
Si Connie Francis est toujours une véritable icône de la chanson, elle ne sera pour le cinéma qu’une étoile filante. Ses films se comptent sur les doigts d’une main et sans cesse décalqués sur le premier, le mythique « Where the Boys Are ». Lequel reconnaissons-le, provoqua un véritable phénomène de société.
Concetta Rosa Maria Franconero vient au monde le 12 Décembre 1938 à Newark dans le New-Jersey. Ses parents, George et Ida sont des immigrés italiens venus chercher en Amérique la fortune ou l’espoir, ce qui revient au même. Plus tard un petit frère, George jr. viendra compléter le trio familial. Mais si le pactole ne coule pas dans les poches de la famille ouvrière, la nostalgie de la belle Italie dégouline tous les soirs au menu. On parle, on mange italien, et surtout on chante les airs du pays. La petite fille en lâche son biberon de bonheur et bientôt gazouille en chœur avec son papa qui n’est pas peu fier d’avoir enfanté un enfant prodige.
A quatre ans elle régale les fêtes de quartier de tarentelles rondement menées. Son père, devant l’enthousiasme général lui apprend l’accordéon pour faire d’elle une artiste complète. L’instrument est aussi grand et plus lourd que l’interprète qui finira par le prendre en grippe même si elle en joue en virtuose. Le père de Concetta, persuadé d’ailleurs à juste titre que sa fille tient en ses fragiles menottes le destin de la famille l’inscrit à tous les concours amateurs possibles et imaginables. C’est au cours de l’un de ces concours dignes de « Nouvelle Star » qu’un talent scout du jury conseille à Connie de changer de nom et d’abandonner cet accordéon qui la dissimule presque entièrement.
Elle devient Connie Francis. Quant à l’accordéon elle ne l’abandonne pas, elle le jette! Nous sommes en 1955, elle va avoir dix-sept ans mais n’est toujours pas plus haute que la botte de Greta Garbo dans « La Reine Christine ».

C’est grâce à un de ces concours qu’elle va signer pour la première fois avec un label. Un label qui ne saura pas quoi faire d’elle. L’Amérique a déjà des voix dans son style. Le label étant MGM records, on refourgua la lauréate au doublage de films. C’est ainsi qu’elle se retrouva doublant entre autres Jayne Mansfield pour le chant dans « La Blonde et le Shérif ».
MGM records remplit son engagement en termes et délais. Connie enregistra ses single. Tous passèrent complètement inaperçus sauf « The Majesty of Love » qui connut enfin un certain succès mais qui venait trop tard, MGM n’y croyait plus et…Connie non plus!
Elle décida d’abandonner la chanson et de faire sa médecine même si celà devait mortifier son papa adoré qui seul, envers et contre toute évidence, croyait encore à l’avenir chantant de sa fille.
L’artiste et le label avaient décidé d’un commun accord de rompre le contrat et de renoncer au dernier single prévu. Mais le père de Connie supplia jusqu’à ce que sa fille cède et accepte ce dernier enregistrement pour lui faire plaisir. Elle n’avait d’ailleurs pas le choix, elle n’était pas majeure. C’est papa qui gérait les choses comme le voulait la loi. C’est lui qui en farfouillant dans le catalogue MGM en extirpa « Who’s Sorry Now », déjà enregistré avec succès en 1923 par Marion Harris. Son argument tenait debout. Les vieux seraient ravis de réentendre la chanson et les jeunes ravis de la découvrir. Connie haïssait la chanson bien qu’elle ait été totalement revisitée au goût du jour, devenant un slow que n’auraient pas désavoué The Platters.
Six mois après sa sortie, « Who’s Sorry Now » atteignait le million d’exemplaires vendus! Le disque va se vendre durant…Quatre ans! Impossible d’imaginer une « party » sans le slow de Connie. La jeune fille ayant enchaîné avec l’enregistrement de « Stupid, Cupid », elle devenait l’égale en popularité de toutes les stars teenage du moment et éclipsait Kay Starr à qui on l’avait trop souvent comparée.

En 1961 le cinéma s’empare du phénomène de société aux quinze albums vendus en un an et aux vingt millions de disques qu’est devenue Connie chez les jeunes. La voix d’or des disques d’or comme on l’a surnommée. Les jeunes dont tout le monde en ce début des années 60 vise la clientèle. Que ce soit en voiture, en mode en musique, même en boisson et en nourriture et bien entendu en cinéma. Joe Pasternak envisage de produire un film destiné à un public de moins de 20 ans, un film qui abordera leurs problèmes générationnels comme leur découverte de la sexualité.
Un film plein de jolies filles et de beaux garçons dévêtus puisque ce sera un Beach party film.: « Where the Boys Are ».
Et Connie refuse!
Pas question de faire du cinéma! Pasternak devra user de toute sa persuasion pour l’attirer devant les caméras. D’autant qu’il compte lui confier le rôle du petit boudin à lunettes. Les compositeurs de la musique du film, Neil Sedaka et Howard Greenfield durent à leur tour affronter le tempérament déjà bien trempé de Connie Francis. Ils lui proposèrent quatre chansons, trois qu’ils adoraient et une qu’ils détestaient et…C’est celle-là qu’elle choisit instantanément!
Le film fit un véritable triomphe, engrangea non seulement des millions mais aussi des critiques élogieuses et des récompenses très officielles. Dolorès Hart, Paula Prentiss et Yvette Mimieux deviennent des stars, Connie l’était déjà. Elle vendait un million de disque par mois. Elle en avait vendu huit millions depuis le premier appel de Pasternak!

Et en attendant la sortie du film, elle réenregistre ses albums en allemand, en espagnol, en italien, en français et en…yiddish! Elle était la star de la mélopée larmoyante mais elle fut la première interprète américaine à enregistrer ses tubes en langue étrangère ce qui fit d’elle une star colossale partout dans le monde.
Elle gardera la chanson « Where the Boys Are » durant des années dans son tour de chant et chaque fois l’accueil du public sera enthousiaste. L’Amérique adorait et adore toujours le film plus d ‘un demi siècle plus tard.
Connie n’avait pas menti en avertissant Pasternak de son désintérêt pour le cinéma. Elle ne reviendra en faire que du bout des lèvres, à des conditions mirobolantes et parce que l’Amérique entière la suppliait. Dès que la courbe du succès fléchit, même de manière microscopique, Connie retourna à son grand amour: La scène.
Elle sera un superstar du disque durant très exactement dix ans. De 1958 à 1968 puis, l’univers entrant dans un autre cycle musical, celui de la pop anglaise elle se démode un peu mais garde un public nombreux et fidèle. Il y a plus de soixante ans que la carrière de Connie continue sur sa lancée et en la voyant aujourd’hui on se demande quelle mouche avait piqué Joe Pasternak en lui donnant un rôle de laide, même si elle ne fut jamais beaucoup plus grande que l’accordéon de son enfance.

Cette carrière exemplaire connut quelques ralentissements lors des épisodes tragiques que traversa Connie Francis dans sa vie. Le 8 Novembre 1974, après un concert à New-York elle est sauvagement violée dans sa chambre d’hôtel et laissée pour morte par un agresseur qui n’a jamais été retrouvé. La jeune femme va alors traverser une longue période de dépression dont elle ne guérira jamais tout à fait. Dépression aggravée encore par les séquelles d’une chirurgie nasale qui altère son oreille interne et ses cordes vocales. Après 30 ans de carrière, l’artiste doit prendre des cours de chant pour la première fois de sa vie.
Elle aura encore la douleur de perdre son jeune frère adoré, George, assassiné par des hommes de main de la mafia italienne en 1981. Ce drame sordide la replonge dans la dépression jusqu’à ce qu’elle soit diagnostiquée maniaco-dépressive. Connie Francis va transiter par dix-sept hôpitaux en quatre ans avouant avoir eu envie de se suicider dans chacun d’eux tellement ils étaient déprimants.
Frappée en 1974, elle ne reprendra vraiment sa vie et sa carrière en mains qu’en 1989. Elle publie alors son autobiographie, enregistre de nouvelles chansons et repart en tournée pour de longues années. L’Amérique aujourd’hui lui voue un culte immense et la considère comme la Piaf Américaine. Et à bien y regarder, ce n’est pas si idiot que celà.
Celine Colassin

QUE VOIR?
1960: Where the Boys Are: Avec Paula Prentiss, Dolores Hart et George Hamilton
1963: Follow the Boys: Avec Dany Robin et Paula Prentiss
1965: When the Boys Meet the Girls: Avec Harve Presnell