allemand de l’époque qui donnait aux choses la lumière crue et sans complaisance de leur réalité. Ah souvenons nous, encore éblouis de « Tous les Autres s’appellent Ali ». Sous des éclairages dignes de salles d’autopsies, le cinéma Allemand avait alors je le répète une vigoureuse audace sans concessions qui hélas n’enfantera que « Derrick » et « Rex chien flic ». Séries qui à défaut d’être vraiment transcendantales resteront néanmoins fidèles aux éclairages aux néons.
Mais revenons à Heidi Stroh, car c’est d’elle qu’il s’agit.
Heidi Stroh la jeune comédienne qui campait avec un réalisme sans concessions cette très prolifique Elizabeth. C’est elle qui bouleversa le public et on crut longtemps qu’elle se verrait gratifiée du grand prix d’interprétation féminine. Il y eut hélas deux bâtons dans les roues d’Heidi: le premier et non des moindres était la présence dans la même compétition de "Belle de Jour" avec Deneuve en Saint Laurent.
Quant à l’interprétation féminine, il y avait Shirley Knight qui dans « The Dutchman » affolait les populations mâles et noires en se maquillant comme Amanda Lear époque Salvador Dali. Personne n’aurait osé envisager de ne pas la consacrer pour cet exploit!

Mais Heidi Stroh avait été sensationnelle elle aussi. Elle avait parmi les membres du jury d’ardents défenseurs qui frôlaient le fanatisme. Le duel fut tel que le jury envisagea très sérieusement d’offrir un « prix spécial d’interprétation » à Heidi. Finalement c’est le film qui obtiendra un « prix spécial du jury ».
Heidi Stroh est née le 10 Février d’une année qu’elle tait obstinément, que l’on présume être 1947 et qui est en réalité 1941. Elle naît à Léna qui est une ville allemande et non une gagnante de l’Eurovision de la chanson.
Les parents d’Heidi avaient une école de danses de salon, ce qui l’émerveillait au plus haut point. Mais contrairement à ce qu’elle aurait pu croire, convaincre ses parents de la laisser devenir danseuse ne fut pas aussi simple que prévu. On exigea de la jeune demoiselle qu’elle suive en parallèle de très sérieuses études. Et au moindre échec, plus de barres parallèles!
C’est comme cela que la diva de Venise 1967 était officiellement comédienne, danseuse et…assistante dentaire!
Au début des années 60, Heidi s’installe à Rome où elle parfait ses études artistiques et décroche même de petits rôles au théâtre. C’est encore en Italie qu’elle débute au cinéma de manière significative en 1964. Même si elle avait tenu dans son Allemagne natale un petit rôle quatre ans plus tôt dans « Le Village sans Morale ». Elle n’est donc pas une débutante lorsqu’elle triomphe à Venise avec « L’Insatiable », elle a même déjà donné la réplique à Vittorio Gassman.

Heidi a toujours fait preuve d’un grand éclectisme et mène depuis ses débuts une carrière de chanteuse en parallèle. C’est d’ailleurs ce qui provoquera la seule vraie grande déception de l’actrice: Elle est bouclée avec une tournée lorsque Federico Fellini la sollicite pour un rôle et elle ne réussit pas à se dégager.
Avec le passage du temps, Heidi qui reste somptueuse et blonde platine à en faire mourir de jalousie Michèle Torr se désintéresse peu à peu du cinéma et de la télévision, on ne l’a plus vue depuis 1993, pour se consacrer à ses deux grandes passions. La chanson d'abord. Il faut la voir débarquer sur scène moulée dans des fourreaux de dentelle noire dignes de Sophia Loren et capturer d’un battement de cils un public conquis d’avance avant de l’envoûter de sa voix chaude et grave.
Son autre passion étant la sauvegarde des phoques.
Bref, une grande dame dans toute l’éblouissante splendeur que requiert l’emploi.
Celine Colassin.

QUE VOIR?
1960:Das Dorf ohne Moral: Avec Loni Heuser et Paul Löwinger
1964: Se permettete parliamo di donne : Avec Vittorio Gassman
1967: Le Repas: Avec Hauke George et Nina Frank
1969: Cardillac: Avec Catana Cayetano et…Gunter Sachs
1972: Ohne Nachsicht: Avec Joachim Regelien
1976: Mitgift: Avec Senta Berger