
La vie et la carrière de Virginia Bruce sont deux bien étranges choses. Et plus étrange encore est qu'elle n'ait pas laissé de souvenir bien défini dans la mémoire des cinéphiles, voire pas de souvenir du tout. Elle était pourtant belle, glamour et "So chic", tournant durant près de 40 ans dans des films de première importance et chantant ses chansons elle-même, faisant de Cole Porter son admirateur inconditionnel. Car enfin, est-ce bien normal de sombrer dans l'oubli après avoir été la "standing lady" de John Gilbert, James Cagney, Clark Gable, Fredric March, Spencer Tracy, James Stewart, Robert Taylor, William Powell ou Robert Montgomery?
Helen Virginia Briggs naît le 29 Septembre 1910 à Minneapolis dans le Minnesota. Sa mère est une golfeuse professionnelle et son père courtier d'assurances. Très tôt la petite fille fera preuve d'un don certain pour le chant et ses parents ne feront rien pour contrarier sa vocation musicale tant que les résultats de ses études classiques restent probants. La famille décidera d'ailleurs de quitter Minneapolis pour Los Angeles afin de permettre à Helen de suivre ses études musicales dans une université de grand prestige.

Mais nous sommes en 1928, bientôt le crash boursier va éclater et si les Briggs ne sont pas sur la paille, leurs moyens ont quand même fondu comme neige au soleil. C'est eux qui vont inciter leur fille devenue si jolie à tenter sa chance au cinéma car il faut absolument trouver de nouveaux revenus et malheureusement, maintenant, l'université est hors de question, elle n'est plus dans leurs moyens.
Helen qui sera bientôt rebaptisée Virginia Bruce, ce qui sonne mieux qu'Helen Briggs fera partie du premier contingent de "Goldwyn Girls" à la Metro Goldwyn Mayer. Elle va donc aligner toute une collection de tournages , noyée dans une ribambelle de jolies filles, logées à la même enseigne comme Betty Grable, Paulette Goddard ou Ann Sothern, se contentant de montrer ses robes, son sourire et ses jambes tout en admirant Jeanette Macdonald ou Kay Francis.
Quelle ne sera d'ailleurs pas la stupéfaction de Virginia lorsqu'ayant besoin d'une chanteuse pour "The Love parade", Lubitsch ira se prosterner chez Paramount pour qu'on lui prête Lilian Roth alors qu'elle fait partie de la distribution du film.

Virginia Bruce démarre sa carrière dans "Fugitives", un modeste véhicule pour la star, bien oubliée elle aussi aujourd'hui, Madge Bellamy. Nous sommes en 1929 et elle apparaîtra dans neuf films avant de fêter la Saint Sylvestre. Elle en tournera onze l'année suivante, passant du muet au parlant et du parlant au chantant avec une évidence qui force l'admiration. Elle est enfin citée aux génériques et a même quelques répliques à dire avec "Sightly Scarlett" même si la star est encore Evelyn Brent et que Virginia joue...la fille d'un second rôle, à savoir le ventripotent Eugène Palette.
En 1931, Hollywood décide de lui donner sa grande chance et la distribue dans un film d'aventures où Clark Gable et Conrad Nagel lui donneront la réplique: "Hell Divers" Virginia est enfin satisfaite. En tout cas jusqu'au soir de la première où elle découvre que son rôle a été coupé au montage. Ecœurée, l'actrice s'exile à Broadway où elle restera un an, le temps d'apparaître dans les Ziegfeld Follies et deux comédies musicales où elle pourra chanter! Enfin!
Virginia rentre à Hollywood en 1932. Le congé que lui a accordé la MGM est terminé. Elle perd le rôle que le studio lui réservait dans "Red Haired Woman" qui est confié à Jean Harlow qui semble plus prometteuse. Virginia est d'emblée distribuée dans un film de Sylvia Sydney. Mais contre toute attente, ce film sans grandes ambitions fait un véritable tabac. Estampillée actrice de Broadway avec un succès à son actif, le regard que pose la MGM sur Virginia Bruce change et les rôles qu'on lui propose gagnent en envergure même si on ne montera jamais de projets sur son seul nom.

Toujours en 1932 elle tourne avec James Cagney et puis obtient un premier rôle face à John Gilbert Mais si John Gilbert a encore le prestige d'une grande star, sa carrière touche à sa fin. L'alcoolisme qui le ronge depuis des années finit par le trahir. Greta Garbo à force de le quitter, de le récupérer et de le planter au pied de l'autel a écorné sa réputation de beau héros viril et enfin son premier film parlant a fait mourir de rire tous ceux qui l'ont vu et on parle maintenant de la "voix de fausset" de John Gilbert. Pourtant, en revoyant ses anciens films, on découvre un John Gilbert à la voix tout à fait normale. Nombreux sont ceux qui croient à un doublage. Il n'en est rien. La voix de John Gilbert est en effet tout à fait normale et bien posée. Le film qui fit chanceler sa carrière n'était pas un vrai film parlant. C'était un film destiné à être muet qui fut trituré dare-dare pour devenir parlant. Et comme on ne savait pas trop comment s'y prendre, on donna à lire à John Gilbert les cartons des intertitres!
C'était bien entendu tout à fait grotesque et si l'acteur fut effectivement ridicule, sa voix n'y était pour rien.
En 1932, la nouvelle étoile montante Virginia Bruce tourne bel et bien avec John Gilbert un acteur en déclin. Et pourtant, ils allaient s'aimer. Le mariage de John Gilbert et Virginia Bruce sidéra Hollywood!

Il ne serait venu à l'idée d'aucune actrice de s'encombrer maritalement d'un acteur has been et alcoolique. D'autant qu'il était de notoriété publique que Greta Garbo ne se faisait pas faute de le siffler comme elle aurait sifflé son teckel et qu'il faisait toujours partie du staff personnel de miss Dietrich.
L'année suivante leur fille Susan vint au monde Virginia et John semblaient filer le bonheur parfait. Mais l'alcool était toujours le compagnon inséparable de John Gilbert. Garbo le considérait toujours comme une de ses propriétés personnelles et malgré la naissance de Susan, il suffisait qu'elle claque des doigts pour que Gilbert disparaisse plusieurs jours à jouer les descentes de lit pour pieds divins. Pour compléter le tableau, Marlène Dietrich reste dans la ronde et ne cache rien de sa liaison avec l'acteur. Elle estime même que son prestige personnel ne peut que lui être profitable et elle essaiera de l'imposer à Lubitsch pour "Désir".
Bien que prévenue très en amont de son mariage, c'en est trop pour Virginia qui demande le divorce. Elle reprend sa liberté dès 1934 bien qu'elle aime sincèrement son mari. Lorsqu'il décède foudroyé par une crise cardiaque en 1936, Virginia Bruce s'effondre complètement et se jette dans un enchaînement de tournages incapable d'affronter son deuil.

Entretemps elle avait enfin atteint le haut de l'affiche et avait été sensationnelle en "Jane Eyre" en 1934 dès son divorce prononcé. C'est en plein deuil de John Gilbert qu'elle donne une étourdissante performance en Andrey Dane dans "The Great Ziegfeld".
En 1937, Virginia qui est une des first ladies d'MGM, même si elle accepte des seconds rôles, se remarie avec le réalisateur Walter Ruben qui l'a dirigée dans un western: "The Bad Man of Brinstone" avec Wallace Beery. Western où elle était le seul élément féminin et qui sortira également sous le titre d'"Arizona Bill". Walter Ruben est scénariste, réalisateur et producteur. Très proche de l'acteur Wallace Beery , il a l'oreille attentive des studios et a dirigé quelques stars depuis ses débuts en 1926 comme Wallace Beery et Virginia, bien sûr, mais aussi Irène Dunne, Norma Shearer, Doris Kenyon, Rosalind Russell, Elizabeth Allan ou Robert Montgomery. En tout dix neuf films et trente cinq scénarii dont son plus grand succès: "Riffraff" avec Jean Harlow et Spencer Tracy.

Virginia Bruce va terminer la décennie en tournant cinq films par an, en vedette, avec des partenaires prestigieux, passant du drame à la comédie et du policier au western en chantant toutes ses chansons elle-même. Elle est une des rares comédiennes d'Hollywood, misant sur son talent d'actrice et non sur le glamour comme le veut l'époque. Elle ne sera jamais une Ava une Rita une Lana et encore moins une Marilyn ou une Jayne mais le public la connaît, l'apprécie et surtout...vient la voir.
A Hollywood, c'est ce qui compte!
Elle tournera quatre films en vedette en 1940 puis prendra le temps d'avoir un deuxième enfant, son fils Christopher.
Après la naissance de Christopher, Virginia met un frein à sa carrière. Elle a deux enfants et la santé de son mari décline. Sur un tournage difficile, Walter Ruben avait été victime d'une infection qui tardait à guérir. Après avoir dirigé Virginia dans son western, il met en scène Ann Sothern dans " Gold Rush Maisie". mais trop affaibli il est remplacé par Edwin Marin.
Son cœur le lâche et il décède dans les bras de son épouse le 16 août 1942, deux jours après avoir fêté ses 43 ans.

Jeune trentenaire, veuve avec deux enfants, Virginia Bruce ne reviendra au cinéma qu'en 1944. Après avoir perdu les deux hommes qu'elle aimait il semble que quelque chose se soit brisé.
Virginia Bruce ne tient plus la vedette, elle semble choisir ses films de manière plus distraite, laissant les grands rôles à d'autres même si sa carrière perdure jusque dans les années 60 et qu'elle s'adonne également à la télévision.
L'actrice se remariera une fois encore, en 1946, avec Ali Ipar, citoyen turc de son état et si ses maris précédents étaient ses aînés de 11 ans, Ali Ipar est son cadet de 11 ans. Né à Istanbul en 1921, Ali Ipar est également cinéaste, il dirigera son épouse dans un film turc dont il est également l'auteur "Salgin" en 1954.
En 1951 le couple avait dû divorcer car Ali briguait une nomination dans l'armée turque qui était inaccessible aux hommes mariés . ils se remarient en 1952 et divorceront cette fois définitivement en 1964.
Le 24 février 1982, Virginia Bruce perd sa bataille contre le cancer.
Conformément à ses volontés, elle sera incinérée et ses cendres dispersées par ses enfants.
l'actrice avait 71 ans et si le plupart de ses films étaient déjà bien oubliés, son interprétation de "I've got you Under my skin" de Cole Porter qu'elle avait crée en...1936 restait dans les cœurs et les mémoires comme l'un des plus grands standards américains. La chanson avait été nommée aux Oscar mais qui se souvient aujourd'hui que c'est bi0ne Virginia Bruce qui avait crée ce tube indissociable de...Frank Sinatra.
Celine Colassin

QUE VOIR?
1929:The Fugitives: Avec Madge Bellamy et Don Terry
1929: Why Bring That Up? Avec Evelyn Brent et Charles Mack
1929: The Love Parade: Avec Jeanette Macdonald et Maurice Chevalier
1929: Pointed heels:Avec Fay Wray et William Powell
1930: Raffles: Avec Kay Francis et Ronald Colman
1930: Let's Go Native: Avec Jeanette Macdonald, Kay Francis et Jack Oakie
1930: Sightly Scarlett: Avec Evelyn Brent et Clive Brook
1932: Downstairs: Avec John Gilbert
1932: Kongo: Avec Lupe Velez et Walter Huston
1935: Time Square Lady: Avec Robert Taylor
1935: The Murder Man: Avec Spencer Tracy et James Stewart
1935: Let 'em Have It: Avec Richard Arlen
1935: Society Director: Avec Robert Taylor et Chester Morris
1936: Born to Dance: Avec Eleanor Powell et James Stewart
1936: The Great Ziegfeld: Avec Luise Rainer et William Powell
1938: Yellow Jack: Avec Robert Montgomery
1939: Stronger Than Desire: Avec Walter Pidgeon
1940: The Man who talked too Much: Avec George Brent et Brenda Marshall
1942: Pardon, My Sarong: Avec Bud Abbott et Lou Costello
1944: Brazil: Avec Tito Guizar et Aurora Miranda
1945: Love, Honor and Goodbye: Avec Victor McLaglen
1948: Night Has a Thousand Eyes: Avec Gail Patrick et Edward G. Robinson
1949: State département file 649: Avec William Lundigan
1954: Salgin: Avec Kenan Artun
1960: Strangers When we Meet: Avec Kim Novak et Kirk Douglas