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NATALIE TALMADGE




Natalie Talmadge est peut-être la moins connue des sœurs Talmadge puisque c'est sa sœur aînée Norma qui fut une véritable déesse des écrans muets. Quant à sa sœur Constance, si sa carrière d'actrice fut moins rutilante que celle de Norma, elle fut une des femmes les plus riches de son temps et une des vedettes les plus clinquantes du tout Hollywood. 


Natalie, la cadette du trio fut à peine plus discrète mais une actrice nettement plus confidentielle. Pourtant, son existence et son passage dans la cité du film comme dans la vie de Buster Keaton méritent largement d'être contés.


Les sœurs Talmadge sont les filles d'un chômeur convaincu doublé d'un alcoolique notoire et d'une mère à l'indomptable esprit de suffragette qui entend bien que ses filles ne subissent pas son lamentable sort. Elle sera l'une des plus redoutables "mères managers" d'Hollywood, menant les carrières et les destinées de ses filles comme un général en campagne. Ainsi, les trois sœurs nées à Jersey City pour Norma et à Brooklyn pour les deux plus petites entendront un jour leur mère leur déclarer d'un ton sans réplique "Dorénavant vous êtes toutes nées à Niagara Falls, c'est nettement plus intéressant! " Ce à quoi trois bouches en cœur répondirent d'un ton candide "Oui, maman!" C'est que les sœurs Talmadge comprirent très tôt que non seulement leur mère était la seule personne au monde qui ne risquait pas de les trahir mais qu'elle agirait toujours pour leur bien.

Puisque le bien de ses filles était d'abord et avant tout le sien.

Sa revanche sur une vie misérable. 

Cette domination maternelle leur parut toujours et en tout point tout à fait parfaite pour ne pas dire délicieuse, ne leur laissant bientôt plus comme souci dans la vie que de choisir entre les émeraudes ou les rubis et entre les Rolls-Royce ou Pierce Arrow.



Natalie,  vient donc au monde à Brooklyn, nous sommes le 28 Avril 1896.


Un jour de Noël où les ventres sont aussi vides que le poêle et le porte-monnaie, le père de famille quitta la maison en promettant de ne revenir qu'avec de quoi fêter dignement le réveillon. Ce qui revient à dire qu'on ne le revit jamais. Margaret, abandonnée avec ses trois filles fera mille petits métiers pour survivre tant bien que mal. Elle sera blanchisseuse, représentante en produits de beauté, concierge, professeur de peinture. De quoi ne pas tout à fait mourir de faim. Margaret Talmadge est persuadée, c'est ce qui la fait tenir, qu'un jour la chance, enfin lui sourira. Et c'est ce qui va se produire de manière tout à fait inattendue et grâce à sa fille aînée Norma.


Un jour, Norma, encore adolescente mais déjà ravissante rentre du collège avec quelques piécettes. Un photographe lui a demandé de poser pour une photo afin d'illustrer la partition d'un air à la mode. En ces temps où le disque n'existe pas, on vend les partitions des chansons. et c'est, chantés par le public lui même, que les airs font des succès.  On en vend surtout dans les cinémas, ce qui permet au public de chanter la chanson du film dans la salle pendant que les ombres muettes des acteurs font semblant sur l'écran.


Aussitôt, Margaret met la main sur le photographe, négocie avec lui le travail de Norma et puisque les partitions se vendent dans les salles de cinéma elle songe aussitôt à mettre sa fille sur pellicule plutôt que sur papier. A l'époque, si le cinéma existe, il n' a pas encore ses vedettes. Tout le monde peut en faire s'il en a envie. 

A part évidemment les grands noms de Broadway qui sauf exception trouvent ca du dernier vulgaire.

Ils se rueront comme des enragés devant les caméras quand ils apprendront qu'à Paris la grande Sarah Bernhardt "en fait"! Sinon, il suffit de se présenter au studio demander si par hasard on n'aurait pas besoin de vous. Et comme Hollywood n'existe pas encore, c'est à New-York que l'on tourne. 

Dans des verrières sur le toit des immeubles pour la lumière. L'été on cuit, l'hiver on gèle, on tourne un film par jour, à la suite, le montage n'est pas encore inventé non plus.



Margaret présente donc son bijou de jeune fille, se bousculant probablement dans les escaliers avec la mère de Mary Pickford.

Les Talmadge ont attaqué les studios Vitagraph, question de bon sens, elles habitent tout près. Elles font bien. La juvénile beauté de Norma fait mouche, Dans un an elle fêtera son...Centième film! 

En 1911, Norma est une vedette. Elle est la première vedette d'une superproduction: un film de trois heures! En 1910 elle n'avait eu aucun mal à imposer sa sœur Constance à ses côtés et bientôt elle devint une vedette aussi célèbre qu'elle.


En 1916, c'est Natalie qui débutait à son tour. Elle apparaît en favorite de harem dans "Intolérance" de Griffith. Pourtant, le cinéma, contrairement à Norma et Constance ne passionna guère Natalie qui se contentera de quelques rôles dans l'ombre de Norma. Elle apparaîtra, à peine, dans quelques bobines burlesques, notamment avec Roscoe, alias "Fatty" Arbuckle. Et ce pour la bonne et unique raison que sa sœur Norma a épousé en 1916 le producteur Joseph M. Schenk qui n'est autre que le producteur de Fatty Arbuckle.

Le cinéma pour Natalie est donc d'abord et avant tout une affaire de famille. Et c'est avec un des films de Roscoe Arbuckle que son destin va prendre une tournure intéressante.


Mais pour savourer cet épisode à loisir, remontons un peu en arrière.



La légende qui voudrait que Buster Keaton ait été un parfait inconnu lorsqu'il commença à faire du cinéma est on ne peut plus fausse. Il était en scène avec ses parents acteurs depuis l'âge de...Deux ans et jouissait d'une grande réputation parmi les acteurs de vaudeville.

Quand il aborde le cinéma il vient de faire un triomphe à Broadway avec...Les Dolly Sisters! 

Un jour de 1917 il vient rendre une visite aux studios Schenk qui ne sont en réalité qu'un vieil entrepôt désaffecté de New-York, entre le première et la deuxième avenue et où on tourne les petites saynètes "tartes à la crème" de Fatty Arbuckle. Fatty, très flatté de la visite de Buster Keaton qui est bien plus célèbre que lui demande à Buster si ca l'amuserait de jouer un petit bout de rôle avec lui. Buster Keaton décline, il est venu pour voir et non pour jouer. Il va rester assis cinq heures durant à tout observer. Puis n'y tenant plus il intervient, propose des idées, des gags, joue avec Fatty ce qui deviendra "Fatty à Coney Island".

Le lendemain Buster Keaton débutait une nouvelle revue mais Fatty lui propose de revenir.


Buster Keaton qui a eu le coup de foudre pour le cinéma accepte l'offre et dans l'enthousiasme accepte d'être sous payé par Schenk. Dans cinq ans Buster Keaton encaissera  deux cent mille dollars par film. Keaton n'est pas comme le veut sa légende atteint d'une paralysie faciale qui fige son expression. Il considère que ce n'est pas à lui de rire de ses propres gags. Il n'est pas non plus dans la vie un être fade et ennuyeux. D'une forme olympique exceptionnelle, il aime à mener grand train et jouer les séducteurs tout en régalant l'assemblée de bons mots. Dans ces conditions, il n'eut aucun mal à séduite la belle Natalie Talmadge, belle-sœur de son producteur venue se montrer dans "A Country Hero" en 1917. Un film dont Buster et son inséparable Fatty étaient les vedettes avec la belle Alice Lake.


La liaison ne durera pas. Lorsque Buster Keaton part pour Hollywood, Natalie reste à New-York "chez maman" Nous étions en 1919. Natalie et Buster ne s'écrivirent pas , ne s'appelèrent pas, ils ne se revient pas jusqu'à ce qu'une très étrange lettre parvienne à Buster presque trois ans plus tard "Je suis libre, si vous voulez encore de moi je suis d'accord!" Buster Keaton voulait encore d'elle. Le mariage eut lieu à la résidence d'été du couple Schenk à Long Island le 31 Mai 1921. Buster arriva au mariage en béquilles, il s'était brisé la cheville quelques jours plus tôt en tournant un film. La cérémonie terminée, boitillant au bras de Natalie devenue officiellement Natalie Keaton, il monte dans la limousine qui les attend et lance au chauffeur "James, en Californie!"



En 1922,  le 2 Juin, Natalie mettait leur fils Joseph au monde. En 1923 elle tournait avec son mari et leur petit garçon "Our Hospitality" puis à la fin du tournage elle décréta qu'elle en avait fini avec le cinéma.


Elle aurait désormais mieux à faire, passant sa vie chez les joaillers, les carrossiers, les couturiers et les agents immobiliers car quand elle en avait fini avec la décoration d'une villa, elle en achetait une autre. Elle est de celles qui forgèrent à Beverly Hills une réputation de luxe qui perdure aujourd'hui. Quelques mois après son ultime tournage, le 3 Février 1924, elle mettait leur second fils, Robert au monde. Elle décréta cette fois qu'elle en avait fini avec le devoir conjugal et qu'elle ne comptait plus partager les nuits de Buster Keaton. Natalie ne voulait plus d'enfants, elle était très catholique, elle se refusait à toute contraception. L'acteur lui déclara alors sans rire "Fort bien, mais dans ces conditions, le corps étant ce qu'il est, je ne peux pas vous garantir une fidélité à toute épreuve!" Ce à quoi elle répondit d'un haussement d'épaules!


Buster va donc continuer à tourner des films, parmi les plus réussis et les plus rentables de toute l'histoire du cinéma. Schenk va créer les Artistes Associés" et devenir richissime, Norma et Constance devenir deux des plus grandes dames du cinéma américain...Jusqu'à l'avènement du cinéma parlant. Cette nouvelle invention sonna le glas des carrières de Norma et Constance. Elle sonna aussi la fin des comédies burlesques au cœur d'un public qui ne voulait plus voir mais entendre. Bientôt Schenk lui-même perdrait son épouse et sa fortune. Les meubles de son manoir Hollywoodien, le "manoir de la poisse" selon Louella Parson, finiront sur le trottoir.

La cote de Buster Keaton dégringolant jusqu'aux tréfonds du box office, Natalie entama une ruineuse procédure de divorce, prétextant l'adultère de son mari. Elle allait laisser Buster Keaton sur la paille et dans la foulée avoir la garde de ses deux fils qu'elle ferait débaptiser officiellement pour qu'ils soient désormais des Talmadge! Son incroyable rancœur vis à vis de Buster Keaton venait semble-il du fait qu'elle n'ait jamais accepté son refus d'un mariage religieux et qu'elle dut se contenter d'un mariage civil. A ses yeux elle était unie à Buster Keaton uniquement civilement. C'est civilement qu'elle comptait se débarrasser de lui et c'est parce qu'elle ne s'estimait pas mariée devant dieu qu'elle ne voudra pas laisser ses fils porter son nom! Interdisant à ses enfants de voir leur père et même de parler de lui, son aîné lui fera longtemps la nique. Sur toutes les photos où il apparaît, il arbore la célèbre moue de son père qu'il imite à la perfection rendant sa mère folle de rage. Ce petit supplice continuera jusqu'à ce qu'à bout de nerfs elle consente à ce que ses fils revoient leur père, le cadet ayant emboîté le pas à l'aîné!


Mais la fin brutale de sa carrière, sa ruine et celle de son mariage puis la perte de ses enfants poussera Buster Keaton dans le gouffre de l'alcoolisme. Il sera l'emblème de "ces stars déchues", rejoint par D.W. Griffith qui ne dessaoula plus dès que le cinéma eut émis le premier son de son histoire. Jamais, par un reste d'orgueil, Buster Keaton n'acceptera de venir s'esclaffer dans un film qui ne serait pas un film DE Buster Keaton

Buster Keaton deviendra professeur de bridge, jeu auquel il excellait pour survivre jusqu'à ce qu'enfin la loi l'autorise à percevoir des royalties sur ses films. Schenk ne s'était pas contenté de le sous payer. Il existe une légende selon laquelle Natalie lui avait soudain proposé le mariage pour qu'il ne vérifie pas ses contrats de trop près. Une idée de madame Talmadge mère, qui jamais à cours de ressources s'était souvenue très opportunément que la mine d'or Keaton en avait beaucoup pincé pour sa jolie cadette. Connaissant Buster elle était certaine qu'il ne traînerait jamais un membre de sa propre famille devant les tribunaux. Ce en quoi elle avait raison.

Vrai ou faux cela restera un mystère emporté dans la tombe par ses protagonistes.

Natalie Talmadge ne fit plus jamais parler d'elle après son divorce.

On apprendrait sa fin le 19 Juin 1969, emportée à 73 ans d'une insuffisance cardiaque.

Norma sa sœur aînée s'était éteinte le 24 Décembre 1957 à seulement 63 ans.

Constance restera la dernière des sœurs Constance en vie, s'éteignant le 23 Novembre 1973 à 75 ans.

Buster quant à lui s'était éteint le 1 Février 1966. Il avait retrouvé la sérénité et l'amour de ses fils. A la fin de sa vie, des admirateurs avaient retrouvé son roadster sport qu'il aimait tant durant ses heures de gloire, l'avaient faite restaurer à l'identique et la lui avaient offerte.

Il n'était hélas plus là pour savourer un étrange pied de nez du destin.

En 1970, après des décennies d'oubli alors que Chaplin et Laurel et Hardy sont restés intensément populaires, cinq cinémas parisiens diffusent une copie restaurée d'un de ses chef d'œuvres et font salle comble des mois durant. Une "folie Buster Keaton" s'empare du public et des médias. On redécouvre son génie et cette passion n'a plus cessé depuis.

Les fils de Buster Keaton disparaîtront à leur tour en 2007 et en 2009.

Celine Colassin


QUE VOIR:

1916: Intolérance: Avec Lillian Gish et Douglas Fairbanks

1917: His Wedding Night: Avec Roscoe Arbuckle

1917: A Country Hero: Avec Buster Keaton, Alice Lake et Roscoe Arbuckle

1920: Yes or No: Avec Norma Talmadge

1923: Our Hospitality: Avec Buster Keaton

 

 

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