En abordant aujourd’hui le parcours de l’actrice Helen Chandler, j’ouvre une nouvelle page dans l’album bien fréquenté des destins tragiques d’Hollywood.
Helen Chandler vient au monde à Charleston qui n’est pas encore une danse mais une ville de Caroline du Sud. Nous sommes le 1 Février 1906. Je sais hélas fort peu de choses sur les débuts dans la vie de la jeune demoiselle Chandler. Mais toujours est-il qu’en ce début de siècle où la passion du public pour les enfants stars touche à la névrose, Helen débute à Broadway à l’âge de 9 ans. D’une claire beauté diaphane, le public croit voir un ange descendu des cintres et fait de la jeune Helen l’enfant chérie de Broadway.
Elle fêtera ses 20 ans sur les planche et en haut des affiches. Elle s’offrira le luxe de jouer dans Richard III à l’âge de 19 ans face à John Barrymore puis donnera la réplique à Lionel Barrymore dans Macbeth l’année suivante. C’est durant ces prestigieuses représentations qu’Helen fêta ces fameux vingt ans. Tout lui souriait. Belle a mourir, talentueuse et adulée du public, le monde lui appartenait.
Grande prêtresse du théâtre de Shakespeare, Helen sera également une Ophélie de légende et personne jamais n’osa lui proposer « Monte là dessus cocotte et fais pouêt-pouêt ». Inévitablement un tel phénomène classieux de talent et de beauté ne pouvait laisser Hollywood indifférent. Helen Chandler fêta d’autres vingt ans avant de traverser le pays pour rejoindre les studios californiens: Les 20 ans passés sur les scènes de Broadway.
Elle fera ses débuts à l’écran chez FOX, dans un court rôle du « Maître de Musique », fantaisie viennoise menée par Loïs Moran.
Etrangement, Helen Chandler ne fut pas reçue comme le messie à Hollywood.
Alors que la capitale du film se vautrerait bientôt aux pieds de Marlène Dietrich comme elle l’avait fait pour Greta Garbo qui sortaient d’à peu près nulle part, la belle Helen va se faire bringuebaler d’un studio à l’autre comme une sorte d’excédent de bagage. Pourtant, et fort étrangement, à chacune de ses prestations, les critiques sont élogieuses, frisant l’excès de superlatifs.
Certaines potinières et non des moindres s’insurgeront contre le traitement infligé à Helen.
« Le comportement d’Hollywood envers Helen Chandler est inqualifiable ! Voilà une actrice à la beauté parfaite, une actrice shakespearienne comme il en est peu et les studios la relèguent au second plan derrière des dindes sans saveur ânonnant leurs textes juste assez fort pour empêcher les spectateurs de ronfler! Si vraiment le cinéma traverse une crise, je crois que c’est la crise du bon sens! » (Variety, Août 1930) Helen Chandler fut plus mesurée et ne se plaignit pas publiquement. En fait elle briguait un rôle: celui d’Alice au Pays des Merveilles qu’Hollywood envisageait de porter à l’écran.
Elle avait l’habitude à Broadway de recevoir les meilleures pièces sur un plateau d’argent, mais à Hollywood, il fallait se battre. Elle se battit pour devenir Alice.
La bataille fut âpre bien qu’aucune grande star ne soit sur les rangs.
Par contre, durant cette bataille, on lui refila un autre scénario dont absolument personne ne voulait car personne ne croyait à cette histoire de chauve souri humaine suçeuse de sang : Dracula.
Helen Chandler avait déjà tâté du cinéma fantastique et n’était pas bégueule. Mais ce film là, franchement était mal parti!
Le scénario de départ était lourd comme un coffre fort, plusieurs kilos de pages couvertes de salmigondis aussi invraisemblables qu’alambiques où personne ne comprenait rien.
Tod Browning ensuite avait acheté les droits pour Lon Chaney mais Lon Chaney était mort. Personne depuis n’acceptait de revêtir la cape du ténébreux comte.
Tod Browning lui-même posait problème car s’il avait été un des grands maitres du cinéma muet, son style s’accordait mal au parlant.
Bref, l’affaire s’engageait mal et Universal était au bord de la faillite. Il faudrait bidouiller les effets spéciaux avec trois radis et deux bouts de ficelle. Et en plus, cerise sur le gâteau, il y avait cet étrange acteur un peu cinglé qui avait joué la pièce à Broadway et faisait le siège du studio pour récupérer son rôle à l’écran, quitte à travailler pour un salaire de misère.
Ce Bela Lugosi qui finalement ferait le film pour 3.500 dollars tout compris. Alors si Helen Chandler pouvait apporter un peu d’élégance et de crédibilité à l’ensemble, ça ne serait pas plus mal!
L’actrice accepta, fit le film et le film fit un triomphe!
50.000 billets furent vendus en une demi heure et la presse annonça que les premiers spectateurs du film s’étaient évanouis!
C’était faux mais le public se rua.
Universal pouvait couvrir ses murs d’or! On allait tourner des suites!
Bela Lugosi allait devenir une star! Helen Chandler fut remerciée, elle ne fut pas Alice au Pays des Merveilles, elle ne tourna même pas les suites de Dracula!
La reine de Broadway était traitée à Hollywood comme une serpillère et on ne se fit pas faute de s’y essuyer les pieds. Ainsi pour « Midnight Alibi » où elle devait tenir le premier rôle face à Richard Barthelmess, elle se fait reléguer dans un second rôle face à Ann Dvorak qui hérite du sien en tête d’affiche.
Motif: La Warner a racheté le contrat d’Ann Dvorak à Howard Hugues 40.000$ et il faut rentabiliser.
Ensuite encore, la MGM voyait en Ann une nouvelle Joan Crawford. Et chez Warner, précisément on a toujours rêvé d’une Crawford!
Alors la belle Helen reprendra la voie royale du théâtre, revenant malgré tout à Hollywood pour y tourner jusqu’en 1935, année où son contrat se terminait. Elle prit ses jambes à son cou et on ne l’y reprit plus à une exception près: son ultime film en 1938 « Mr Boggs Steps Out » où elle serait mise en concurrence avec…Toby Wing! Deux mondes s’affrontaient!
Son échec hollywoodien avait perturbé cette sensible créature plus que de raison. Comme Dixie Lee, comme Mayo Methot, comme Jeanne Eagles, elle trouvait désormais refuge et soutien dans l’alcool. C’est titubant qu’elle quitta le plateau de son dernier film. Dorénavant la star sur la pente raide de la déchéance ira de retours annoncés en cures de désintoxication et s’enfoncera inexorablement dans un oubli teinté de mépris.
En 1950 on reparle d’elle. Helen Chandler refait la UNE. Ivre morte, elle s’est endormie en fumant et son appartement a été dévasté par les flammes. Sauvée de justesse elle reste atrocement défigurée. N’ayant plus aucun espoir, recluse, seule et défigurée, elle boit jusqu’à sombrer dans des comas éthyliques, désespérée à chaque fois de se réveiller.
Ce traitement aura raison d’elle.
Helen Chandler meurt le 30 Avril 1965 à seulement 59 ans. Son cœur lâche durant une opération chirurgicale pour un ulcère à l’estomac. Elle avait passé les 15 dernières années de sa vie enfermée seule à boire sans relâche mais paradoxalement était revenue à Hollywood, la ville qui l’avait bafouée et détruite.
Sur son testament elle exigeait d’être incinérée et que ses cendres soient jetées en mer pour que plus rien enfin ne la rattache à ce monde.
Ainsi fut fait.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1927: The Joy Girl: Avec Marie Dressler, Olive Borden et Neil Hamilton
1931: Dracula: Avec Bela Lugosi
1931 : Daybreak : Avec Ramon Novarro
1932: Vanity Street: Avec Charles Bickford et Mayo Methot
1933: Christopher Strong: Avec Katharine Hepburn, Billie Burke et Colin Clive
1934: Long Lost Father: Avec John Barrymore
1934: Midnight Alibi: Avec Ann Dvorak et Richard Barthelmess