Virginia Mayo est presque un « cas » dans l’histoire Hollywoodienne, un peu comme si l’actrice avait mis un point d’honneur à être partout sans décevoir personne.
Qu’il s’agisse de l’adolescent transi d’émotion devant ses photos de pin-up, la mère de famille nombreuse copiant les patrons de ses robes très comme il faut, ou la vieille fille dévouée aux bonnes œuvres de la paroisse lui trouvant un maintient de bon aloi.
Cette recherche de l’absolue perfection du sans faute finit par faire d’elle une sorte d’hybride et de condensé tout à la fois des stars des écrans.
Ce qui ne l’empêcha bien évidemment pas d’étinceler parmi les plus brillantes étoiles du ciel hollywoodien.
Cette créature résolument divine naquit à Saint Louis dans le Missouri dans une famille très fortunée et très intellectualisée le 30 Novembre 1920.
Les bonnes fées qui se penchèrent sur le berceau de Virginia Clara Jones notre héroïne, livrèrent, semble il, la même rivalité d’enchantements que pour la Belle au Bois Dormant.
On lui fournit des yeux d’un vert éblouissant, des cheveux d’un blond naturellement doré et d’un soyeux d’ange dont la délicatesse au toucher se voit sur les photos ! Des dents sublimes, un sourire ravageur et bien entendu un corps de rêve à se faire damner Botticelli en personne.
La belle serait plus tard l’heureuse titulaire des mensurations mythiques dites parfaites, à savoir 90-60-90 pour 1M 70.
Et comme dans le conte de fées, sans doute vexée de n’être pas conviée, une vilaine l’affubla d’un strabisme convergent !
La plus belle femme du monde allait, mais oui, loucher !
Oh, entendons nous, pas comme un clown de chez Barnum en crise d’alcoolémie, mais suffisamment pour que l’on réponde invariablement « elle louche, non ? » à tout qui déclarerait « Virginia Mayo est la plus belle femme du monde ! ».
Mais revenons en aux jeunes années de cette future reine de beauté des écrans et à sa famille fortunée et intellectualisée à qui elle asséna dès son plus jeune âge qu’elle voulait à tout prix devenir danseuse.
Une de ses tantes, en admiration devant cette bambine qui semble tout droit descendue du paradis lui offrira les cours les plus distingués et les plus réputés pour faire d’elle une danseuse digne de son rang.
Elle fera donc sur pointes et toute petite fille encore, ses premiers pas en entrechats dans l’univers doré du show-business américain.
Petit rat à l’opéra municipal, elle participera à d’élégants tableaux dansants destinés à charmer la clientèle huppée de l’hôtel Jefferson. Là où Archie Mayo en escale la découvrira et lui proposera d’intégrer sa propre troupe.
Archie Mayo est un artiste burlesque qui fait se tordre de rire l’Amérique entière avec des numéros d’une désopilante stupidité.
Le clou de son spectacle étant son fameux numéro de cheval humain.
Ce gag éculé comme le saint suaire, consiste à flanquer deux nigauds dans un costume de cheval et de pousser ensuite la bête ainsi constituée dans les pattes d’une demoiselle aussi ravissante que bigleuse qui prendra nos joyeux drilles pour un vrai canasson ! Hilarité garantie !
C’est d’une tristesse épouvantable, et le croiriez vous, la pauvre et juvénile Virginia devenue Virginia Mayo jouera trois ans durant et à travers tout le pays cette écuyère n’ayant pas les yeux à la place des trous !
Elle sera sauvée de son triste et pathétique destin lorsque la troupe d’Archie Mayo de passage à Broadway, Virginia sera débauchée par une autre idole américaine : Eddie Cantor.
Nous sommes en 1941, Virginia va bientôt fêter ses 21 ans et l’Amérique entre en guerre.
Son exceptionnelle beauté attire immanquablement l’œil d’un « scout » hollywoodien qui œuvre pour la M.G.M.
La capitale mondiale du film devient en ces premiers jours de guerre une véritable usine à pin-up girls et qui d’autre que Virginia Mayo pourrait personnifier la quintessence de cette nouvelle créature ?
Betty Grable, la pin-up absolue est la créature exclusive de la Century Fox, et la Metro, malgré son bataillon de « Goldwyn Girls » réputées comme étant le nec le plus ultra de la beauté féminine sur terre ne peut guère rivaliser avec la Fox.
A moins que cette créature sublime et nouvellement débusquée…
Virginia Mayo fut photographiée à mort dans tous les bikinis, les guêpières et les déshabillés que l’on put trouver à Hollywood. Il fallait qu’elle devienne le fantasme numéro un du combattant car elle appartenait à la Metro et la Metro devait être le numéro un en tout !
Hélas ! Le GI’S préfèrera toujours Betty et ses dauphines Rita Hayworth et Ava Gardner.
Virginia Mayo, créature à la beauté céleste a quelque chose de trop matrimonial. Elle inspire la respectabilité même en dentelle rouge ou en cuir noir, c’est comme ça.
Elle est irrévocablement, indubitablement la brave fille idéale, étrangement parachutée dans ce corps scandaleux de beauté.
Virginia Mayo n’est pas un fantasme, elle est un idéal, ce qui n’a rien à voir.
A l’écran, l’actrice a connu très vite la popularité à laquelle sa grande beauté en plus de son talent lui donnait droit. Et là non plus il n’est pas un seul metteur en scène qui l’ait imaginée ne fût-ce qu’une seconde dans un rôle de vamp fatale et ténébreuse comme on en confie à foison à Lana Turner, Ava Gardner ou Rita Hayworth.
Virginia Mayo l’éblouissante sert à l’écran le lait frais et la tarte aux pommes !
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle connaîtra les plus grands succès de sa carrière en donnant la réplique à Danny Kaye dont les comédies sont à l’érotisme ce que le papier tue-mouche est à la parfumerie.
Apportant un soin tout particulier à sa tenue vestimentaire aux écrans, Virginia Mayo est un véritable jardin des modes pour donner la réplique à Danny Kaye.
Hélas, ces films se démoderont aussi vite que ses robes et la pauvre Virginia Mayo ne trouvera guère de quoi alimenter les fantasmes éblouis des cinéphiles dans tout ce fatras de films idiots qu’elle a tournés à foison ! D’autant que monsieur Danny Kaye ne demande guère autre chose à ses partenaires que d’être très jolies pour lui servir la soupe !
Bienheureuse Virginia d’avoir exceptionnellement poussé la chansonnette entre deux pitreries croquignolettes de monsieur Kaye.
On pourrait bien entendu plaindre la belle d’avoir été logée à telle futile enseigne, mais de son propre aveu elle reconnut avoir adoré tourner ces films et ils représentèrent toujours à ses yeux les plus merveilleux souvenirs de sa carrière d’actrice.
Sans doute cette obstination dans le maintient chic d’épouse américaine parfaite fut-il fatal à la carrière sinon à l’image de la belle Virginia.
Mais il ne se trouva aucun réalisateur ayant osé déranger la parfaite ordonnance de ses boucles blondes ni même froisser quelque peu ses jupons aussi immaculés qu’amidonnés.
J’en veux pour preuve ce souvenir ébloui qu’elle me laisse à la faveur d’un film de série B avec Georges Nader : « Crossing Congo ».
Comme le titre l’indique plus ou moins, nous sommes en pleine canicule africaine et le beau George transpire d’abondance depuis au moins vingt minutes, le temps de placer l’intrigue, lorsque surgit d’un mini bus bondé et non climatisé, miss Mayo.
Elle porte un chapeau blanc, format roue de vélo impossible à caser dans n’importe quelle valise, de ravissants petits gants blancs jamais salis et une robe fourreau de shantung sable. Un tissu qui se froisse rien qu’en se laissant regarder dans une vitrine. Mais pas sur Virginia Mayo en taxi brousse !
D’une valise pas plus grande que le garage de la voiture de Barbie, elle va sortir sans une minute de répit toute une collection de robes, déshabillés, chaussures et accessoires sans douter un seul instant de la crédibilité de la chose. Ses faux cils et sa mise en plis se le tiendront pour dit et resteront impeccables tout du long de l’affaire africaine !
Lorsqu’elle se rend en pirogue sans aucun bagage visiter un hôpital au tréfonds de la savane, à l’heure de goûter le manioc pillé au jus de coco, elle sort de je ne sais où une robe bustier blanche constellée de perles de cristal, mais oui, c’est comme ça !
Le clou du film restera sans doute ce moment d’une incroyable impolitesse où un méchant rebelle attaque Virginia dans son campement de fortune. Elle porte alors un pantalon de toile blanche parfaitement moulant, un chemisier de satin rose aurore et une ravissante paire de santiags parfaitement vernissées.
Et voilà que le ladre la jette, mise en plis en avant dans les cendres du feu de bois de la veille, ce qui permettra à Virginia de nous offrir un magnifique vol plané les dents en avant dans la cendre et d’estourbir son agresseur avec un reste de bûche, juste à temps pour que Georges Nader revienne de la cueillette des mûres !
Et bien croyez vous qu’enfin sauvée des griffes de son adversaire, Virginia se soit salie ?
Pas du tout !
Elle est Im-pe-ca-ble !
Une seule fois dans toute sa carrière, en 1946, elle acceptera de mettre (un peu) son image idéalisée de femme parfaite à mal.
Elle est l’épouse vulgaire et infidèle de Dana Andrews rentrant de la guerre dans « Les Plus Belles Années de Notre Vie ».
Et même si Myrna Loy et Theresa Wright récoltèrent tous les suffrages à la sortie de ce film magnifique, Virginia Mayo s’y révèle une actrice d’une classe exceptionnelle et devient presque laide à force de bêtise et de vulgarité.
Dans sa vie privée, Virginia Mayo se devait de tenir son rang là aussi et de se comporter à la superette du coin comme sur les écrans M.G.M.
En femme parfaite, irréprochable et tirée à quatre épingles.
Elle rencontra en 1946 l’acteur Michael O’Shea fraîchement démobilisé et l’épousa l’année suivante bien qu’il fut d’un prestige bien inférieur au sien et ne fut ni très beau ni un comédien grandiose.
La cote et le prestige du bienheureux élu étant d’ailleurs tellement inférieurs à ceux de Virginia, l’ex épouse de monsieur choisira de traîner l’actrice devant les tribunaux pour obtenir dommages, réparations et pension de l’actrice plutôt que de son peu fortuné ex-mari !
Le couple s’offrit un ravissant cottage matrimonial qu’ils avaient repérés en sillonnant la région en hélicoptère, un moyen comme un autre de chercher son home sweet home, et où bientôt leur fille Mary Catherine viendrait agrandir le cercle de leur bonheur parfait.
La cigogne visita le couple O’Shea en 1953.
Virginia et Michael décidèrent alors de donner à Hollywood et au monde l’image du couple américain parfait.
On les dirait fabriqués pour la télévision !
Virginia ravissante mais sans ostentation, point de créations arachnéennes, de bijoux fastueux ni de visons étourdissants, une jolie maison mais pas un palais à la Jayne Mansfield, pas de Cadillac longue comme un train mais une convertible bien fonctionnelle pour emmener la gamine à l’école !
On dirait qu’entre le salon de l’auto et celui des arts ménagers, l’Amérique a créé le salon de la famille modèle ici représenté par la famille O’Shea.
Etrangement cette image bien proprette plaît beaucoup au public américain. Virginia restera durant toutes les années 50 une actrice populaire et très sollicitée, et j’entends encore ma chère grand’mère, professeur de catéchisme s’extasier sur Les photos de miss Mayo d’un extatique « Une femme si bien, toujours impeccable ! ».
Elle aura le bon goût de se consacrer à un aimable cinéma des familles. Allant du western à l’aventure en passant par quelques intrigues policières où elle sera toujours du bon côté du manche. Elle cultive ainsi l’admiration, voire l’amitié d’un public fidèle et nombreux qui aime trembler le dimanche après-midi lorsque la mise en plis impeccable de Virginia Mayo est en danger.
On ne sort pas des cinémas avec le frisson du chef d’œuvre mais plutôt avec une idée pour un nouveau chapeau.
Le temps passant, Virginia Mayo restera immuable et pour ainsi dire figée dans sa beauté et ses belles manières.
La déferlante de violence, de rock et d’érotisme des années 60 la laissèrent perplexe mais elle ne changea pas son fusil d’épaule d’un iota et négligea la mini-jupe qui correspondait si mal à une maman américaine.
Elle se consacra d’avantage à la télévision et se promena en tournée théâtrale matrimoniale à travers toute l’Amérique, brillant en scène au côté de son cher Michael.
Ils étaient fidèlement et tendrement unis depuis 26 ans lorsque la mort foudroya Michael O’Shea qui s’effondra en sortant de scène dans les bras de sa chère Virginia.
Une crise cardiaque foudroyante l’emporta en quelques minutes en ce soir de 1973. Après avoir été sa tendre compagne, Virginia Mayo fut sa veuve pour le reste de sa propre vie.
Elle continua, vaillant et téméraire petit soldat du spectacle sa carrière d’actrice jusqu’en 1997 où sa santé déficiente l’obligea à déclarer forfait à son tour.
Elle vivra alors une paisible retraite dans sa chère maison du bonheur qu’elle ne quitta jamais et où elle s’éteignit de sa belle mort le 17 Janvier 2005, elle avait 84 ans.
Sa beauté légendaire l’avait quittée depuis bien longtemps, elle avait beaucoup grossi mais gardait fièrement ses belles boucles blondes. Quant à sa coquetterie dans l’œil, elle la rendait toujours reconnaissable entre toutes.
Avec Virginia Mayo, c’est plus qu’une actrice vétérane de l’âge d’or hollywoodien qui s’éteignait. C’était le symbole d’un American way of life.
Celui d’une époque heureuse où tout semblait facile, joli et permis.
Virginia Mayo ne se prostitua jamais à l’écran, elle ne se drogua pas, ne roula pas ivre morte dans les immondices, ne se déshabilla jamais, elle ne froissa jamais ses costumes et ne cassa même pas une assiette ou un talon de chaussure.
Pas même un ongle !
Virginia Mayo fut durant un quart de siècle la femme idéale et parfaite dans la vie et à l’écran.
Et pour cela merci, belle dame, car Virginia Mayo, la belle oubliée des cérémonies d’hommages et autres Oscars fut peut-être la reine du cinéma que nous aimons le plus. Celui des aventures en technicolor des années 50.
QUE VOIR ?
1943 : Jack London : Une fois ne sera pas coutume, Virginia mayo joue les troisièmes couteaux dans un film où Michael O ’Shea a le rôle-titre.
1944 : La Princesse et le Pirate : La pauvre Virginia troque Danny Kaye pour Bob Hope !
1945 : Wonder Man : Une excellentissime et très brillante comédie musicale où Virginia et Vera Ellen encadrent Danny Kaye. Le tout est resté très divertissant et avait en son temps eu les honneurs du festival de Cannes 1946.
1946 : Le Kid de Brooklyn : Une comédie hautement stupide Heureusement, l’affiche est ravissante !
Les Plus Belles Années de Notre Vie : Ce film sublime aborde le retour au pays des démobilisés de guerre. Un petit bijou hollywoodien.
1947 : La Vie Secrète de Walter Mitty : La plus célèbre des comédies du team Danny Kaye-Virginia Mayo
1948 : A Song is Born : Retrouvailles toujours aussi technicolorisées de Virginia et Dany Kaye
1948 : Always Leave Them Laughing
1948 : Smart Girls Don’t Talk
1949: Red Light: Un film de gangster! Qui l’eût cru, avec George Raft en tête d’affiche.
1951 : West Point Story : Les amateurs de comédies musicales un peu sottes mais pleines de blondes chantantes et dansantes seront comblés, celle-ci réunit Virginia et Doris Day !
1951 :Painting the Clouds with Sunshine : Une comédie musicale encore
1951 : Colorado Territory (La Fille du Désert) : Un Western bien enlevé avec Virginia flamboyante face à Joël MacCrea.
1952 : She’s Working Her Way Through College: Qui pourrait croire qu’une telle chose existe? Une comédie musicale avec Ronald Reagan!
1954 : Le Calice d’Argent : Un péplum à l’actif de Virginia avec un tout jeune Paul Newman en guise de partenaire. Virginia est incarnée enfant par…Natalie Wood. Paul Newman détestait ce film et le considérait comme une honte entachant son prestige et sa carrière. Lorsque la TV le diffusa en 1966, il supplia ses fans par voie de presse de ne pas regarder le film, ce qui fit bien entendu exploser les records d’audience. Virginia fut très vexée et raya les Newman de sa liste pour les vœux de Noël .
1955 : La Perle du Pacifique Sud.
1956: Congo Crossing: Un grand moment de cinéma d’une totale incrédibilité mais truffé d’exploits rares.
1957: The Story of Mankind: Un film « all stars » mené tambour battant par Ronald Colman et les Marx’s Brothers.
1959 : Jet Over the Atlantic : Un ancêtre des films catastrophe avec un avion et une bombe dans la soute à bagages.
1967 : Fort Utah : Un western avec John Ierland et Scott Brady monstrueusement épaissi ! Virginia restée resplendissante tâte du chignon-choucroute à la Brigitte Bardot mixée avec un tantinet de Marie Antoinette ! Rien ici n’a aucun intérêt !
1976 : Won Ton Ton, Le Chien qui Sauva Hollywood
1977 : Haunted : Il fallait bien un film d’horreurs pour clore de manière un tant sois peu traditionnelle une belle et longue carrière de diva
1990 : Evil Spirits : Hollywood avait beaucoup compté sur Karen Black au début des années 70 afin de redorer son blason. Elle partage avec Virginia l’affiche du film et les deux actrices sont affublées du même strabisme convergeant.
LES FILMS QUE VOUS NE VERREZ PAS
(Avec Virginia Mayo)
Hélène de Troie : Virginia n’avait pas l’habitude de se défiler, surtout devant un rôle aussi porteur en scènes d’exquises séduction ; mais une Hélène enceinte jusqu’au menton, ça aurait quand même été particulier. Après avoir pressenti Marilyn Monroe et Elizabeth Taylor, on finit par choisir Rossana Podesta.