BEBE DANIELS
- Céline Colassin
- 22 févr.
- 21 min de lecture

Le vingtième siècle a 14 jours lorsque Phyllis Virginia Daniels vient au monde à Dallas au Texas. Son père est un directeur de théâtre et sa mère une actrice qui lors d’une tournée a eu le coup de foudre pour le directeur du théâtre en question. Le 14 janvier 1901, la petite Phyllis naissait de leurs amours théâtraux.
Mais la belle théâtreuse aux yeux de braise n’était guère faite pour la vie de famille. Du moins au sens habituel du terme. Elle préfère la scène à la cuisine et surtout, ces bouseux texans lui font le même effet intellectuel que leurs troupeaux de vaches.
Ah New-York ! Broadway ! Shakespeare !
La vie, la vraie, celle qui se joue lui manque terriblement.
La petite Phyllis n’a que quelques mois lorsque madame obtient gain de cause et que la famille Daniels quitte cet affreux Texas pour Los Angeles qui à défaut de New-York semble à madame plus civilisé que Dallas même si le cinéma n'existe pas encore. La jeune mère de famille pourra à nouveau toucher ses rêves du doigt, elle reprend sa carrière et retrouve enfin Shakespeare. Enfin artistiquement comblée, elle sera une épouse et une mère exemplaire toute sa vie

Et comme madame Daniels a besoin d’un enfant pour un de ses rôles, elle choisit le sien ! La petite Phyllis monte sur scène dans les bras de sa mère dès 1905. Amoureusement surnommée Bébé dans la famille ce sera son nom de scène. En 1906, la petite fille est connue par les amateurs de théâtre, elle triomphe avec maman dans « Richard III ».
Et puis, le hasard tenant parfois du miracle, cette attraction de foire nommée cinématographe s’industrialise, on tourne de plus en plus de films, et on en tourne surtout dans cette riante campagne encore couverte d’orangers en périphérie de la ville que l’on a rebaptisée « Hollywoodland ».
C’est peut-être un peu vulgaire pour une actrice de qualité, mais lorsqu’en 1910 un certain Otis Turner souhaite engager la petite Bebe pour un film, maman accepte. Plus comme une distraction pour sa fille que comme une expérience artistique.
Bebe Daniels a neuf ans, c’est le premier jalon d’une étourdissante carrière.
L’enfant est « au poil ». Ravissante, elle crève l’écran et pige tout de suite ce qu’on lui demande. Une bonne ouvrière. Car à l’époque, les équipes de films sont encore des équipes d’ouvriers.
Chacun à son poste et les acteurs touchent le même cachet que le caméraman, le culte de la star n’existe pas encore. D’ailleurs on songe à peine à mettre le nom des acteurs sur les affiches. Est-ce bien utile ? Qui cela intéresse il ?
Mais pour Bebe Daniels, cela va aller très vite !

Otis Turner à vu à Chicago une représentation de la pièce « The Wonderful Wizard of Oz », elle-même tirée d’un roman fraîchement paru en 1900. Il va adapter la pièce pour l’écran dès son retour en Californie et bien entendu confier le rôle de Dorothy Gale à la charmante petite Bebe Daniels.
En 1910, la presse spécialisée dans le cinéma n’existe pas encore et cette première version du magicien d’Oz suscite toujours des polémiques cent ans après avoir été tournée. On s’arrache encore les cheveux sur le casting, le réalisateur et même l’adaptation, car s’agit-il d’une transposition du roman ou de la pièce ? Personne n’est encore d’accord à ce jour. Certains ont même contesté voir Bebe Daniels en Dorothy Gale ! 50% des polémiqueurs estiment également qu’Otis Turner n’a pas réalisé le film mais ne proposent pas d’autres pistes.
Ce que l’on sait de source sûre, c’est que Bebe Daniels était liée par contrat à Otis Turner ainsi que l’acteur Hobart Bosworth. Lequel fut le partenaire attitré de Bebe à l’écran lors de ses débuts et qu’il joue ici le rôle à la fois de l’épouvantail et du magicien d’Oz.
Dès 1910, avec « The Wonderful Wizard of Oz », Dorothy devient une véritable petite star, et ce d’une manière d’autant plus éblouissante que la mode est précisément aux enfants stars ! Les bambins font le bonheur des théâtres et des cinémas, le public raffole de ces petites âmes orphelines et tourmentées.

A l’époque on ne montre pas d’enfants heureux et les « gosses de riches » sont toujours odieux, égoïstes et menteurs avant de mourir dans leurs dentelles en ayant juste le temps de demander pardon aux petits pauvres dont ils se sont moqués !
Les autres, les orphelins loqueteux finissent par retrouver leur papa ou par être adoptés par de belles dames riches. Le système, inauguré semble-il par Charlotte Brontë avec son roman « Jane Eyre », perdurera au moins jusqu’à la seconde guerre mondiale avec la fin de Bonnie Blue Butler, la petite peste d’ « Autant en Emporte le Vent », née riche et gâtée qui se tue en tombant de poney.
A Broadway, Baby Mae, la future Mae West fait courir les foules. Au cinéma c’est bientôt Zoe Rae qui triomphe, ouvrant la vie à Mary Pickford qui devra jouer les petites filles jusqu’à 30 ans passés.
Tout cela pour en arriver à une seule et évidente constatation : Bebe Daniels est la bonne personne au bon endroit au bon moment et elle atourné le film qu’il fallait pour que cela se sache !

Un glissement de terrain va emporter avec lui les quatre dernières lettres blanches du panneau HOLLYWOODLAND, Hollywood est né. Le Hollywood des pionniers, certes, le Hollywood où les acteurs arrivés de New-York comme Wallace Beery clouent eux-mêmes leurs décors avant de jouer leur scène. Mais c’est le Hollywood de ceux qui vont construire les plus prestigieux studios du monde, faire du cinéma l’entreprise la plus rentable de la planète pour tout un demi siècle.
Bientôt on va goudronner les routes pour les sillonner en Rolls, partir à la conquête des campagnes environnantes comme Beverly Hills et San Fernando Valley et y construire les plus merveilleuses les plus gigantesques villas du siècle.
Bebe Daniels, à peine aux portes de l’adolescence, fait partie de ce Hollywood des premières heures, Ô Combien !
La Guerre qui éclate en Europe en 1914 va donner un premier coup de fouet à l’industrie du film américain. L’Europe réclame tant et plus des bobines pour amuser ses soldats.
Le jeune Harold Lloyd, un « comique » qui connaît le succès cherche une partenaire qui serait jolie, sportive, intelligente, qui n’aurait peur de rien et qui « pigerait » tout de suite ce qu’il lui demande.
On lui présente Bebe, le coup de foudre est immédiat.

Harold Lloyd est certes un comique mais c’est surtout un athlétique jeune homme de 21 ans, sportif, élégant, raffiné et intelligent. Bebe n’a que 14 ans, mais qu’importe.
A cette époque, en Amérique comme ailleurs de nombreuses filles sont déjà épouses et mères à cet âge. La jeunesse de la demoiselle ne heurte aucune morale. Après l’armistice de 1918, cette relation sentimentale n’aurait plus été possible sans déclencher les foudres d’une nouvelle morale.
Avant d’évoquer la relation personnelle et professionnelle d’Harold et Bebe, il convient de faire une mise au point.
Le couple n’est pas au départ l’attraction numéro un des films d’Harold. Bebe est l’élément féminin, mais le véritable tandem comique est formé par Harold et « Snub » Pollard. C’est lui l’éternel dindon des farces d’Harold. C’est lui qui invente cette silhouette indissociable des films comiques muets : celle de la brute à épaisse moustache énorme et tombante, souvent policier, patron ou gardien de parc, toujours investi d’un pouvoir ou d’une autorité, toujours à l’esprit borné, à la musculature sérieuse et au regard évaporé. « Snub » Pollard est un véritable must à l’époque, le public et surtout les enfants le vénèrent, il symbolise l’autorité bafouée par le héro, « Snub » Pollard joue souvent les vieux, il n’a que 25 ans ! Il est aussi indissociable d’Harold que Laurel ne le sera d’Hardy.
Il lui suffira d’enlever sa fausse moustache passée de mode pour que sa carrière de grade vedette s’arrête et qu’il ne chute au fin fond des génériques, le public ne le reconnaîtra plus

Vient ensuite Bebe qui coachée par sa mère joue ces amusettes avec la même application que si elle jouait Shakespeare. Première actrice à composer ses personnages avec ses costumes et lorsque l’occasion s’en présente faire admirer les dernières créations à la mode et sa collection de somptueux châles andalous dont elle raffole et dont la mode fait fureur, en partie grâce à elle.
Il faut également ajouter au joyeux trio l’actrice Gene March qui jouera plus de cent fois avec eux et dont l’histoire n’a pas gardé la trace.
Très amoureux l’un de l’autre, Harold Lloyd surnommé à Hollywood « The Boy » et Bebe Daniels surnommée « The Girl » vont tourner plus de deux cent comédies ensemble !

Et si Harold Lloyd est moins populaire que Charles Chaplin, Buster Keaton et Fatty Arbuckle, il enchaîne les tournages à une telle vitesse qu’il est malgré tout le plus rentable des comiques de son temps. Certes le public se rue pour voir Charlot, mais Chaplin sort trois films par an en Harold…Cinquante ! Harold Lloyd et ses films rapportent 15 Millions de $ par an…15 millions il y a un siècle, la somme fait encore rêver aujourd’hui.
Bebe devient non seulement une actrice très célèbre et adorée du public mais elle est une véritable professionnelle comme Hollywood aimerait en compter plus. Pas de caprices, pas de drogue, pas d’alcool, pas de scandale sexuel ni même de liaison tapageuse ou de train de vie trop ostentatoire.
Un soir qu’elle rentre au volant de sa voiture vers Malibu, Bebe est arrêtée pour excès de vitesse ! Elle a dépassé la limite autorisée de 10 kms heure !
Présentée au juge, celui-ci entre dans une fureur abyssale : « Que d’autres stars se conduisent comme des écervelées et enfreignent toutes les lois, je m’en fous ! Nous sommes à Hollywood et c’est le prix à payer ! Mais vous ! Vous vous êtes Bebe Daniels et je vous fiche mon billet que vous allez rester droite et dans le bon chemin ! Il est hors de question de vous laisser déchoir dans la délinquance, je ne vous laisserai pas glisser sur la mauvaise pente ! L’Amérique a besoin que Bebe Daniels reste propre ! » Et l’actrice écopa de dix jours de prison ferme pour lui apprendre à « rester droite » !

Bebe Daniels s’est fait construire une villa à Beverly Hills, comme toute star digne de ce nom, mais c’est sa maison de semaine, sa maison de travail. D’ailleurs elle n’a pas le faste inouï des villas voisines. Elle pourrait fort bien abriter des bureaux tant son aspect fonctionnel est sa qualité première.
Le week-end, Bebe retourne chez ses parents dans sa petite maison sur la plage de Malibu. La villa de sa voisine Marion Davies compte trente chambres, celle de la famille Daniels est un simple cottage, presque une maison ouvrière de taille modeste avec un petit air espagnolisant qui n’est pas pour déplaire à Bebe qui a depuis toujours un vif penchant pour la péninsule ibérique et adorera bientôt jouer les belles espagnoles à l’écran.
Lorsque la villa de Marion sur la plage sera démolie, la presse titrera : « La maison de plage de Marion Davies a été démolie à Malibu, résultat, 300 sans abris ». Les mêmes journalistes qui passent devant la maison de Bebe Daniels seraient bien en peine de dire qu’il s’agit là du repaire d’une superstar d’Hollywood.
Harold et Bebe tourneront jusqu’en 1920, soit six longues années d’un travail incessant. Harold Lloyd effectue la plupart de ses cascades lui-même, considéré comme un fou par tous les cascadeurs professionnels ! Son côté casse cou lui coûtera deux doigts qu’il aura arrachés dans l’explosion d’une « fausse bombe ». Comble d’ironie, il ne tournait pas ce jour là mais posait pour des photos publicitaires.

Il continuera sa carrière en portant un gant contenant deux faux doigts. Subterfuge qui ne pourra pas passer le cap de la couleur. Il sera le premier à utiliser les cartons d’intertitres de ses films comme élément comique supplémentaire. Ainsi le public peut lire « Cet homme se rend à son mariage, et en plus il est content ! Quel idiot ! ». Ou cet autre carton « Laissez-le tranquille ! Il a promis de m’épouser, de me respecter et de payer le loyer ! ».
Un régal !
A l’aube des années vingt, lassée de ce traitement intensif même si elle s’est amusée comme une folle et adore Harold, Bebe souhaite prendre ses distances avec l’univers du comique et faire ses preuves en « actrice sérieuse ».
Il faut dire qu’Hollywood commence à se lasser des pitreries en tout genre et a découvert les « grandes dames » pour épopées romanesques affublées de costumes sidérants et d’un luxe inouï ! C’est le règne de Clara Kimball Young, Mae Murray, Pola Negri, Gloria Swanson, Norma Shearer, Greta Garbo ou Marion Davies.

La Paramount, studio sacro saint de Gloria et Pola a eu vent des velléités artistiques de Bebe Daniels et lui propose un contrat.
Il s’agit pour l’actrice d’atteindre à ce qui se fait alors de plus prestigieux au monde : les épopées bibliques ou mondaines tournées par Gloria Swanson sous la direction de Cecil B.DeMille. Bebe accepte avec l’empressement que l’on imagine.
Harold Lloyd se trouvera une autre partenaire en la personne de Mildred Davis, puis, lorsqu’à son tour elle se sera lassée de faire le pitre à ses côtés après l‘avoir épousé, l’emploi reviendra à Jobyna Ralston pour une dernière fournée de comédies burlesques.
Peut-on imaginer aujourd’hui qu’en 1920, à l’âge de 19 ans, Bebe Daniels soit une des stars les plus riches et les plus en vue d’Hollywood et qu’elle entame la troisième partie de sa carrière.
Après avoir été enfant star, actrice burlesque la voilà grande héroïne des films les plus chers du monde, bientôt elle donnera la réplique au dieu de son époque : Rudolph Valentino.

Pour la Paramount elle est une véritable aubaine. Très belle, elle a un côté exotique et reste crédible en Espagnole, en asiatique, en indienne ou en fille du désert. Elle sait jouer les grandes tragédies comme Swanson et Negri mais peut aussi aborder les personnages contemporains et délurés à la Louise Brooks ou Clara Bow.
Ensuite encore, après deux cent cinquante films, elle est une professionnelle aguerrie mais pour avoir été six ans durant le faire valoir d’un comique on ne l’autorisera guère à rechigner devant un second rôle ni à faire des caprices coûteux.
Mais ca tombe bien, ce n’était pas son genre !
Dès son arrivée au studio, Bebe va aligner sept films à la suite, sept succès. Durant toute la décennie elle sera une des actrices les plus rentables et les plus dociles chez Paramount. Elle tourne de grands films, tient de bons rôles face aux plus grands noms de son époque comme Rudolph Valentino, Warner Baxter, Wallace Reid qui lui fera beaucoup d’usage, Lewis Stone, Conrad Nagel, Antonio Moreno, Adolphe Menjou, Ricardo Cortez, le débutant William Powell et…Gloria Swanson !
Mais 1920, l’année du contrat Paramount est aussi l’année du décès du père adoré de Bebe.

L’actrice vend alors sa villa de Beverly Hills et vit à temps plein dans sa villa de Malibu, au 1022 Palisades Beach Road avec sa mère et sa chère grand’mère.
Sa mère va prendre les destinées financières et artistiques de la famille en mains et elle laissera à Hollywood le souvenir d’un agent redoutable et d’une femme d’affaires encore plus aguerrie ! Bebe lui fera une confiance aveugle, les deux femmes s’adorent et la mère de Bebe ne figurera jamais sur la triste liste des mères abusives d’Hollywood. Mère et fille sont les plus grandes amies du monde et le resteront jusqu’à la fin.
La star est si populaire que bien souvent, son nom seul suffit à drainer les foules en masse dans les salles où se jouent ses films. Bebe va jouer les grandes dames chez Paramount durant près de dix ans. Elle aligne près de dix films par an, tous en vedette et si en 1924, pour la première fois de sa vie elle n’en tourne que quatre, ils sont trois à se classer dans les meilleurs box office de l’année pour le studio. Le quatrième c’est « Monsieur Beaucaire » et on incombe l’échec relatif du film au seul Rudolph Valentino car Bebe a reçu des critiques dithyrambiques.
« Il était temps ! J’ai tourné deux cent quarante films ! » Confesse elle non sans humour !

L’actrice n’a que peu de temps à consacrer à la bagatelle depuis sa rupture avec Harold Lloyd. On sait qu’elle accepte quelques rendez-vous galants, rejoignant alors ces messieurs dans un quelconque palace de San Francisco, mais elle passe le plus clair de son temps au studio ou sur la plage avec sa famille et quelques amis proches dont Chaplin qui était pourtant un ennemi virulent d’Harold Lloyd
Jusqu’à cet étrange phénomène resté inexpliqué.
En 1929, Hollywood est ébranlé par un bruyant séisme : l’invention du micro !
C’est le branle bas de combat, l’ère du muet est révolue ! Norma Thalmadge vient de voir sa carrière pourtant fulgurante se fracasser inexorablement à cause d’une voix de perruche hystérique. Le pauvre John Gilbert, l’acteur numéro un de la MGM a fait lui aussi se tordre de rire les spectateurs de son premier « parlant » et sa carrière ne se remettra pas d’une réputation injustifiée de voix de fausset. On avait donné au pauvre comédien les cartons d’intertitres à lire pour faire de son film muet un film parlant et le résultat était désopilant. A son détriment.
A l’heure de la révolution sonore, Bebe Daniels comme de bien entendu tourne un film, un film muet.

Mais Paramount sonne le glas de son catalogue de stars du muet et envoie des délégations de talent scouts à Broadway chercher des acteurs qui parlent, On ne songe même pas en haut lieu à renouveler le contrat de Bebe Daniels qui arrive à son terme. Comme si le public allait cesser d’aimer cette actrice pourtant adorée parce qu’elle venait des vieilles bobines muettes des films d’Harold Lloyd ! Comme si elle faisait soudain partie d’un contingent de vielles reliques remontant à Mathusalem en personne.
Qui paierait pour entendre parler une actrice qui avait débuté en 1910 ?
Que ses films pulvérisent des records au box office n’est pas pris en ligne de compte.
La Paramount fait le ménage et sort ses grandes muettes avec les poubelles.
On fait place nette pour accueillir Claudette Colbert, Mae West et Marlène Dietrich. La révolution est en marche. On ne s’embarrasse pas de bons et loyaux services rendus, ni de millions de dollars engrangés, on dégage !
La porte est là au revoir et merci.
La RKO aussi sidérée que Bebe Daniels elle-même, l’engage pour tourner « Rio Rita ». Une superproduction, adaptation filmée d’une comédie musicale de chez Ziegfeld dont deux chansons seront enregistrées sur disque et dont un des numéros sera même colorisé.

Bebe accepte, elle tourne pour RKO avec le beau John Boles. Le film est un triomphe colossal, les chansons aussi ! RKO se frotta les mains.
j’ignore la tête que l’on fit chez Paramount, mais la carrière de Bebe Daniels allait connaître un nouveau souffle et sa quatrième période, celle d’actrice parlante et…Chantante ! Le public allait s’enticher du couple qu’elle formait à l’écran avec John Boles et la très jeune compagnie RCA allait leur offrir un plantureux contrat pour commercialiser leurs disques !
Bebe Daniels a réussi toutes les étapes et franchi les pires écueils d’une carrière d’actrice.
Elle est une des très rares enfants stars avec Natalie Wood, Elizabeth Taylor et Judy Garland à avoir réussi la transition vers des rôles adultes, elle a réussi le passage des comédies burlesques tournées à la chaîne aux rôles de grande actrice tragique dans des superproductions, ce qui ne serait le cas d’aucune de ses « rivales » dans le genre et enfin elle est passée du muet au parlant avec une aisance frisant la désinvolture !

L’invitation chez RKO allait voir une autre incidence sur la vie de Bebe Daniels qu’un changement de studio et un renouveau de carrière.
On la distribue dans « Alias French Gertie ». Comme le stipule son contrat, son nom paraît en premier sur l’affiche, en très gros et avant le titre du film, celui de son partenaire, Ben Lyon viendra en troisième position.
Le premier jour de tournage, on présente Ben Lyon qu’elle n’a jamais rencontré à Bebe Daniels et le coup de foudre est instantané. Instantané et réciproque. Dès le film terminé, Hollywood peut fêter en très grandes pompes le mariage de l’année.
Mariage qui coïncidait avec la sortie du film, jamais studio hollywoodien n’avait profité de pareille aubaine publicitaire !
Pourtant, à l’heure même de ces noces royales, la RKO négociait le contrat de Bebe avec la Warner qui la « rachetait » à prix d’or pour la faire tourner avec…Laurel et Hardy et Buster Keaton.

Les années Warner allaient être très prolifiques pour Bebe Daniels qui allait même se faire une ennemie mortelle de Bette Davis, se sentant reléguée au second plan dès son arrivée au studio, estimant que les rôles proposés à Bebe lui auraient mieux été au teint !
En 1931, année de l’arrivée de Bette à Hollywood, Bebe lui souffle bien involontairement le rôle de Ruth Wonderly dans la première version du « Faucon Maltais » face à Ricardo Cortez. Bette Davis se serait damnée pour le rôle mais elle devra se contenter de jouer la sœur laide de Sydney Fox dans « Bad Sister ».
Peu soucieuse des états d’âme de miss Davis, Bebe Daniels met au monde sa file Barbara, le 9 Septembre 1931, après le tournage du Faucon Maltais et ne reviendra au studio que l’année suivante pour rejoindre Edward G. Robinson sur le plateau de « Silver Dollar ». Bientôt la famille Lyon s’agrandira d’un fils, Richard, né le 8 Octobre 1934 et Bebe se partage entre les studios, Warner ne dédaignant pas la prêter à prix d’or à d’autres studios.
La star connaît des succès énormes et ne joue plus que les firsts ladies, souvent blondes face aux plus prestigieux acteurs de la nouvelle décennie ! C’est ainsi qu’on la retrouve dans « 42eme rue », un musical au succès retentissant, le premier de Busby Berkeley !

En 1934, Bebe fête ses 30 ans de carrière et elle est une femme infiniment heureuse. Actrice déifiée, épouse adorée maman comblée et femme richissime.
Il n’y a qu’une seule ombre au tableau : si la carrière de Bebe est plus étincelante que jamais, son dernier film avec John Barrymore fait un énorme succès, la carrière de Ben Lyon, par contre, commence à fléchir. Hollywood ne jure plus que par ses petits nouveaux : Clark Gable, Errol Flynn et Cary Grant. Dans quelques mois Hollywood va s’enticher d’un nouveau venu : James Stewart.
Ben Lyon est certes très populaire mais il se démode. Les rôles de gentleman dans lesquels il était particulièrement brillant vont maintenant en priorité à Leslie Howard ou Brian Aherne.
Bebe déclare alors qu’elle est fatiguée après trente longues années d’une carrière ininterrompue, qu’elle est lasse de ce Hollywood qui a tant changé. Elle souhaite se consacrer à sa famille et pourquoi ne pas quitter l’Amérique pour l’Angleterre, patrie de Shakespeare ?
On achèterait un charmant cottage dans une proche campagne verdoyante de Londres et on jouerait ensemble au théâtre pendant que les enfants grandiraient mieux entourés de leurs parents dans un environnement plus sain et plus cultivé.

Dans la foulée elle se déclare même lassée de son cher océan et de sa plage adorée.
C’était hélas sans compter le contrat qui la liait à la Warner !
Bebe Daniels ne réussira pas à s’en dégager, elle était une des valeurs les plus sûres du studio mais elle réussit néanmoins à le réduire à seulement un film par an. Les Lyon devront attendre 1938 pour enfin pouvoir plier bagage et gagner leur chère Angleterre tant convoitée.
Mais à peine la famille Lyon installée, la guerre comme on le sait va éclater. N’écoutant que son devoir et son courage, Ben Lyon s’engage dans la Royal Air Force. Bebe reste à la maison avec les enfants, priant pour leur survie, et le cas échéant, joue quand même quelques pièces malgré un Londres en flammes et des théâtres parfois à moitié démolis.
Pour Bebe Daniels c’est sa cinquième carrière, celle de lady anglaise, grande dame du théâtre national !

Bebe Daniels symbolise pour l’Angleterre toute entière le courage d’une mère et le patriotisme d’une étrangère. Elle est littéralement vénérée et la BBC souhaitant profiter de cette popularité pour remonter le moral des troupes et des populations lui offre un programme radio : « Hi Gang » !
Bebe tiendra l’antenne durant toute la guerre. Bientôt elle écrira tous les textes elle-même. Ben participera à l’émission lors de ses permissions et bientôt les enfants participent à leur tour !
C’est la sixième carrière de Bebe Daniels, celle de femme de radio et soutien des nations. Elle préfigure sa carrière suivante : celle de madame Lyon de la famille Lyon.
En 1945, Bebe revient à Hollywood.
Elle sera reçue à la maison blanche et honorée par le président Truman pour son courage durant la guerre et pour le pouvoir merveilleux qu’avait eu son programme radio sur l’espoir des hommes et des nations. Bebe reçoit la médaille de la liberté.

Hal Roach qui l’avait dirigée autrefois avec Harold Lloyd l’invite à coiffer la casquette de productrice aux Eagles Lyons Studios. Elle tiendra les rênes du studio en main jusqu’en 1948.
Cette année là, Bebe vend sa maison adorée sur la plage de Malibu et rentre définitivement à Londres.
Elle peut aborder sa neuvième carrière.
La famille Lyon est si célèbre en Angleterre qu’elle rivalise dans le cœur des anglais avec la famille royale elle-même. Dès le retour de Bébé on propose un nouveau programme à la famille entière et lorsque la télévision se popularisera au début des années 50, les Lyon passent de l’antenne au petit écran !
Le programme « Life with the Lyons » enchantera les ondes onze années durant, de 1950 à1961.
Deux films seront tournés à la gloire de leur famille : Live with the Lions » et « In Paris with the Lyons ». Deux énormes succès populaires.
Bebe fêtera ses 50 ans de carrière dans un film dont elle est la vedette et sa famille le sujet !
Bebe se teint une mèche de cheveux en gris, car elle paraît si jeune qu’elle a besoin de se démarquer physiquement de sa fille Barbara

A l’avènement des années 60, les Lyon se font plus discrets et Bebe sort peu à peu du cercle de lumière et de gloire qu’avait été sa vie.
Bebe a subi un premier accident vasculaire cérébral en 1964. Léger, certes mais qui a figé son expression et quelque peu altéré sa mémoire.
Elle en aura plusieurs avant celui qui lui sera fatal le 16 Mars 1971. Elle avait 70 ans depuis deux mois.
Harold Lloyd avait quitté ce monde huit jours plus tôt, le 8 Mars 1971.
Bebe Daniels souhaita être incinérée et que ses cendres reposent à Hollywood qu’elle avait, au fond, tellement aimé.
Huit ans plus tard, presque jour pour jour Ben Lyon qui s’était remarié à l’actrice Marian Nixon, s’effondre sous les yeux de sa nouvelle épouse, foudroyé par une crise cardiaque alors qu’ils croisaient au large d’Honolulu sur un yacht. Malgré son remariage, il avait souhaité reposer au côté de sa chère Bebe adorée.
Richard et Barbara Lyon continueront leurs carrières d’acteurs et de chanteurs à la fois en Angleterre et aux Etats-Unis.
Barbra décède ruinée et après une très longue maladie le 10 Juillet 1995 à Londres
Celine Colassin

QUE VOIR ?
1910 : The Courtship of Miles Standish : La première apparition connue à ce jour de Bebe Daniels au cinéma à l’âge de 9 ans. Elle donne la réplique, muette il va sans dire à Hobart Bosworth qui sera son premier partenaire attitré. Né en 1867, il joue bien entendu son père !
1910.The Wonderful Wizard of Oz : la valeur n’attendant pas le nombre des années, Dorothy est la première à enfiler les souliers de rubis pour parcourir la “yellow brick road” Ajoutons qu’à 9 ans, elle a l’âge du personnage de Dorothy Gale, ce qui ne sera pas le cas de Judy Garland. Avec la faiblesse des moyens techniques de 1910 on est en droit de trouver cette première version artistiquement plus aboutie que celle de 1939. Hobart Bosworth joue le magicien d’Oz.
1911 : A Counterfeit Santa Claus : La jeune Bebe dans l’ombre d’Olive Cox
1915 : Giving them Fits : Une des comédies avec Harold Lloyd où le rôle de la vamp est cédé à Gene March.
1915 : Ruses, Rhymes and Roughnecks : Retrouvailles de l’équipe au complet : Lloyd, Daniels, March et « Snub » Pollard
1915 : Lonesome Luke, Social Gangster : Toujours avec Harold et Gene March. Lonesome Luke va devenir un personnage emblématique d’Harold Lloyd et il sera le héro d’une bonne cinquantaine de films
1916 : The Flirt : Bebe en second rôle dans l’ombre d’une certaine Marie Walcamp
1916 : Luke Rides Roughshod : Une aventure du couple Harold et Bébé.
1916: Luke, the Chauffeur: Idem
1916: Luke Locates the Loot: Idem
1917 : Lonesome Luke’s Lively Live :
1917 : Over the Fence : En 1917, la série des Luke prend fin, ce film est le premier du couple Harold et Bebe dans d’autres personnages, à savoir un tailleur et sa petite amie.
1917 : Love, Laugh an Lather : Toujours le même duo, mais je devrais dire trio car « Snub » Pollard est de toutes les aventures d’Harold et Bebe
1917 : Step Lively : Idem
1918 : Here Come the Girls : Idem
1918 : The Non Stop Kid : Idem
1918: Kicking the Germ out of Germany: Idem
1918: Hear’em Rave: Idem
1919: I’m on my Way: Idem
1919: Ring Up the Curtain: Idem (visible sur Youtube)
1919: Spring Fever: Idem (visible sur Youtube)
1919: Heap Big Chief: Idem.
1919 : His Only Father : Idem
1919 : Bumping into Broadway : Bebe et Harold essaient de se faire une place à Broadway !
1919: Capitain Kidd’s Kids: Connu également sous le titre de « Harold et les pirates », une copie du film a été miraculeusement retrouvée en Espagne et a fait l’objet d’une restauration soigneuse qui permet de découvrir non seulement le génie d’Harold mais la modernité exceptionnelle du jeu de Bebe.
1920: Why Change your Wife? Les débuts très prestigieux de Bebe Daniels chez Paramount : Dans un film de Gloria Swanson dirigé par Cecil B. DeMille ! Bebe est la rivale de Gloria !
1920: You Never Can Tell : Bebe dans une comédie romantique dans les bras de Jack Mulhall.
1921 : The Affairs of Anatol : La grande période « chic » de Bebe où elle est dirigée par Cecil B.DeMille face à Gloria Swanson dans toute son opulence et Wallace Reid ; Bebe dans ce film se prénomme Satan. Tout simplement !
1923: The World’s Applause: Bebe en grande vedette Paramount face à Lewis Stone
1924: Sinners in Heaven: Bebe toujours vedette, face cette fois à Richard Dix.
1924: Monsieur Beaucaire : Bebe joue les princesses face à Rudolph Valentino aussi poudré que la Pompadour !
1925 : The Splendid Crime : J’adore le titre ! Bebe toujours superstar face cette fois à Neil Hamilton
1927 : Swim, Girl, Swim : Le film met en scène et en vedette dans son propre rôle Gertrude Ederle, la première femme à avoir traversé la Manche à la nage.
1929 : Rio Rita : Le dernier film muet de Bebe Daniels dont elle enregistre malgré tout la chanson, et son premier film hors de chez Paramount depuis 1920.
1930 Loves Come Along: Bebe devenue une grande vedette “parlante” continue à tenir la vedette pour une troisième décennie, cette fois face au beau Lloyd Hugues.
1930: Alias French Gertie : La rencontre du grand amour pour Bebe Daniels et Ben Lyon
1931 : The Maltese Falcon : Première version de cette histoire avec Bebe et Ricardo Cortez avant que leurs rôles ne soient repris par Mary Astor et Humphrey Bogart ! Le film tourné avant l’apparition du code de censure Hayes est assez « explicite ». On voit par exemple Bebe remonter ses bas après un « entretient » dans un bureau. Les penchants homosexuels du héros sont également clairement évoqués. Lorsqu’en 1936 jack Warner voudra ressortir le film pour une nouvelle exploitation, le visa de censure sera refusé et le film interdit ! Raison pour laquelle il a fallu en refaire une nouvelle version « soft » avec Astor et Bogart.
1932: Silver Dollar: Bebe face à l’inquiétant Edward G. Robinson qui incarne le magnat de l’argent Horace Tabor. Le premier rôle féminin du film est tenu par l’excellentissime Aline McMahon.
1932 : 42 nd Street : Bebe dans un musical mythique avec Ruby Keeler dont c’est le premier film, Ginger Rogers, George Brent et Warner Baxter. Le film sera nommé aux Oscar.
1933 : Cocktail Hour : Un film très oublié où Bebe intéressait fort le jeune Randolph Scott !
1935 : Music is Magic : Le dernier vrai grand rôle de Bebe qui joue une star vieillissante faisant passer sa fille pour sa sœur et confrontée à l’émergence d’une rivale beaucoup plus jeune, à savoir Alice Faye. Les deux actrices se démènent magnifiquement mais sont littéralement sabotées par les seconds rôles comiques qui ne feraient même pas rire une boîte de poil à gratter.
1936 : Treachery on High Seas : Un beau film d’aventures avec le couple Lyon en tête d’affiche !
1954 : Live with the Lyons : La famille Lyon, parents et enfants est si célèbre et mondialement adorée que l’on tourne un film dont ils sont le seul sujet. Il faudra attendre le couple Lucille Ball-Desi Arnaz et leurs enfants pour retrouver un tel engouement familial !
1955 : The Lyons at Paris : La famille Lyon est si célèbre que l’on tourne une suite au film tourné l’année précédente à leur gloire !