En 1905, le 23 Mars, naît à San Antonio au Texas dans une famille pauvre la petite Lucille Fay le Sueur, future Joan Crawford, reine adulée du cinéma Américain.
Son père s’appelle Thomas le Sueur et sa mère Anna Bell Johnson. Le couple a déjà eu une fille, Marguerite qui est décédée avant la naissance de Lucille et un garçon, Hal, bien vivant. Mais de San Antonio à Hollywood, la route sera longue. Longue et douloureuse. Le père de Lucille n’a pas attendu la naissance de la petite fille pour abandonner la mère. La vie est plus que pénible pour cette femme seule avec son fils et son petit rejeton aux yeux globuleux. Portrait vivant du père démissionnaire, ressemblance qui ira toujours en s’accentuant.
Lucille Fay aura pour un temps un père de substitution, monsieur Henri Cassin, propriétaire d’un minable cinéma en Oklahoma. A Lawton très exactement. Minable mais suffisant pour fasciner la petite fille et imprégner son imagination fertile. Elle a six ans et décrète qu’elle sera danseuse. Il n’est jamais trop tôt pour aller au devant de la gloire et avec l’énergie qui la caractérisera toujours, elle persuade son frère de monter un spectacle dans une grange voisine pour les enfants de la ville. Hal s’improvise trapéziste et Lucille présente une danse gitane endiablée et un simulacre de ballet classique. La grange fait salle comble ! Lucille s’est donné un pseudonyme pour quand la gloire viendra : Billie Cassin, son premier pas vers la liberté et l’affranchissement. Les choses ont l’air amusantes, vues sous cet angle, elles ne le sont pas. Malgré leur collaboration artistique, les relations sont mauvaises entre le frère et la sœur.
Lucille était trop petite lorsqu’il est parti pour se souvenir de son vrai père et croit être la fille d’Henri Cassin, Hal la détrompe de manière brutale et pour la petite fille, le choc est très violent. Sa mère n’a pas le temps de la consoler, elle doit travailler dur et la vie n’est pas rose. De plus, la petite Lucille s’est gravement blessée au pied en jouant, elle a sauté dans l’herbe, il y avait une bouteille de lait cassée. Elle devra subir plusieurs coûteuses opérations dont la famille n’a pas les moyens. Elle restera un an et demi clouée à la maison et les pronostics médicaux sont mauvais. Il est fort probable que la petite fille qui se rêvait danseuse étoile ne puisse plus jamais marcher.
Lucille, guérira pourtant mais elle devra quitter l’école très tôt et elle restera humiliée toute sa vie de son inculture. Elle fera des ménages dès l’âge de douze ans et nettoyer la crasse des autres pour la charité de quelques pièces jetées dans l’eau de vaisselle va lui laisser une autre empreinte indélébile. Une phobie de la saleté, une terreur du manque d’argent et la hantise de retomber dans la misère.
Déjà avant que monsieur Cassin ne jette son dévolu sur sa mère, celle-ci avait dû accepter un travail de bête de somme pour un salaire de misère dans une blanchisserie pour qu’on lui permette de dormir là, dans un cagibi avec ses deux enfants. La femme abandonnée avec sa progéniture frôlait la clochardisation.
En 1916, les Cassin changent de ville et s’installent à Kansas City, Lucille a 11 ans, devient jolie. Son beau père va abuser d’elle. La mère de la petite fille se rend compte de ce qui se passe. Mais entre reporter la faute sur sa fille ou quitter Cassin pour errer sur les routes avec deux enfants, son choix est vite fait. Lucille, onze ans est une garce. Une allumeuse. Une salope qui a détourné de sa chère femme ce brave monsieur Cassin (Recherché par la police pour vol soit dit en passant).
Pour l’avoir mise face à cet acte, la mère de Lucille lui en voudra jusqu’au dernier de ses jours, ayant probablement fini par se persuader de la culpabilité de l’enfant. Lucille doit quitter la maison pour une institution catholique des plus sévères : Sainte Agnès. Sa mère, parfois, consent à venir la voir flanquée de son nouveau mari Harry Hough (Il semble qu’Anna Bell n’ait jamais épousé monsieur Henri Cassin) Lucille ne fait pas que des ménages pour survivre. Elle travaillera en blanchisserie avec sa mère, sera serveuse de restaurants plus que minables. Décidément non, les belles dames qu’elle a vue dans le cinéma Cassin ne s’humiliaient pas à ces basses besognes. Pauvres, elles devenaient danseuses. On les remarquait et elles finissaient riches et propres. Servies à leur tour par de grosses matrones noires qu’elles traitaient en égales en souvenir des années pouilleuses de leurs débuts et leur offraient de vaporeux déshabillés dont elles ne voulaient plus. Déshabillés à 1000$ et trop petits d'au moins vingt tailles pour la domestique !
Lucille aussi prend des cours de danse quand elle arrive à escamoter quelques cents de ses minables salaires ce qui lui vaut quelques trempes magistrales. C’est que maman le Sueur ne donne pas dans la tendresse et la câlinerie, son genre est ailleurs, dans les coups.
Dès 1921, Lucille alors âgée de 16 ans fait tout ce qui est en son pouvoir pour échapper à son lot de misère quotidienne. Pour elle c’est une question de survie, elle ne cherche pas un mode d’expression, elle cherche du pain et du savon…et des garçons ! La jeune fille est folle d’hygiène, de danse et d’aventures sentimentales. Lucille a un partenaire de danse : Eddie Smith, à deux ils écument les concours pour se faire un peu d’argent de poche, mais le jeune homme a d’autres ressources pour les remplir plus vite.
En 1923, Lucille Fay le Sueur est inculpée pour prostitution, et bien des années plus tard encore, des copies de films de la même année circuleront où l’on pourra voir celle qui est devenue la starissime Joan Crawford danser nue à l’intention de la clientèle des cinémas pornos et des peep shows. Ou plus exactement, si je veux être tout à fait exacte, pour tout le reste de sa vie, Joan Crawford paiera régulièrement des sommes folles à des maîtres chanteurs la menaçant de rendre publics ces films tombés en leur possession. Le plus assidu et le plus gourmand de ces maîtres chanteurs n’étant autre que son propre frère. Vrai ou faux, quoi qu’il en soit, ces films ne sont pas réapparus.
Joan devient girl dans des troupes itinérantes de dernière zone, va de ville en ville et bien sûr, lorsque sa troupe du moment passe par Broadway en venant de Detroit, elle s’y incruste. Elle n’a pas assez de talent ou d’expérience pour faire illusion. Même pour le genre d’emploi que tient Barbara Stanwyck à pareille époque : troisième flamme à gauche d’un chandelier humain. Lucille sera « Madame fête du travail ».
Si elle ne peut pas se faire remarquer sur scène de manière probante, elle se fera remarquer à côté. Elle devient une flappers. Une jeune fille de son époque, robe et cheveux courts qui s’épuise dans les danses à la mode, autrement dit, Lucille sort en boîte, elle met l’ambiance ! Charleston et Black Bottom n’ont pas de secrets pour elle, elle ne sait pas danser, soit, elle improvise. C’est elle qui lance le « Shimmy ».
Cette mode de fille « garçonnes » comme Robert Margerit les a décrites dans son roman éponyme sont nimbées d’un mystère fait d’étrangeté, d’érotisme et de perversité. Elles boivent, fument, et dansent seules, se coupent les cheveux, on les imagine lesbiennes, nues sous leurs robes, droguées et comme de bien entendu prostituées. Bref elles attirent le curieux et donc les clients. C’est un phénomène de société. Les Clubs, les boîtes les cabarets, les speakeasy doivent en avoir à monter, sinon la clientèle masculine se débine. La réalité est moins rose que le fantasme et les « garçonnes » sont souvent de pauvres « taxi girls » à 50 cent la danse avant de passer en chambre.
En 1923, Lucille est devenue madame James Welton. Pas pour longtemps d’ailleurs, un an après elle reprenait sa liberté et les choses allaient s’enchaîner pour l’obscure petite danseuse. Lucille est remarquée par la MGM lorsqu’elle gagne un concours de danse. Elle donne même une leçon de « shimmy » en photos dans le Variety : « Lucille le Sueur vous apprend le Shimmy ». Lucille devient une attraction qui compte, une star dans les cabarets de légende où elle participe à tous les concours et rafle tous les prix ! Elle donne à ses démonstrations de danse une force et une énergie rarement vues et son entrain fait passer le manque de métier aux yeux d’un public moins averti que celui d’aujourd’hui.
Il est clair qu’à l’heure actuelle, Lucille le Sueur ne serait reçue nulle part comme danseuse. Mais en 1925, elle est tout à fait dans l’air du temps. Le photographe de la MGM l’immortalise au milieu de sa kyrielle de trophées et elle tape dans l’œil d’un fils de bonne famille, exactement comme dans le scénario de ces films qu’elle aimait tant.
Mais il y a une marge entre la réalité et le cinéma. Le jeune riche et beau Michael Cudaly, amoureux fou de sa danseuse se fait couper illico les vivres par ses parents. Privé d’argent à cause d’elle, la jolie Lucille l’intéresse beaucoup moins.
La MGM propose à Lucille un contrat à 17 dollars par semaine, essentiellement pour être la doublure de la star maison numéro un : Norma Shearer. Dès leur première collaboration, Norma la star s’aperçoit à peine de la présence de Lucille sur le plateau si ce n’est pour lui donner un ordre comme à une domestique, sensée, au besoin mourir pour elle. Joan la haïra jusqu’au dernier jour de sa vie. Elle tourne quelques rôles de son côté, de simples apparitions dansantes la plupart du temps et est créditée pour la première fois au générique d’un film en 1925.
La MGM, consciente du petit succès personnel obtenu par la jeune recrue lance un grand concours international : il s’agit de trouver à Lucille le Sueur le nom de star qu’elle mérite. Le gagnant du concours propose Joan Arlen et rafle le premier prix. Malheureusement, il existe déjà une Joan Arlen qui n’apprécie pas la blague, on se retranche alors vers le deuxième prix : Joan Crawford. Elle détesta d’emblée ce pseudonyme imposé et trouvait que c’était bien pour une recette de cuisine à base de fruits de mer mais pas pour une actrice. Elle finira par vénérer Joan Crawford, souhaitant que Lucille le Sueur n’ait jamais existé.
Joan Crawford est née et entend bien rester en vie. Elle accepte tout ce que le studio lui propose, consciente de ne savoir rien faire et avoir tout à apprendre. Elle est une véritable usine à se faire filmer. Plus de vingt films en moins de quatre ans, mais elle passe après Greta Garbo et Norma Shearer pour la distribution des rôles. Elle a pris Norma en grippe sans se rendre compte que Greta Garbo se sent menacée dans son statut d’idole absolue. Louis B. Mayer aussi trouve à la jeune Joan Crawford « quelque chose de spécial ». Et que Garbo s’en inquiète n’est pas pour lui déplaire. La divine suédoise étant un véritable fléau humain à ses yeux. Dès 1926, Il fait passer le salaire de Joan fixé jusqu’alors à 17 dollars à 250 dollars par semaine. Ce qui est énorme pour l’époque. Joan s’offre sa première voiture. Pas encore une Duisenberg ou une Voisin, mais une Ford bien costaude. Et la MGM ira même jusqu’à se fendre de l’acompte nécessaire pour qu’elle s’achète une maison.
Joan s’est fait de solides relations au studio, curieuse et assoiffée de savoir, elle est partout, tout le temps à s’intéresser et poser mille questions. Louis B Mayer, Irving Thalberg, Myrna Loy, techniciens, photographes deviennent sinon des amis, du moins des relations proches et respectueuses de la prometteuse jeune actrice.
Seule ombre au tableau : Norma Shearer. Norma est la femme du génial et tout puissant Irving Thalberg qui donne à la MGM son prestige et son cachet. Tous les films importants sont traités par Thalberg et Thalberg adore sa femme. Si Norma Shearer lui déclare avoir toujours rêvé d’incarner Juliette, la MGM met aussitôt le film en chantier pour faire plaisir à Norma qui campera donc une Juliette de 36 ans face à John Gilbert en Roméo godiche. Lorsque Norma lui pose la main sur les lèvres et qu'il se tait, la salle est hilare. Pour Joan Impossible de lutter avec « Une actrice qui couche avec le patron ». La phrase qu’elle lance à Irving Thalberg restera célèbre, d’autant qu’elle ajoute « Vous lui donnez tout et vous me laissez le reste ! » Joan aurait vendu son âme pour être Marie Antoinette, Norma obtient le rôle d’un battement de cils et d’un sourire matrimonial. Quant à Joan, Thalberg l’expédie dans un western pour lui apprendre à rabaisser son caquet qu’elle a trop impudent.
Joan devient enfin une véritable star en 1928 en incarnant un personnage de flappers qu’elle connaît bien, le sien, dans « les Nouvelles Vierges ». Elle a obtenu le rôle parce que Clara Bow initialement prévue s’est désistée. Le succès est hallucinant. Clara est déclarée définitivement évincée par Joan et le salaire de cette dernière est doublé avant qu’elle n’écoute les offres alléchantes des autres studios. Il faudra que Norma Shearer soit enceinte pour que Joan Crawford obtienne un rôle qui « vaut le coup » à sa place (Paid 1930). Elle fait du film un énorme succès, et la MGM le reconnaîtra elle-même, bien plus impressionnant que ce que l’on pouvait espérer avec Norma Shearer !
Joan est une star, Joan tourne, ses rôles gagnent en prestige, ses robes en font autant. Elle aime paraître couverte de zibelines et de diamants, mais aime à monter qu’elle vient d’un milieu modeste et difficile et qu’elle a bien mérité tout ce luxe. Joan Crawford joue les serveuses de bastringues qui réussissent en amour et en affaires à force de courage et de persévérance. Cette image lui correspond d’ailleurs assez bien, il faut le reconnaître, c’est un rôle vécu. D’une certaine manière, elle le vit toujours. Fière de sa réussite, elle reste en contact avec sa mère et son frère, elle subvient à leurs besoins. Il en sera ainsi jusqu’à la fin de leur vie. La mère ne dira jamais merci et le frère menacera Joan de chantage chaque fois qu’elle tardera trop à exaucer un de ses caprices. C’est qu’après tout, les « nudies » et l’acte d’accusation pour prostitution existent bien quelque part, pourquoi pas entre ses mains ?
Le public Américain, frappé de plein fouet par la crise de 1929 aime que Joan Crawford lui montre dans chacun de ses films la route semée d’espoir qui conduit de la soupe populaire aux rivières de diamants. Si le crash boursier a donné bien involontairement un coup de pouce à la carrière de l’actrice, la technologie moderne va lui en donne un autre. Le cinéma parlant bouleverse l’univers de stars et révolutionne les castings. La voix, cette chose inutile entre toutes pour une actrice de cinéma des années 20 compte subitement plus que tout. Certaines ne passeront pas le cap du parlant et disparaissent pour faute de lèse majesté Micro : une voix nasillarde, mal placée ou un accent du Kentucky invraisemblable. Mae Murray et Norma Thalmadge évacuent dare dare les plateaux de la MGM, laissant la place à Joan Crawford à la voix grave et bien placée.
Même Greta Garbo est sur la sellette : la divine a carrément une voix d’homme et la Metro décide qu’elle continuera encore à tourner des films muets, ne souhaitant pas que sa star numero un fasse se tordre de rire un public venu pour sangloter aux tourments d’Anna Karénine. Hélas, le public en question ne veut plus voir, il veut entendre. Garbo va devoir s’y mettre, Joan Jubile ! Elle en sera pour ses frais.
Lorsque l’actrice dans « Anna Christie » demande d’une voix mâle à l’accent Suédois : « Donnez moi un whisky à l'eau et ne soyez pas avare sur le whisky », le public est en délire et Greta est plus que jamais la star des stars.
Joan Crawford va devenir elle aussi une des toutes premières stars des années 30. La MGM met tout en œuvre pour faire d’elle sa star numero un. De la chirurgie esthétique et dentaire aux leçons de maintien et cours de toutes sortes, Joan est prise en mains et fabriquée comme un lego. Le couturier Adrian est à sa dévotion et l’habille de ses créations les plus ahurissantes, les plus novatrices (avant de courir s’occuper de Greta son idole).
Dans le tourbillon de gloire qu’est sa vie, sa passion pour les hommes et les alcools forts augmentent d’un cran et Joan consomme l’un et l’autre sans relâche. Elle développe ses premiers tocs, la chasse à la poussière commence et elle s’entiche de gardénias dont elle se couvre littéralement durant des années. Pas de Crawford sans gardénias. La chose la plus stable chez l’actrice est sans doute sa passion pour les chiens.
Adrian devra s’adapter à la folie gardénias ! Dans un de ses films, Joan porte une robe blanche avec un col si long et si empesé qu’elle est incapable de faire un geste vers le haut, comme de fumer ou de se coiffer. « Ce col doit être un oiseau blanc aux ailes déployées doucement posé sur vos épaules, Joan. » Adrian choisit d’accentuer encore les défauts de Joan Crawford plutôt que de les escamoter, ce qui lui semble impossible. Elle a des épaules de déménageur ? Une carrure invraisemblable ? On la souligne encore, on étoffe ses tailleurs d’épais paddings, on invente le décolleté « bateau ». La même technique est adaptée pour son visage : ses yeux immenses et globuleux sont encore valorisés par des sourcils épilés en arrondi, sa bouche encore accentuée elle aussi par un trait de crayon qui la déborde. Bientôt il y aura la bouche Crawford, le décolleté Crawford. Cette femme petite à la carrure massive, aux hanches invisibles, aux jambes courtes aux cuisses grasses et aux mains épaisses devient un must de l’élégance avant-gardiste. Le symbole de la beauté Américaine. Malgré les attentions d’Adrian, Joan se passionne pour la couturière parisienne Madeleine Vionnet qui invente le biais et l’actrice fait venir ses créations de Paris à grands frais. Rien n’est trop beau ni trop cher pour valoriser Joan Crawford, rien et surtout pas un mari aussi décoratif que prestigieux.
En 1929, Joan épouse Douglas Fairbanks Jr, le jeune premier par excellence, fils de Douglas Fairbanks et beau fils de Mary Pickford, deuxième épouse de son père, les beaux parents de Joan sont le couple le plus jet set de tout Hollywood. Joan fait donc son entrée dans le grand monde au bras de son mari. Au grand dam des époux Fairbanks qui la tenaient jusque là dans le mépris le plus absolu pour son passé de danseuse de charleston imbibée de bourbon et ne finissant jamais la soirée seule. Mary Pickford n’appréciait pas ce choix d’une fille sortie d’on ne sait où et ne fit jamais rien pour que Joan se sente accueillie dans leur célèbre demeure seigneuriale « Pickfair » où se bousculaient les grands de ce monde. Mary refusera de lui adresser la parole lorsqu’elle sera contrainte de la recevoir chez elle. Oubliant sans doute qu’elle n’était jamais elle-même qu’une petite bouseuse du Canada enrichie. Joan ressemblait à une petite femme de chambre qui aurait volé une robe de soir à sa patronne pour « se faire belle ». Elle s’empêtra dans sa robe de mariée et dans ses couverts, cherchant désespérément une âme compatissante chez ces gens snob, guindés, et pour tout dire assez ridicules.
Le couple divorçait en 1933. Douglas Fairbanks Jr. avait emmené sa tendre épouse pour un luxueux voyage de noces en Europe, mais il reconnaîtra lui-même : « Elle était malheureuse comme les pierres, elle se languissait d’Hollywood ! » Joan de son côté fit cette remarque plutôt désabusée : « Doug était tellement occupé à briller en société et de trouver le bon mot d’esprit au bon moment que le soir venu, il était vanné et ne trouvait plus rien à me dire lorsque nous étions enfin seuls à la maison. » Si dans la vie Joan n’a pas trouvé l’homme idéal, au cinéma elle forme un couple de rêve avec Clark Gable depuis 1931. Séparés ils sont très bien. Réunis ils sont magiques. Le public les réclame à corps et à cris, ils seront partenaires huit fois et très vite la fiction devient réalité. Bien que mariée à Doug Fairbanks JR, Joan vit une liaison passionnée avec Gable, ils resteront très proches jusqu’à la mort de l’acteur en 1961 et ceux qui l’ont bien connu sont unanimes pour confirmer l’amour et la confiance que Gable portait à Joan.
L’actrice a également une autre relation très stable et très suivie à Hollywood : avec sa très chère et inséparable amie Barbara Stanwyck. Les deux femmes se sont littéralement entichées l’une de l’autre, elles aiment sortir en filles et à l’occasion dormir l’une chez l’autre. Elles finiront par se brouiller sur une peccadille et ne plus jamais s’adresser la parole. On spécula longtemps sur les rapports exacts qu’entretenaient les deux femmes, lesquelles estimèrent n’avoir d’explications à donner à personne et encore moins de justifications. Lorsqu’Hollywood se livrera à un essentiel et passionnant travail, à savoir établir la liste des stars « supposées » être bisexuelles, Barbara caracolera à la première place sur une liste de cent noms. Joan se contentera d’une honorable quatrième place.
Les années 30 sont vraiment les années Crawford. En 1931, elle est distribuée avec sa rivale Greta Garbo dans « Grand Hôtel », même si à son grand regret elle n’a pas de scène avec elle. « Grand Hôtel » est le film Américain le plus prestigieux de l’année et emporte l’Oscar du meilleur film. Joan est également couronnée plus belle femme de l’écran Américain. Greta Garbo y est une prima donna des ballets russes, ce qui est d’une incrédibilité totale, personnage impossible à défendre, divine ou pas. Curieusement, le film connaîtra un remake Français avec Michèle Morgan dans les chaussons de Greta !
Le destin va encore une fois donner un ultime coup de pouce à Joan : Norma Shearer quitte le cinéma après la mort de son mentor Irving Thalberg, Greta Garbo parce qu’elle estime avoir fait « assez de grimaces pour le reste de sa vie » prend sa retraite anticipée, Jean Harlow décède. Joan Crawford reste seule femme à dominer de ses faux cils charbonneux l’empire de la MGM dont elle est maintenant la seule star.
En 1934, elle voit un homme se diriger vers elle sur le plateau de « Enchaînés », un homme vieilli, usé, mais qui lui ressemble furieusement. C’est son vrai père Thomas le Sueur qui vient à la rencontre de sa fille abandonnée et aujourd’hui richissime.
Le choc est rude pour l’actrice, mais le mal a été fait, et malgré une brève correspondance, ils ne se reverront jamais.
En 1935 Joan Crawford se remarie avec l’acteur Franchot Tone, jeune homme au charme indéniable et au talent certain mais peu fait pour survivre au milieu des requins Hollywoodiens. Amoureuse et comblée professionnellement, Joan Crawford a 30 ans et souhaite devenir maman maintenant qu’elle a trouvé en Franchot le père idéal pour ses enfants. Le couple achète une immense propriété où ils font même construire un théâtre privé, de quoi allier vie de famille et réceptions mondaines.
Après la neuvième fausse couche, Il n’y aura plus d’espoirs pour elle de ce côté-là. Le couple n’est alors plus qu’un couple de façade et pour qu’ils se disent encore « je t’aime » il faut que ce soit dans un film. Entre les prises, Franchot utilise le téléphone de la loge de Joan pour organiser sa soirée avec des starlettes souvent tapageuses. Joan entend, tricote, s’en fout. En 1939 le couple Tone est divorcé, Joan amorce un virage de sa vie et garde la maison comme il se doit.
Déçue dans ses espoirs de maternité, elle est devenue plus nerveuse, ne supportant plus que la perfection qui est exigée de tous, gens de maison ou techniciens de plateaux. Elle exige que la température sur les plateaux où elle tourne soit proche des 0 degrés, ce qui éclaircit son teint et fixe son maquillage. Elle est présente à tous les postes lors de l'élaboration de ses films. Quitte à clouer le décor et peindre les murs.
Lorsqu'elle n'est pas dans la scène, elle est à côté du chef opérateur, lorsqu'elle tourne, son professionnalisme atteint des sommets. "Très bien, Monsieur Cukor, souhaitez vous une larme à la fin du mot "adieu » ? Oui ? Très bien, quel oeil ?"
Lorsqu'elle donne le regard hors champ à son partenaire, elle rejoue la scène pour lui de la même manière et...avec la même larme au mot "adieu" peut importe le nombre de prises. Un cas unique dans toute l'histoire du cinéma. Ses anciennes phobies la reprennent plus vivaces que jamais, tout doit être propre, rangé, elle tricotte sans cesse entre les prises de vues ou fait le ménage sur le décor . Elle collectionne les chaussures et reporte son affection sur son caniche Clicot. Pour ses films elle maîtrise tout, sait parfaitement ce qui lui va et où elle va, tous ont la « Joan Crawford's touch", la « Joan Crawford's Formula » .
Touchée par le sort des orphelins, Joan Crawford réussit à adopter des enfants bien qu'elle soit célibataire. Elle en adoptera cinq au total mais l’un d’entre aux sera récupéré par sa mère biologique quelques jours après son entrée dans la famille.
Professionnelle jusqu’au bout des ongles et attentive à tout ce qui concerne Joan Crawford sa créature, elle « sent » que le vent tourne, que les choses doivent changer, comment, elle l’ignore. La MGM dont elle est la reine incontestée a reconduit son mirifique contrat pour cinq ans. Elle est une des actrices les mieux payées, même si ce n’est pas la générosité de ses salaires qui fait la gloire de la Metro.
Le vent tourne, parce qu’inlassablement, Joan tourne les mêmes rôles. Toujours et éternellement cette brave fille qui réussit à force de courage. Ce qui motivait en période de crise ennuie en d’autres temps, le public se lasse, les exploitants de salles se plaignent : « Plus de films avec Crawford ! » « No More Crawford Formula’s » Poison du box office ! Elle n’est pas la seule d’ailleurs, Marlène Dietrich, Katharine Hepburn, Greta Garbo, Dolorès De Rio et Mae West partagent cet honneur avec elle. Joan prend ses distances en 1937 et s’offre une pause carrière de deux ans. Essentiellement parce qu’elle a des problèmes conjugaux. Elle termine aussi une liaison avec Spencer Tracy, ne supportant pas les problèmes d’alcool de l’acteur.
Le public la retrouve en 1939 pour « Women » de Georges Cukor, chef d’œuvre éternel et absolu interprété uniquement par des femmes. Ce sera son dernier succès retentissant à la MGM, succès dans un film dont la vedette officielle est l’incontournable Norma Shearer. Norma est l’épouse trahie au profit de « Cristal Allen » alias Joan Crawford dans sa baignoire transparente. Joan est sublime et garce à souhait, Norma coiffée comme un artichaut par grand vent en fait des tonnes dans le larmoyant digne. On a l’impression qu’elle tartine l’écran au sirop de liège. Rosalind Russell, profitant du « duel » tire son épingle du jeu et c’est elle la véritable star de « Women ». Durant les prises, Norma reste dans sa loge quand ce sont les gros plans de Joan. Par contre lorsque c’est au tour des gros plans de Norma, Joan reste là, ne daigne pas honorer « l’autre » d’un regard et tricote dans son coin. Le cliquetis des aiguilles est présent comme un récital de castagnettes et les nerfs de Norma Shearer en ressortent en vrille.
Pour sa première interprétation de garce, Joan avait besoin à tout prix d’un bon rôle dans un film qui marche. Pour être libre elle refuse « Autant en Emporte le Vent », les westerns et les films de guerre étant passés de mode. Elle était pourtant le premier choix à l’unanimité pour interpréter Scarlett O'hara lors d’un référendum adressé au public américain.
De ces affrontements sur pellicule, Joan est sortie grandie. Elle triomphe dans « Women », Gable est oscarisé pour sa prestation en Reth Butler, la MGM décide de réunir l’ancien team à succès des années 30 en 1940, ce sera « Strange Cargo », le huitième et dernier film de Crawford et Gable ensemble. Après avoir été une garce pour la première fois, Joan Crawford se montre dépenaillée à l’écran. Elle jouera ensuite une femme défigurée. Joan Crawford est prête à tout pour se détacher de son étiquette glamour « icône de mode » et souhaite maintenant que le public vienne au cinéma applaudir ses performances et non ses robes. Le succès sera au rendez-vous, mais ce sera la dernière fois, pour d’étranges raisons le public se détourne, après les triomphes vient le temps des échecs et des larmes.
L’actrice Carole Lombard, épouse de Clark Gable trouve une mort brutale dans un accident d’avion. Elle laisse un film interrompu et Joan est la seule actrice libre pour reprendre le travail en cours. Joan est également la seule à pouvoir un tant soit peu détourner Gable de son chagrin et leur amitié se solidifie plus que jamais, il aurait pu en être autrement si Joan Crawford ne venait pas de rencontrer son prochain mari, l’acteur de séries B Philip Terry. La vive passion qui liait Gable à Crawford en restera toujours au stade de liaison clandestine.
La guerre venue, Myrna Loy se désintéresse du cinéma, il y a plus important à faire en ce monde, Harlow n’est plus, Norma Shearer a enfin pris sa retraite Garbo va suivre.
Joan reste seule à régner à la MGM, les grandes stars du moment que sont Rita Hayworth, Betty Grable, Ingrid Bergman, Ginger Rogers, Claudette Colbert ou Vivien Leigh ne sont pas chez Metro. Et ne voilà il pas que Mayer rentre tout guilleret d’un voyage en Angleterre avec sous le bras une rouquine sous contrat, une certaine Greer Garson qui dès son premier bout de rôle dans « Good bye Mister Chips » supplante Joan et se voit nommée aux Oscar. Joan la haïra du plus profond de son âme. Mayer en profite pour les distribuer dans le même film et Greer Garson souffle à Joan non seulement son titre de first lady mais son amoureux du moment, l’avocat Greg Bautzer.
Louis B Mayer aime bien Joan Crawford, c’est un fait, mais il aimerait aussi que sa compagnie ne perde pas d’argent. En 1943, Joan est virée. A Bientôt 40 ans, elle est seule, sans emploi avec quatre enfants à charge. A la déclaration de la guerre, Joan Crawford a jeté tout son avoir dans la balance. Il fallait dépenser sans compter pour préserver l’économie du pays florissante, faire des économies privées en temps de guerre était selon elle un véritable crime, pire : un attentat. Elle est donc seule et sans argent, elle dira plus tard n’avoir jamais pu compter sur Philip Terry et se demandait pourquoi elle l’avait épousé, si toutefois il lui arrivait de parler de lui !
Elle va devoir ravaler sa fierté, chercher un rôle, accepter de passer des auditions. La Warner se fait tirer l’oreille mais accepte finalement de la prendre sous contrat de sept ans mais amputé d’un tiers du salaire MGM. Joan n’a pas la réputation d’emmerdeuse de Bette Davis, la star est le cauchemar de la Warner. L’avisé producteur envoie donc à Joan les scénarii que Bette lui a lancés à la figure, Joan à son tour les lui rends, poliment, certes, mais elle refuse de les tourner. Pour Jack Warner la coupe déborde et Joan va se faire virer lorsqu’un miracle se produit : Miss Crawford a trouvé dans les déchets de Bette Davis un scénario qui lui plaît : « Mildred Pierce ». Un rôle, le croiriez vous, d’une brave fille qui réussit dans la vie à force de courage de travail et de persévérance mais qui a d’énormes soucis avec…Sa fille. Rosalind Russell avait également décliné l’offre dans la foulée de Bette Davis.
Joan sait qu’elle n’a pas droit à l’erreur, que ce film fasse un échec et elle peut retourner faire la vaisselle à San Antonio Texas.
Elle va travailler jusqu’à atteindre la perfection et dans la foulée l’Oscar de la meilleure actrice 1945. Satisfaction suprême, Joan supplante Greer Garson également nommée et qui verra bientôt sa cote dégringoler aux tréfonds du box office. Que l’on soit fan ou pas de Joan Crawford, sa performance reste saisissante 80 ans plus tard. Alors qu’elle se croyait finie, Joan Crawford va connaître chez Warner les plus glorieuses années de sa carrière, chacun de ses films est attendu avec impatience et le succès est toujours au rendez-vous. Elle est une experte, une machine à jouer parfaitement au point, elle a de quoi être fière et heureuse, elle ne l’est pas. Le temps qui passe la ronge psychologiquement, avoir quarante ans est une chose qu’elle n’a pas réussi à avaler.
Elle se peaufine une image de plus en plus allurale. Elle collectionne les aventures sentimentales, est connue dans tout Hollywood pour avoir un lit très accueillant et s’offrir des cuites magistrales au gin. Après avoir été littéralement et très sincèrement épouvantée par la dépendance de Spencer Tracy, c’est elle qui s’enivre jusqu’à s’écrouler sur place après 25 ans d’un alcoolisme mondain bien géré.
Le pire est peut-être sa mésentente avec sa fille adoptive Christina, la haine s’est installée et l’actrice l’éloigne de la maison avant d’avoir un coup de sang fatal ou de l’étriper pour de bon. Les choses ne s’arrangeront jamais. Cette situation épineuse entre la mère et sa fille adoptive est d’autant plus compliquée à démêler que d’autres n’eurent qu’à se louer de la gentillesse de Joan, comme la jeune actrice Joan Evans.
Les parents de Joan Evans, Dale et Albert sont des écrivains établis à Hollywood et ils choisirent leur amie commune de longue date Joan Crawford comme marraine de leur fille d’ailleurs prénommée Joan en l’honneur de la star. Lorsque la MGM sera à la recherche d’une jeune débutante, Joan proposera sa filleule qui débutera à 14 ans et fera trois films. Les choses se gâtèrent lorsque les parents de la jeune Joan s’offusquèrent des projets de mariage de leur précieuse fille avec un vendeur de voitures d’occasion. Ils mandatèrent Joan pour qu’elle intervienne et dissuade la jeune fille de perpétrer ce mariage insensé. Joan s’offusqua qu’on lui confie cette triste tâche et non seulement elle encouragea les amours du jeune couple mais leur offrit une somptueuse réception de mariage dans sa très luxueuse villa de Brentwood. Joan Evans ravie disparut des écrans, Joan Crawford acheta un break Ford au jeune marié pour conduire sa fille Christina au couvent et…Les parents de la jeune mariée n’adressèrent plus jamais de leur vie la parole à Joan Crawford !
Dans la foulée de l’Oscar « Mildred Pierce », la Warner offre de bons rôles à Joan Crawford, de bons rôles dans des films qui sans être noirs sont malgré tout très sombres, genre qui lui va à merveille. Elle est à nouveau nommée aux Oscar en 1947 pour son rôle de folle dans « Possessed » et supplantée cette fois par Loretta Young. Elle sera nommée une dernière fois en 1952, vaincue par Shirley Booth.
Après avoir été chassée comme un vieux clou en 1943, Joan est à nouveau une des stars les mieux payées d’Hollywood dès 1947. Et cerise sur le gâteau, Bette Davis à la même époque s’offre une fabuleuse plantation de navets Joan surfe donc à nouveau sur la vague du succès et évince Bette Davis, reine incontestée des studios mais qui cumule échec sur échec. Toute à sa joie, Joan ne va pas tarder à prendre le même chemin, ses derniers films chez Warner seront de véritables catastrophes financières. C’est au tour de Bette d’en rire.
A la même époque, elle se toque littéralement de la jeune Marilyn Monroe et décide de la « prendre sous son aile », la jeune actrice étant considérée comme la femme la plus mal habillée qu’il soit possible de croiser à Hollywood. Marilyn affirmera par la suite que Joan était très amoureuse d’elle et souhaitait plus que tout la mettre dans son lit. Marilyn selon ses propres aveux se « laissa faire pour voir ». N’ayant jamais eu de rapports sexuels avec une autre femme, la chose ne l’enthousiasmant pas particulièrement. Elle prit la poudre d’escampette ce qui ulcéra Joan Crawford qui abreuvera la presse de communiqués désobligeants sur Marilyn et sur son autre bête noire Elizabeth Taylor jusque dans les années soixante, les traitant de "bécasses indisciplinées déshonorant le cinéma. " Marilyn de son côté ajoute qu’en quittant la villa de Brentwood où Joan vivait, elle entendit la petite Christina pleurer, probablement pour avoir été battue. Ce qui tendrait à prouver que Joan pouvait faire plusieurs choses à la fois. Ne sachant pas que faire pour consoler l’enfant, elle lui administra un lavement, « à tout hasard », ce n’était pas très consolant reconnaît Marilyn mais au moins ça lui donnerait un joli teint !
En 1952, son contrat Warner terminé, Joan Crawford choisit l’indépendance, elle revient à la MGM par la grande porte pour « Torch Song » où elle semble se parodier elle-même et terrorise le pauvre Michael Wilding aveugle. Un joli faux pas en technicolor dans un film de série B même si MGM avait déroulé un tapis rouge depuis la rue jusqu’à la loge de Joan. Lorsque Joan franchit à nouveau la porte chez MGM, elle fut acclamée par le ban et l’arrière ban de tous les techniciens et autres professionnels du film. Certes, elle leur en avait fait baver en son temps, mais toujours pour mener à la perfection les films où elle paraissait. Depuis les pauvres avaient eu affaire à quelques créatures nettement moins affables comme le team Mario Lanza et Kathryn Grayson pour ne citer que les deux plus tapageurs. Joan se sentit chez elle, et puisque les grandes dames du studio le désertaient au profit de l’Europe où se complaisant tant et plus Ava Gardner, Lana Turner et Esther Williams.
Elle annexa purement leurs loges et les occupa toutes les trois après quelques menus travaux. Elle fit de celle d’Ava son living room, de celle de Lana sa sleeping room et comme il se doit, celle d’Esther devint sa salle de bains. Son message était clair : si ces trois bécasses se plaisaient tant en Europe, qu’elles y restent et qu’elles y pourrissent, Joan Crawford était rentrée à la maison, elle était rentrée chez elle.
Son Film suivant lui vaut une sa dernière nomination et elle enchaîne sur un de ses films les plus mythiques : « Johnny Guitar ». Ce flamboyant western a pour tout dire assez mal vieilli, mais à l’époque son prestige est ahurissant, le film touche les âmes, et ses fans inconditionnels en parlent la gorge nouée et la larme à l’œil. Elle aura la plus grande haine de sa carrière envers sa partenaire Mercédès McCambridge qui le lui rendait bien. Un jour que Mercédès avait transporté l’auditoire dans une scène, les techniciens commirent la bévue monumentale de l’applaudir. Joan en trembla tant qu’on la crut victime d’une crise d’épilepsie !
Joan n’est plus une actrice, elle est une diva, une déesse. Hélas les fans en délire ne sont pas suffisamment nombreux pour faire un carton au box office. Le studio voulait donner Bette Davis comme rivale à Joan mais à la tête que firent les deux principales intéressées, ils changèrent d’avis et choisirent Mercedes McCambridge…Pauvres d’eux ! Joan reçoit aussi un choc émotionnel en voyant le film, mais pas pour les mêmes raisons. Un technicolor impitoyable lui renvoie l’image d’une femme de 5O ans, son maquillage de plus en plus accentué film après film est devenu outré. Le look Crawford devient le clown Crawford, pour cette femme vénérée pour sa beauté incontestée, le choc est plus que rude, il est insurmontable, sauf avec beaucoup de gin et de vodka.
Joan échoue chez Columbia. Elle tourne « Queen B » en femme vieillissante et récolte un nouveau succès, le film reste aujourd’hui un des films préférés des fans de la star avec « Mannequin », « Women » et « Mildred Pierce ». En 1952, la planète cinéma s’ébouriffe. On a croisé Joan à la MGM ainsi qu’Eleanor Powell et Norma Shearer. Or, ces dames ne s’appréciaient que fort peu ! On spécula beaucoup sur un mystérieux projet qui les réunirait à l’écran. Il s’avéra qu’Eleanor venait toujours s’entraîner et répéter ses numéros au gymnase du studio où elle n’avait que des amis. Norma quant à elle avait gardé son dentiste MGM et Joan, malgré son départ fort spectaculaire continuait tout bonnement à venir se faire coiffer.
Trop intelligente pour ne pas tirer profit de cet étrange intérêt du public pour son image vieillissante, Joan en joue à l’écran, ajoutant au film son intrigue personnelle en plus de l’intrigue officielle. Elle accepte bien sûr les gros plans sur cette bouche trop sanglante, sur ce regard exorbité sous ces épais sourcils. Mais elle les mixe avec des scènes où elle montre ses jambes encore magnifiques, la finesse de son cou et bien sur ses énormes bijoux qui lancent des myriades d’éclats scintillants aux yeux des spectateurs. Ils étaient faux, mais sur Joan ils devenaient vrais.
Au début des années 50, les bons sujets se faisant rares et lui filant volontiers sous le nez, Joan poussera même son obstination à perpétrer sa légende jusqu’à produire ses films dont elle ne doute pas du triomphe. C’est en star mais surtout en productrice veillant au grain qu’elle parcourt le pays pour présenter « Sudden Fear ». De ville en ville elle hante les bureaux des principaux journaux, assiste à des dîners, des réceptions, donne des multitudes d’interviews. Et parce qu’elle ne se montre pas sur scène comme le veut la tradition avant et après la projection elle annonce un peu vite « Oh, ce n’est pas du snobisme, au contraire, j’adorerais faire du théâtre mais je suis une grande timide ! A l’idée de me présenter devant un vrai public je suis paralysée par le trac ! ». Aussitôt un des plus prestigieux théâtres de Chicago, le Loew’s State » où elle était attendue avec son film lui proposa de donner chaque soir durant une semaine une courte représentation « in Person » avant la projection. Joan déclina pour ne pas se parjurer et ce malgré les 25.000 dollars proposés.
Atrocement solitaire dans la vie, Joan Crawford rencontre en 1955 le directeur exécutif de la société Pepsi-Cola vers qui elle peut se tourner, capable de combler sa solitude et avoir enfin un rapport d’égal à égal dans la vie avec un homme. Le couple se marie et pour Joan Crawford Steele, c’est son premier mariage heureux. Elle vend sa somptueuse propriété de Brentwood à Donald O’Connor et quitte Hollywood pour s’installer définitivement à New-York avec son nouveau mari. Elle commence une nouvelle vie, une de plus. Elle se passionne pour les affaires de Steele et devient l’égérie bénévole de Pepsi-Cola.
Au passage, elle fait transformer de fond en comble un gigantesque appartement sur Central park pour vivre dans un écrin digne de son statut de star d’Hollywood et épouse d’un puissant homme d’affaires New-Yorkais. L’évènement est si considérable que la presse du monde entier s’intéresse aux travaux !
Il faut ici faire un aparté sur un mini phénomène de société propre à l’Amérique des années 50. Dans la foulée des succès de « All About Eve » et « Sunset Boulevard », le public Américain se passionne pour les stars nées avec le siècle. Marlène Dietrich est la flamboyante reine du phénomène « sexy mamy », talonnée de peu par Gloria Swanson, Bette Davis, Olivia de Havilland, Barbara Stanwyck et bien sûr Joan Crawford. Jusqu’à Greta Garbo qui est pourchassée hors de sa retraite par des producteurs avide de la faire tourner. Il n’y a pas à dire, la femme mûre est ce qui se fait de mieux dans l’Amérique des années 50, la ride est tendance et la lutte contre le vieillissement un passionnant challenge. Les nymphettes des années 60 balaieront tout ça.
Joan Crawford est si pleinement heureuse qu’elle décide même de faire la paix avec sa fille Christina, vivant elle aussi à New-York et devenue actrice comme sa mère. Comme sa mère et avec le même nom. Cette demoiselle exécrant sa mère adoptive a jugé néanmoins plus commercial de s’appeler Christina Crawford, nom ne figurant pas sur ses papiers d’identité. La fille de Marlène Dietrich aura au moins la présence d’esprit de ne pas se faire appeler Maria Dietrich !
Alfred Steele l’encourage à continuer sa carrière d’actrice, Joan reprends le chemin des studios pour « Feuilles d’Automne » et pour rencontrer un homme qui aura un rôle décisif dans la suite des évènements : Robert Aldrich. Joan tourne de bons films où elle est exceptionnelle dont « L’Histoire d’Esther Costello », si satisfaite de sa performance qu’elle s’attend à recevoir son second Oscar. Elle ne sera pas nommée mais recevra des nouvelles d’une autre nature : le décès de sa mère à 74 ans. Les relations mère fille avaient toujours été détestables mais Joan s’écroule complètement en apprenant la mort de sa mère. A peine quelques semaines plus tard, c’est Alfred Steele qui la laisse veuve, foudroyé d’une crise cardiaque. Ecrasée de chagrin, Joan tourne un film pour lequel elle s’était engagée, « The Best of Everythings » où elle est confrontée à une pléiade de jeunes actrices qui n’ont pas la moitié de son âge. Elle les déteste toutes en bloc et les appelle ouvertement « les jeunes pouffiasses ». Mais les jeunes poufiasses en question ne s’offusqueront pas. Elles sont les témoins privilégiés de la solitude écrasante et désespérée de la star et sont touchées au cœur, au point même de lui pardonner ses petits excès de délicatesse.
La succession de Steele est difficile, des emprunts sont impayés pour les travaux de l’appartement, Joan est à nouveau seule, mais cette fois elle est veuve, orpheline et sans argent. Elle a 55 ans. Pepsi-Cola accepte d’éponger les dettes posthumes de Steele et laisse l’appartement de Central Park à sa veuve. Elle continuera de son côté à vanter les mérites de la limonade avant d’être évincée de la société par un nouveau directeur.
En 1962, Robert Aldrich rêve de tourner « Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? ». Bette Davis et Joan Crawford, toutes les deux ayant désespérément besoin d’argent acceptent, mais personne ne veut financer le film. « Qui payerait pour voir ces deux vieilles biques » est la réponse habituelle des financiers. Aldrich devra faire son film avec des bouts de ficelles mais il ne renonce pas à l’idée. Bien lui en prit. Le film est en bénéfices une semaine après sa sortie et c’est le plus grand triomphe de ses deux actrices. Les anecdotes qui alimentent le tournage sont une involontaire mais céleste manne publicitaire. Les deux stars se haïssent, Bette Davis est violente, frappe réellement Joan Crawford qui se retrouve suturée à la tête. Il faut dare-dare évacuer les distributeurs automatiques Pepsi-Cola imposés contractuellement par Joan quand Bette arrive, les remettre en place dès que Joan est là. Quand Bette Davis doit traîner Joan Crawford paralysée sur le sol, Joan se venge et pèse de tout son poids, Davis s’offre un tour de reins et c’est son tour d’être hospitalisée. Pour Bette Davis, Joan Crawford se résume à « Cette imbécile avec ses faux nichons en caoutchouc, il n’y a pas un âne au monde qui croira que c’est les siens, c’est pathétique quand on a été un des plus beaux visages du cinéma Américain ! »
A 60 ans, Joan Crawford est la star d’un film à succès, une des plus prestigieuses de toutes. Bette Davis sera seule nommée à l’Oscar, ce qui n’impressionne nullement Joan Crawford : « C’est normal, elle a le rôle titre, ce n’est pas une question de talent, c’est une question d’éducation de la part de l’académie ! » Davis rétorque : « Joan Crawford et moi ne faisons pas le même métier, elle est une star de cinéma, je suis une actrice ! » . Bette Davis est évincée par Anne Bancroft pour « Miracle en Alabama », Anne étant empêchée, c’est Joan, parée comme une divinité et rayonnante de beauté qui monte sur la scène des Oscar recevoir la précieuse silhouette dorée à la place de son amie. Bette Davis se décompose de haine sur sa chaise, ignorée des photographes, perdante, difficilement consolée par son amie hollywoodienne : Olivia de Havilland.
Le succès est tel que la réunion des deux stars s’impose, ce sera « Chut Chut Chère Charlotte » Les deux actrices commencent le film, Joan a le droit cette fois de porter des robes somptueuses et de flirter avec Joseph Cotten, Bette doit rester dans de vieilles nippes tout le long du film. Après quelques jours de tournage, Joan déclare forfait prétextant une maladie imaginaire qui ne dupe personne et Olivia de Havilland, la seule créature humaine dotée d’ovaires que Bette supporte va la remplacer avec beaucoup de classe et de talent. Ce ne sera pas la dernière fois. Joan refuse le scénario de « A lady in a Cage » pourtant taillé sur mesure, Olivia très emballée se précipite sur le projet mais après la signature du contrat menacera de regagner son cher Paris où elle vit désormais si toutes les modifications qu’elle exige ne sont pas apportées au script. Le film connaîtra un très intéressant succès et James Caan y fera ses débuts.
On peut cependant être certain que Joan Crawford aurait été extraordinaire dans le rôle. Après « Qu’est-il arrivé à baby Jane » le public fasciné en veut encore, en redemande, Bette Davis et Joan Crawford deviennent les « Scream Queens ». Les deux divas enchaînent les films d’horreur à vive allure et le public se précipite voir ces deux viragos étriper le reste de la distribution de leurs films, Joan sera même la « Coupeuse de têtes » Elles passeront de l’épouvante au grotesque, finiront bouffonnes de l’hémoglobine. Il est de bon ton de plaindre la pauvre Joan Crawford qui fut une telle star et que le cinéma méprise et ridiculise aujourd’hui. Ça colle bien à sa légende et Joan ne détestait pas se plaindre. Plus d’une fois elle recevra des visiteurs en fauteuil roulant, la mine blafarde mais le sourire contrit d’un grand blessé de guerre qui essaie de faire bonne figure en recevant sa croix de guerre. Sûre de son effet, la porte refermée, Joan envoyait son fauteuil roulant balader et passait probablement l’aspirateur et la serpillère sur un bon vieil air de shimmy ou de Charleston. D’ailleurs pour parfaire son image de femme sublime et trahie, elle se gardait bien de dire qu’elle avait intégré le conseil d’administration de la Columbia en 1966 !
Au passage, Joan s’est offert un petit coup d’éclat de ridicule télévisé. Sa fille Christina a obtenu un rôle dans un soap à la télévision, mais hospitalisée d’urgence pour une péritonite aigue, il est question de la remplacer. Joan intervient avec toute son énergie et son aura légendaire, proposant à plus de soixante ans de remplacer sa fille de vingt trois ans dans le feuilleton le temps de sa convalescence. Le succès de curiosité est grand et le résultat navrant. Christina Crawford ne remettra plus les pieds sur le plateau. Joan ne se formalise pas pour si peu, elle accepte de nombreux contrats à la télévision, s’occupe de bonnes œuvres et reste particulièrement active pour Pepsi Cola.
C’est grâce à sa participation à son projet qu’un tout jeune metteur en scène peut monter ses capacités pour la première fois : un certain Steven Spielberg. Elle n’apprécia pas du tout que l’on confie le soin de la diriger à un « jeune freluquet » !
Même si elle déclare à la presse que d’être dirigée par des jeunes est une expérience qu’elle espérait depuis si longtemps et que Steven est merveilleux et qu’il lui apprend plein de choses. Elle faillit également être de l’aventure de « Rosemary’s Baby », mais arrivée très éméchée à la conférence de presse que donnait Polanski, celui-ci résolut de se passer de ses services. L’actrice reste très active jusqu’en 1970, année de son dernier film. Elle s’éloigne ensuite du cinéma, non que les offres n’affluent plus, mais l’heure n’est plus aux rutilants salaires et Joan a mieux à faire.
Mieux à faire mais plus pour longtemps, dès que son aura de star Hollywoodienne s’estompe, la société Pepsi cola l’évince de son staff promotionnel, ne souhaitant pas voir les mérites de ses produits vantés par une « Has Been ». En 1973, à près de soixante dix ans, Joan Crawford s’est installée dans un appartement plus fonctionnel et a réduit considérablement son train de vie. Cette année là encore, elle est surprise par des photographes lors d’une soirée en l’honneur de sa chère amie Rosalind Russell. Ivre, la perruque de travers et le maquillage outrancier de la star font la une des journaux le lendemain matin. Joan écœurée du procédé et épouvantée de ce qu’elle est devenue ne se montrera plus jamais en public, quelques soient les raisons ou les sommes mirobolantes qu’on peut lui proposer.
Elle termine sa vie solitaire, cloîtrée dans son appartement. Christina et Christopher se fichent comme d’une guigne de ce que peut bien devenir l’ancienne tortionnaire de leur enfance, très surpris par contre d’apprendre que la star les a rayés de son testament pour des raisons « bien connues d’eux ». Ses deux autres enfants adoptifs ne se répandirent jamais en propos désobligeants, veillèrent sur Joan jusqu’à la fin. Leurs propres enfants se souvenant de Joan Crawford comme d’une adorable grand’mère. Ils refuseront d’être mentionnées lorsque la biographie vengeresse de leur sœur Christina « maman très chère » sera portée à l’écran avec Faye Dunaway dans le rôle de Joan . Plus tard encore ce sera au tour de Jessica Lange d’incarner Joan face à Susan Sarandon en Bette Davis dans la mini-série « Feud ».
Joan Crawford est morte emportée par le cancer du pancréas qui la rongeait depuis des années. Elle a souhaité reposer pour l’éternité auprès d’Alfred Steele, son « copain ». Elle est morte chez elle, refusant l’intervention d’infirmières ou de médecins parce qu’elle craignait qu’ils l’envoient à l’hôpital.
Lorsque Joan sombra dans la mort, sa dame de compagnie, s’apercevant que c’était la fin s’agenouilla auprès d’elle et pria. Alors la star ouvrit un œil et lui dit dans un souffle « Ne demandez pas à dieu de s’occuper de moi » On l’ignore souvent mais Joan Crawford était d’une dévotion extrême.
« If you want the girl next door, go next door and leave me alone! »
Joan Crawford
Celine Colassin
QUE VOIR ?
1925 : Lady of the Night : le premier film de Joan Crawford, Norma Shearer est la star du film où elle joue un double rôle et son succès fut colossal. Lorsque Norma parle à son autre elle-même, c'est Joan que l'on voit de dos ou de trois quarts.
1925: La Veuve Joyeuse : Alias Mae Murray dans son rôle le plus célèbre dirigée par Erich Von Stroheim. Joan Crawford n’est pas créditée au générique, pas plus que Clark Gable, d’ailleurs.
1927 : The Unknow : Encore aujourd’hui, le travail de Lon Chaney reste impressionnant. Ce brave Lon, pour fuir la police se cache dans un cirque où il est un homme sans bras qui lance des couteaux avec ses pieds, et comme la fille du directeur déteste que les hommes la touchent, ces deux-là ne pouvaient que s’entendre ! Le plus ahurissant étant sans doute que l’histoire est tirée d’un fait divers authentique !
1929 : Indomptée : Petite balade en Amérique du Sud où Joan très débraillée au début du film se laisse affoler par Robert Montgomery qui sera un de ses partenaires les plus récurrents. Très vite Joan capte un héritage qui lui permet de se faire habiller chez les meilleurs faiseurs. C’est le premier film parlant de Joan et Robert, l’actrice d’ailleurs ne reculant devant rien, apparaît dans la scène d’ouverture du film en chantant ! Le succès fut colossal, tant pour le film que pour la chanson !
1929 : Hollywood revue : Tout est dans le titre, mais c’est quand même l’occasion de voir Joan pour sa première apparition en technicolor donner le bras à Buster Keaton et Marion Davies.
1929 : Our Blushing Brides : Soit « Nos mariées rougissantes » voit se reformer le team Joan Crawford-Robert Montgomery, et clou du spectacle : Joan en blonde platine.
1931 : Dance, Fools, Dance : Pauvre Joan supposée être un chorus girl ultra douée ! Gable admire ses entrechats d’une grâce rare et ses piétinements de claquettes !
1931: Fascination : Joan retrouve son Gable et une garde-robe digne de son standing.
1932 : Grand Hôtel : Joan rejoint les plus prestigieux acteurs du staff MGM dont Greta Garbo au générique d’un film de grande classe. LE film de l’année.
1932: Rain : le rôle tant convoité par les actrices Américaines depuis l’écriture de la pièce échoit à Joan Crawford qui donne à sa Sadie Thomson toute la vulgarité souhaitée, elle succède à Jeanne Eagles et précède Rita Hayworth dans la défroque de prostituée du personnage. Le film sera un échec cuisant et Joan Crawford en restera personnellement humiliée pour le reste de sa vie.
Captive (Letty Lynton) Ce troisième opus des aventures de Joan Crawford et Robert Montgomery mérite de passer à la postérité ne fut-ce que pour les robes portées par Joan qui sont parmi ses plus célèbres.
1933 : Dancing Lady : Où Joan Crawford nous donne la preuve qu’elle n’est pas Ginger Rogers ! Elle ne danse pas, elle besogne ! Ca n’empêcha pas le film de triompher, Fred Astaire d’y faire ses débuts
1933: Après Nous le Déluge : Joan et Gary Cooper, voilà qui est fort alléchant .
1934 : Forsaking All Others : Adrian se déchaîne pour que l’on n’ait d’yeux que pour Joan qui brille de milles feux froufroutants entre Clark Gable et Robert Montgomery, les deux Don Juan numéro un du cinéma d’alors ! Luxe à tous les étages ! Rosalind Russell met son grain de sel et Billie Burke compte les points !
1934 : Vivre et Aimer : Dans des robes ahurissantes, Joan donne à nouveau la réplique conjugale et cinématographique à Franchot Tone.
1934 : Sadie MacKee : Joan est à nouveau née dans les cuisines et fraie son chemin dans « la haute », nantie de principes bien bourgeois, de robes insensées et de milliardaires amoureux, dont Franchot bien sûr mais aussi Gene Raymond emprunté pour l’occasion à Jeannette Macdonald.
1934 : Chained : Joan retrouve Clark Gable pour leur cinquième film sous la direction de Clarence Brown
1934 : La Femme de sa Vie : Joan et Franchot encore, c’est dans ce film qu’elle porte la fameuse robe « col de mouette » qui l’empêche de bouger les bras normalement, rien que pour ça le film est à voir.
1936 : L’Enchanteresse : Si je vous dis que Joan donne la réplique à Franchot Tone, vous me croyez ? Je me demande dans quelle mesure cette obstination à les réunir à l’écran n’a pas précipité le désaveu du public pour ce couple. Quand au film, je l’ai toujours soupçonné d’être un « essai » pour voir ce que donnerait Joan en Scarlett.
1937 : L’Inconnue du Palace : Joan s’essaye au look Garbo, on en pensera ce que l’on veut.
1937 : La Fin de Madame Cheyney : Robert Montgomery encore, mais cette fois c’est William Powell qui lui dispute les faveurs de Joan.
1938 : Mannequin : Adrian se déchaîne encore plus et Joan se pare de robes qui coupent encore le souffle 80 ans plus tard.
1938 : The Shining Hour : Frank Borzage s’atèle à la mise aux écrans d’un succès de Broadway. Le résultat c’est un film que l’on a déjà vu cent fois. Joan, danseuse en boîte de nuit choisit de faire une fin et épouser un riche fermier du Wisconsin. Evidemment la belle-famille ne l’entend pas de cette oreille et mène la vie rue à l’intruse des bas-fonds. Le film fut un échec commercial.
1939 : Women : Le chef d’œuvre de Georges Cukor où le seul homme que l’on puisse vaguement apercevoir est en photo. Joan est exceptionnelle et se découvre un nouveau registre : celui de garce vénale. Les costumes sont ahurissants et les dialogues inoubliables ! « C’est Pâques, on m’attend ! » - « Pourquoi ? C’est toi qui ponds l’œuf ? »
1940 : Strange Cargo : Crawford et Gable dont c'est le premier rôle depuis qu'il a incarné Reth Butler se sauvent dans une jungle en plastique pourchassés par le très flegmatique Peter Lorre.
1940: Suzanne et ses Idées : Joan est dirigée par Cukor et dans son ombre surgit la fabuleuse Rita Hayworth.
1941 : Duel de Femmes : Et quel duel ! Joan et Greer Garson, le tout sous les yeux ébahis de Robert Taylor et Herbert Marshall.
1943 : Above Suspiscion : Joan épouse Fred McMurray et se retrouve impliquée dans une affaire d’espionnage antinazi sous forme de jeu de l’oie où son chapeau sert d’indice.
1944 : Hollywood Canteen : Joan participe de bon cœur à la « Hollywood Canteen » de sa future meilleure ennemie, miss Bette Davis.
1945 : Mildred Pierce : Le triomphe absolu et l’Oscar mérité pour Joan Crawford, mère courageuse de la très collet monté Ann Blyth
1947 : Possessed : Joan Crawford complètement schizophrène mais digne. Bien entendu, le rôle était écrit pour Bette Davis.
1951 : Goodbye My Fancy : Joan a réussi dans la vie, elle est une femme influente à Washington, d’ailleurs elle a Eve Arden comme secrétaire et ses padding sont plus larges que jamais. Et voilà qu’elle est invitée à retourner en invitée d’honneur à son ancien collège de jeunes filles. Elle va donc y retrouver Georges Brent, un de ses anciens professeurs dont elle fut tellement amoureuse.
1952: Cette Femme est Dangereuse: Encore un pur produit Crawford de la grande époque. La dame est atteinte d’une maladie aux yeux (Crawford triturant son sac en croco devant son médecin, Crawford avec ses bésicles noires butant dans les meubles !) Mais la madame aux yeux capricieux est aussi une sorte de chef de bande de malfrats qui se déplace en caravane ! Je vous laisse découvrir le reste…
1953 : Torch Song (La Madone Gitane) Probablement inspiré par Joan elle-même, le personnage est difficilement sympathique, Michael Wilding en pianiste aveugle fait tout ce qu’il peut pour être ennuyeux, Joan nous gratifie d’un numéro de music hall d’une laideur insoutenable !
1954 : Female On the Beach : ou « La maison sur la Plage » ce qui n’est plus pareil ou encore : « Cet Homme m’appartient » ce qui est encore sensiblement différent. Cet homme est Jeff Chandler en personne qui trouble Joan plus que de raison.
1954: Johnny Guitar : Western haut en couleurs et Joan qui ne parvient plus très bien à dissimuler sa cinquantaine, ce qui paradoxalement ajoute une dimension à l’histoire. Sterling Hayden n’est pas Clark Gable et se plaignit d’avoir été harcelé sexuellement par Joan Crawford, en tous cas, il ne l’était pas par les producteurs !
1954: Queen Bee : Encore un succès fracassant pour Joan Crawford. Elle y règne en maîtresse femme dans son manoir géorgien où elle terrorise tout le monde, de son mari Barry Sullivan jusqu’aux souris du grenier. Christina Crawford, âme délicate et sensible quitta la salle lors de la première car Joan était dans le film tellement semblable à elle-même dans le film qu’elle faillit s’évanouir de peur en mouillant sa culotte.
1956 : Feuilles d’Automne : Joan, solitaire, tombe amoureuse d’un homme beaucoup plus jeune qu’elle et quelque peu dérangé. Vera Miles en ex femme devenue belle-mère est assez exceptionnelle.
1957 : The Golden Virgin (L’Histoire d’Esther Costello) Joan en bienfaitrice d’une jeune aveugle sourde et muette qui sous les traits d’Heather Sears lui vole la vedette. Joan magnanime dira : « A côté d’une actrice comme elle, je n’avais aucune chance ! » Le pensait elle ?
1962 : Qu’est-il arrivé à Baby Jane : Jubilatoire !
1963 : La Cage aux Femmes : Une sombre histoire supervisée par Robert Stack où Joan se prénomme Lucretia. On y croise le vétéran Herbert Marshall qui ne sort plus guère de son fauteuil roulant.
1965 : J’ai vu ce que vous avez fait : Deux gamines laides et débiles font des farces au téléphone, elles appellent des numéros au hasard et disent le titre du film. Manque de bol pour elles, elles appellent un monsieur qui vient à l’instant de fignoler un assassinat !
1968 : Journey to Midnight : L’histoire de ce film méconnu est très étrange. Il s’agit en fait de deux épisodes d’une série télévisée goupillés en un seul pour devenir un film. Vous vous demandez donc sans doute pourquoi ce tarabiscotage n’apparaît dans aucune des biographies officielles de Joan ? Et bien mais c’est fort simple, quelques jours avant la sortie confidentielle de la chose, ses scènes, pour des raisons que j’ignore, furent toutes supprimées.
LES FILMS QUE VOUS NE VERREZ PAS
(Avec Joan Crawford)
Autant en Emporte le Vent : Plébiscitée lors d’un référendum comme la Scarlett idéale, Joan ne fut pourtant jamais à ma connaissance réellement envisagée.
Miss O ‘Brian : En 1948 Joan Crawford fait savoir à l’univers que la MGM lui fait un pont d’or et la supplie à genoux de réintégrer le studio pour y devenir cette Miss O’ Brian dont elle possède les droits et dont… on n’entendit plus jamais parler !
L’Autre : Michael Curtiz, encore ébloui par Joan qu’il a dirigée dans « Mildred Pierce » rêve de la diriger à nouveau et exhume en 1947 un ancien succès de Dolorès Del Rio, l’histoire mélodramatique et tarabiscotée de sœurs jumelles, sujet très en vogue où s’attèlent déjà Olivia de Havilland et Bette Davis.
The Caretakers : En 1961, la star tombe presque accidentellement sur ce scénario et plus particulièrement sur le rôle d’infirmière démonique qui lui irait comme un gant. Bien qu’elle ait trois films de prévus elle jongle avec ses engagements pour pouvoir tourner celui-ci…Dont on éradiquera tous les rôles féminins.
Until Proven Guilty : Encore un chef d’œuvre annoncé qui ne fut pas, il semble que le scénario mainte fois remaniés soit devenu « Douze Hommes en Colère »
Clash By Night : J’ignore pourquoi c’est in fine Barbara Stanwyck qui fera (magnifiquement) le film. La haine féroce que nourrissait la grande star vis-à-vis de la starlette Marilyn Monroe y était-elle pour quelque chose ?
From Here to Eternity : Le rôle finalement dévolu à Deborah Kerr était initialement confié à Joan Crawford. Mais la star, sans doute dans ses mauvais jours, rechigna sur tout. Sa garde-robe ne lui convenait pas, le caméraman non plus, elle exigea d’être filmée uniquement par Son cameraman. Finalement, on l’envoya purement et simplement se faire voir ailleurs.