
La très charmante Géraldine Brooks fut une véritable enfant de la balle. Ses parents sont des costumiers réputés qui habillent les plus prestigieux spectacles de Broadway. Une de ses tantes resplendit parmi les Ziegfeld Girls et un de ses oncles est premier ténor à l’opéra.
C’est d’ailleurs parce qu’il avait eu l’insigne honneur de chanter face à l’illustre Géraldine Farrar, que la petite fille qui vient au monde le 29 Octobre 1925 sera prénommée Géraldine. Géraldine Strook.
Pour compléter cet artistique lignage, Géraldine a une grande sœur. Gloria, qui deviendra actrice et mènera une belle carrière sous son patronyme de naissance: Gloria Strook. Evidemment, dans une telle famille, on considère comme une chose acquise, la future vocation artistique de tous les nouveaux venus. Ainsi, les filles Stroock sont mises à la danse dès leur deux ans.
Le choc sera donc rude lorsque la cadette sera admise à l’université de Syracuse pour y suivre de très sérieuses études de lettres. Heureusement la trahison fut courte. Les velléités de vie « normale » fondirent et la jeune Géraldine suivit comme il se doit, de très sérieux cours d’art dramatique avant de faire ses débuts à Broadway. L’honneur était sauf!

Bon sang ne sachant mentir, la jeune fille connut très vite le succès et Universal montra son intérêt à coup de contrat. Elle débuta donc dès 1947 dans « Cry Woolf », un second rôle dans les ombres d’Errol Flynn et Barbara Stanwyck. La jeune demoiselle ayant survécu sans se montrer excessivement impressionnée, on la parachuta immédiatement sur le plateau de « Possessed » où Joan Crawford jouant ses habituelles névroses devait en toute logique la prendre en grippe et la haïr souverainement. Le risque était grand.
Pourtant la gracieuse Géraldine fit fondre le cœur de Joan Crawford qui l’adora littéralement. C’est l’époque bénie où Joan s’extasie volontiers sur les qualités grandioses de ses jeunes partenaires telles Ann Blyth, Heather Sears ou Géraldine, clamant aux oreilles du monde que fascinées par leur talent, elle avait joué dans un état d’admiration perpétuel et les désignait comme « les vraies vedettes du film ». Parfois, certes rarement, Joan était sincère, avec Géraldine, elle l’était.
« Cry Wolf » souffrant d’une fin mal écrite et incongrue, le film fut remanié plusieurs fois, ce qui fait que « Possessed » sortit trois semaines avant lui. On applaudit Géraldine pour avoir aussi magnifiquement débuté face à « la » Crawford. Même si Cry Wolf allait garder une fin idiote, la jeune fille se retrouvait en trois semaines à l’affiche de deux gros succès. Joan Crawford sera d’ailleurs nommée aux Oscar pour sa performance dans » Possessed ».

Mais malgré ces débuts très prometteurs à défaut d’être fulgurants, Universal se contenta de distribuer Géraldine dans d’autres seconds rôles. Elle devra attendre 1952, soit cinq ans avant d’obtenir un premier rôle, mais dans un film mineur face à Glenn Ford dans « The Green Glove »
Elle s’était d’ailleurs éclipsée tout un an durant avec l’autorisation de son studio.
Une année passée en Italie dont elle rentra émerveillée « J’ai découvert ce que profiter de la vie veut dire, j’ai aussi découvert ce qu’un homme veut dire! Quel pays de rêve! A tout point de vue! Il me tarde d’y retourner et peut-être même de m’y installer! »
A son retour, elle ne fut guère longue à comparer la qualité de ce que lui offrait Hollywood à ce que lui offrait Broadway et c’était précisément sans comparaison. Elle fit donc modifier son contrat afin de rejoindre ses chères scènes new-yorkaises. Ce qui l’éloigna du cinéma mais la rapprocha de la télévision où elle devint aussi brillante qu’assidue. Elle s’y engouffre dès 1949 et y mènera carrière jusqu’à sa fin, participant à bon nombre des séries mythiques de son temps.
Après avoir enchaîné sept films chez Universal sans en tirer grande satisfaction si ce n’est l’indéfectible amitié de Joan Crawford, Géraldine accepte une offre venue d’Italie et va bien malgré elle surfer sur la vague d’un des plus fracassant scandale des années cinquante, voire du siècle.

Alors que Géraldine tournait sagement en Italie, la star Ingrid Bergman quittait son mari et abandonnait sa fille pour fuir en Italie y vivre sa folle passion adultère pour Roberto Rossellini. Lequel de son côté quitte son épouse Anna Magnani pour les beaux yeux clairs de la divine suédoise. Le scandale est colossal.
Ingrid Bergman et Roberto Rossellini sont des parias, on prend le parti du bon docteur Lindström abandonné à Hollywood et d’Anna Magnani délaissée en Italie.
Et puisque le couple Rossellini-Bergman tourne sur les pentes même du volcan un film intitulé « Stromboli », on met dare-dare en chantier « Vulcano » avec Anna Magnani sur les pentes d’un volcan concurrent. Géraldine Brooks jouera sa petite sœur.
Le film de Rossellini est un chef d’œuvre absolu.
Celui d’Anna Magnani est plutôt raté et son personnage de prostituée de longue durée aura beaucoup de mal avec la censure.
Le film mettra 3 ans pour obtenir son visa de sortie. Mais en 1950, il est hors de question d’admirer Ingrid Bergman et Roberto Rossellini et il est presque obligatoire d’admirer Anna Magnani!
Anna Magnani, bien moins belle qu’Ingrid a été abandonnée avec un fils gravement handicapé par la poliomyélite et on considère que l’infâme mari ne serait rien sans elle puisqu’elle était sa star de « Rome, Ville Ouverte » et qu’elle avait fait, estimait on, le succès du film.
Hollywood fera à la femme bafouée en représailles contre Ingrid Bergman, des ponts d’or. On lui offrira des rôles fabuleux, un Oscar et même Marlon Brando et Burt Lancaster comme partenaires.
Stromboli ne trouvera aucun distributeur américain assez téméraire pour le diffuser.

Dans cette véritable révolution, car c’en fut une, Géraldine Brooks se retrouva à l’affiche du film dont on parlait le plus au monde, avec la nouvelle vedette sensationnelle du moment et symbolisait la « vraie jeune femme américaine ».
Car ne l’oublions pas, la Bergman était une garce d'importation suédoise.
Comme l’autre emmerdeuse de Greta Garbo.
Le film ne sortit donc qu’en 1953. Entretemps, Géraldine était rentrée au pays, avait repris sa carrière et avait même reçu un Emmy Award. Elle se consacrera d’ailleurs exclusivement au théâtre et à la télévision, ne paraissant plus que trois fois au cinéma, respectivement en 1957, 1966 et 1975 pour le reste de sa carrière pourtant prolifique…Mais ailleurs.
Le 8 Mai 1958, Géraldine épousait le scénariste Hebert Sargent mais le couple divorçait en 1961.
En 1964, Géraldine se marie pour la seconde fois, cette fois avec le scénariste et romancier Bob Schulberg. Bob a douze ans de plus que Géraldine.
Alors qu’ils égrènent leurs souvenirs d’enfance, ils se rendent compte que non seulement ils ont vécu dans le même immeuble mais que Bob était le baby sitter de Géraldine!

Ce second mariage serait enfin solide et durerait jusqu’à la mort. Une mort qui viendrait bien trop tôt.
Frappée par le cancer encore très jeune, Géraldine va lutter avec un acharnement sans borne et sans renoncer à son métier, même si sa chimiothérapie a aliéné sa beauté et qu’elle doit porter une perruque. Mais le traitement l’épuise et le 19 Juin 1977, une crise cardiaque la foudroie et met fin à ses souffrances. Elle aurait fêté ses 52 ans quatre mois plus tard.
Son éternelle amie Joan Crawford, souffrant elle aussi d’un cancer vit recluse à New-York. Le 10 Mai 1977, Joan s’éteint. Géraldine était venue prendre la parole à ses obsèques avant de s’éteindre à son tour cinq semaines plus tard
Celine Colassin

QUE VOIR?
1947: Cry Wolf: Avec Barbara Stanwyck et Errol Flynn
1947: Possessed: Avec Joan Crawford et Van Heflin
1948: Embraceable You: Avec Dane Clark
1949: The Younger Brother: Avec Janis Paige et Wayne Morris
1949: The Reckless moment: Avec Joan Bennett et James Mason
1952: The Green Glove: Avec Glenn Ford
1957: Street of Sinners: Avec Robert Montgomery
1966: Johnny Tiger: Avec Robert Taylor
1975: Mr. Ricco: Avec Denise Nicholas, Cindy Williams et Dean Martin