Je pourrais laisser l’introduction de ce modeste article consacré à Jacqueline Delubac à Catherine Deneuve en personne.
Mademoiselle Deneuve qui croisait souvent Jacqueline Delubac déclarait à propos de cette dernière bien qu’elle soit son aînée de 36 ans: "Elle est la quintessence absolue de l’élégance, elle est une perfection! Je la vois souvent et elle est toujours parfaitement habillée en fonction des circonstances et c’est ça la véritable élégance! Je n’ai pas la moindre idée de comment elle y arrive, c’est un don absolu"
Catherine Deneuve étant elle-même depuis un demi siècle le symbole absolu de l’élégance française, son propos prend tout son sens. Elle est d’ailleurs relayée par plusieurs ouvrages consacrés à « l’élégance selon Jacqueline Delubac »
Cette future reine de « l’élégance absolue » vient au monde à Lyon sous le patronyme d’Isabelle Jacqueline Basset le 27 mai 1907.
L’enfance lyonnaise est une enfance heureuse et privilégiée. Les Basset sont de riches négociants en soieries et le grand oncle Auguste est d’ailleurs réputé être l’inventeur de la soie artificielle ce qui fera longtemps se gausser Arletty. Le père de Jacqueline, Jean Marie Basset décèdera quand la petite fille n’a encore que 4 ans. Elle reste seule mais non dépourvue avec sa maman Alice née Delubac.
La jeune Jacqueline est scolarisée en interne à Valence, c’est l’usage pour les jeunes oiselles de bonnes familles d’être pensionnaires. En 1920, elle a 13 ans et est autorisée en haut conseil de famille à quitter Valence pour Paris car cette jolie petite personne aux yeux bouleversants rêve de danse et de chant.
En 1920, c’est encore la liesse de l’après guerre mais c’est encore le deuil. On est presque aux années folles mais à quelques mois près, on n’y est pas encore. A cette époque une femme bien née ne saurait envisager de travailler, ce serait le déshonneur du blason fût-il de Lyon.
On éduque les jeunes filles à être des épouses dévouées sachant tenir une maison ou se faire respecter des domestiques ce qui revient au même. On apprend à savoir se faire servir. Tout un art!. On apprend aussi à être une hôtesse agréable en sachant « faire une table »
(le plan, le menu, la conversation, l’invité intéressant.).
Parler plusieurs langues suffisamment bien pour faire de l’esprit et ricaner aux bons mots. Il convient aussi d’exceller aux « arts d’agrément » que sont la peinture, la danse, le chant ou la déclamation.
Il s’agit donc pour la meute des Basset de faire de leur précieuse héritière une parfaite jeune fille en vue d’un mariage tout aussi parfait avec un notable lyonnais.
De préférence « dans le métier ».
Ce que les Basset ignoraient, c’est que Jacqueline espérait de son futur mariage autre chose qu’une fusion entre deux soieries synthétiques sous couvert de voile immaculé et de couronne de fleurs d’oranger. Elle escomptait également de ses cours de chant et de danse une véritable opportunité d’expression artistique et non une distractions pour invités retenus fortuitement après le dîner parce que leur Hispano-Suiza a un pneu plat.
J’ignore la tête qu’ils auraient faite chez les Basset s’ils avaient appris que leur précieuse Jacqueline avait débuté, fort modestement il est vrai dans ces revues parisiennes alors follement à la mode.
On n’est certes pas à la comédie française.
Il suffit de se dandiner dans une robe de grand couturier fort décolletée.
On chantonne un petit refrain à sous entendus un peu coquins et au passage on égratigne une figure du tout Paris d’un trait ou d’un bon mot que l’on se répètera longtemps dans les salons bien fréquentés.
Dans ses créations Poiret, Jacqueline frôle de près Arletty et Lili Damita!
Ces revues font courir le tout Paris. Si Arletty est plus à l’aise qu’elle dans l’exercice et Lili Damita plus performante avec les millionnaires en goguette qui l’attendent après le spectacle pour boire du champagne dans ses escarpins Perugia, Jacqueline est plus dans l’élégance haute couture.
On aurait pu la recommander au magazine VOGUE lancé en France en 1920. Mais on lui conseilla de plutôt se présenter aux Studios Paramount à Saint Maurice.
Les studios sont tout neufs, le ripolin n’est pas tout à fait sec que déjà on y fait tourner Henri Garat, Maurice Chevalier, Alice Cocéa et la star Meg Lemonnier. Jacqueline y débarque. Sa beauté et son élégance stupéfient tout le monde. Si elle n’est pas très grande, Jacqueline a la taille fine, elle est souple comme une liane et possède ce qui est essentiel pour séduire la caméra: un front haut et de très grands yeux clairs.
Dès 1930 elle débute à l’écran et se fait une amie pour la vie de la vétérane Marguerite Moreno, laquelle fut longtemps proche de Guitry puis rayée de ses fréquentations par Yvonne Printemps. Yvonne était la seconde madame Guitry et Marguerite l’amie intime de la première Charlotte Lyses. Cela avait suffit à son éradication du carnet d’adresses.
Paradoxalement, ce n’est pas Marguerite puisqu’ils sont en froid qui présentera Jacqueline à Sacha Guitry mais Robert Trébor.
Trébor est le directeur du théâtre Michel rue des Mathurins depuis 16 ans. C’est là que Guitry a crée plusieurs de ses pièces, ils sont très amis.
Nous sommes en 1931.
Guitry prépare « Villa à Vendre » qu’il monte au théâtre de la Madeleine. Guitry cherche une actrice très jolie qui parlerait avec un accent anglais parfait, Trébor lui recommande cette jeune Jacqueline Delubac, très belle et parfaite bilingue. Guitry empoigne son téléphone, appelle la Paramount et convoque littéralement, le mot n’est pas exagéré cette « Mademoiselle Delubac, l’amie de Trébor! » Jacqueline viendra à la convocation, Guitry sera immédiatement convaincu par cette actrice de 24 ans et tout aussi immédiatement charmé avant que d’être complètement subjugué.
On connaît la suite.
Guitry tombe amoureux de la belle Jacqueline alors même qu’il dirige son épouse Yvonne Printemps au théâtre de la Madeleine dans « Frans Hals ». Il lui a donné Pierre Fresnay comme second partenaire, lui-même incarnant Frans Hals. Ces deux-là, Yvonne et Pierre, tombent également follement amoureux l’un de l’autre et sous son nez.
La situation qui vaut très largement une pièce de Guitry va passionner les journaux durant des mois.
Chaque soir Yvonne joue à la Madeleine avec Guitry et le trompe sous son nez avec Fresnay. L’après midi Guitry répète, toujours à la Madeleine et trompe Printemps avec Delubac! Un régal! D’ailleurs les deux pièces font salle comble!
Sacha Guitry et Jacqueline Delubac convoleront le 21 février 1935; Sacha lançant son immortelle boutade "J’ai le double de son âge, il est donc juste que j’en fasse ma moitié" . Cette boutade obligeant Jacqueline à un pieux mensonge en prétendant être née en 1910 et non en 1907! Il fallait bien que les comptes du maître tombent juste pour être drôles.
La période Jacqueline Delubac restera la période la plus faste dans l’œuvre de Sacha Guitry. Ils tourneront 11 films ensemble et ce sont les 11 films les plus célèbres et les plus réussis de l’œuvre de Guitry. Jacqueline aura également eu à cœur de faire cesser cette brouille idiote entre Sacha Guitry et Marguerite Moreno qui retrouvera sa place dans les œuvres du « maître ».
En plus des 11 films tournés, Guitry dirigera Jacqueline 23 fois au théâtre. Il créera dix pièces avec elle et pour elle et aura le plus grand plaisir à reprendre avec elle 13 pièces autrefois jouées par d’autres!
Un autre aspect plus particulier de ce mariage est l’étrange omniprésence d’Arletty, elle aussi fidèle interprète de Guitry. Guitry n’a jamais caché son attirance pour Arletty. D’ailleurs elle a le même type féminin que Jacqueline. Plus grande, certes, tout aussi élancée, follement élégante, l’esprit vif et le bon mot toujours sur le bout de la langue. Il finira d’ailleurs par la demander en mariage. Arletty refusera. D’abord parce qu’elle a fait vœu de célibat et qu’elle s’y tiendra et puis parce qu’elle aurait été la madame Guitry numéro cinq, chiffre qu’elle déteste. Pour ne pas le vexer, Arletty lui répondit « je veux bien vous épouser à condition que ce soit le pape qui nous marie! » Ce à quoi il répondit en y réfléchissant « Ce n’est pas impossible!«
Arletty partira en voyage avec le couple, ils visiteront l’Italie de fond en comble. Mais si Arletty veut tout voir et se lève aux aurores pour crapahuter en tout sens, Jacqueline se fiche éperdument de jouer les touristes. Elle dort jusqu’à midi et ne paraît souvent, follement allurale il est vrai, qu’à l’heure du dîner.
Guitry ménage la chèvre et le chou, certains jours accompagnant Arletty dans ses expéditions, d’autres en restant à l’hôtel avec Jacqueline. Arletty restait intimement persuadée que Guitry s’amusait bien mieux à visiter l’Italie avec elle qu’à attendre la finalisation esthétique de sa reine des élégances dans leur palace.
Elle n’était pas non plus convaincue de l’élégance en question, pourtant déjà légendaire de madame Guitry Delubac. Lorsqu’on en parlait devant elle, elle rétorquait » Delubac? Elégante? A Lyon, peut-être! Mais pour Paris c’est d’la crotte! » Faisant allusion au grand oncle de Jacqueline inventeur de la soie artificielle, plus tard elle laissera volontiers tomber « La Delubac? Du toc! C’était de famille! »
Pourtant elles afficheront toujours une fière amitié en public jusqu’au divorce de Jacqueline et Sacha. Ensuite elles ne se reparleront jamais!
Et celà étant dit, au moins sur ce point, Guitry n’était pas d’accord avec sa si chère amie. Parlant de Jacqueline Delubac il avait dit: « Elle débarquait de sa province et franchement ca se voyait mais elle est devenue tellement parisienne en si peu de temps qu’on se demande en la voyant si ce n’est pas une étrangère! »
Le magazine américain LIFE l’avait d’ailleurs classée dans le top 5 des femmes les plus élégantes du monde.
On le sait, divorce il y aura chez les Guitry-Delubac! Geneviève de Séréville succèdera à Jacqueline Delubac dans le livret de famille. Jacqueline déménagera et s’installera dans l’immeuble d’en face. Ils se feront encore des saluts amicaux par fenêtres interposées et parfois, au gré d’un mariage, Sacha Guitry utilisera l’appartement de Jacqueline comme garde-meubles!
Il est de bon ton de dire qu’après son divorce d’avec Guitry le 5 Avril 1939, la carrière de Jacqueline Delubac fut terminée.
C’est tout à fait faux!
Remariée dès 1940 à Leslie Hore Belisha un riche politicien anglais, ex ministre de la guerre ce qui enfin pouvait faire plaisir à sa famille de bourgeois lyonnais, Jacqueline Delubac continue sa carrière au théâtre et au cinéma. Et ce, même si elle ne joue plus Guitry. Elle connaîtra un grand succès personnel avec « Volpone » face à Harry Baur et Louis Jouvet et un vrai triomphe populaire durant l’occupation avec « Fièvres » où elle jouait pour Jean Delannoy une vamp faisant tomber dans ses rets Tino Rossi!
Jacqueline Delubac arrêtera sa carrière de comédienne au début des années 50. « A mes premiers cheveux gris » aimait-elle à plaisanter. Elle avait 48 ans il est bien possible qu’elle ait tenu la parole qu’elle s ‘était donnée.
Elle s’était trouvé une nouvelle passion: celle de l’art moderne qui lui était venue en posant pour des peintres. Et elle posa beaucoup puisque Guitry avait la réputation d’acheter toutes les toiles représentant sa chère épouse. Avec un œil très sûr elle deviendra une des collectionneuses d’art les plus réputées du monde et aurait pu rouler sur l’or en revendant à prix d’or des toiles de grands maîtres achetées alors qu’ils n’étaient pas ou peu connus!
Son mariage britannique n’avait pas résisté à la guerre. Elle allait ensuite devenir la compagne de longue date d’un richissime diamantaire (tant qu’à faire), Myran Eknayan. Après 40 ans de vie commune, sa santé déclinant, Myran l’épousa le 22 Décembre 1981. Il ne voulait à aucun prix qu’elle ait des soucis à sa mort, laquelle surviendra en 1985. Il avait 93 ans, il était l’aîné de Jacqueline de 15 ans.
Plus de 40 ans après avoir abandonné le théâtre et le cinéma, sans jamais avoir fait de télévision, elle restait une figure emblématique du tout Paris. Ses apparitions régulières dans les potins mondains aux soirées les plus prestigieuses en entretenaient à la fois le souvenir et la nostalgie mais surtout l’admiration. Ses cheveux devenus blancs parfaitement coupés au carré, sa silhouette longiligne de jeune fille, ses robes des plus grands couturiers et son fabuleux regard bleu glacier faisaient de la légende une icône de mode.
Et puis il y aura la mort. Cette mort la plus brutale, la plus tragique et la plus absurde qui soit.
Jacqueline Delubac, toujours follement allurale a fêté ses 90 ans le 27 Mai 1997.
Le 14 Octobre alors qu’elle sort paisiblement de chez elle, elle est fauchée par un livreur de pizzas en scooter qui a emprunté le trottoir pour être plus rapide. Jacqueline Delubac ne survivra pas à ses blessures.
Peu avant sa mort, Jacqueline Delubac avait songé à l’avenir de ses collections et avait réglé sa succession en donations à plusieurs musées. Son leg le plus spectaculaire resterait sans doute celui de son vestiaire cédé au musée de la mode puisqu’il représentait un florilège de 60 ans de haute couture parisienne.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1930: Chérie: Avec Marguerite Moreno et Mona Goya
1931: Marions Nous: Avec Alice Cocéa, Fernand Gravey et Marguerite Moreno
1932: Une Brune Piquante: Court métrage avec Fernandel, Noël Noël et Christiane Delyne
1933: Topaze: Avec Louis Jouvet et Simone Héliard
1935: Bonne Chance! Avec Sacha Guitry et Pauline Carton
1936: Le nouveau testament: Avec Sacha Guitry
1936: Le Roman d’un Tricheur: Avec Sacha Guitry et Marguerite Moreno
1936: Mon Père avait Raison: Avec Sacha Guitry
1936: Faisons un Rêve: Avec Sacha Guitry et Raimu
1937: Désiré: Avec Sacha Guitry et Arletty
1937: Les Perles de la Couronne: Avec Sacha Guitry et Arletty
1937: Le Mot de Cambronne: Avec Sacha Guitry
1938: L’Accroche-Cœur: Avec Henri Garat et Marguerite Moreno
1938: Quadrille: Avec Gaby Morlay et Sacha Guitry
1938: Remontons les Champs Elysées: Avec Sacha Guitry et Josseline Gaël
1939: Ultima Giovinezza: Avec Raimu et Pierre Brasseur
1939: Jeunes Filles en Détresse: Avec Marcelle Chantal
1940: La Comédie du Bonheur: Avec Micheline Presle, Michel Simon et Ramon Novarro
1941: Volpone: Avec Harry Baur et Louis Jouvet
1942: Fièvres: Avec Madeleine Sologne, Ginette Leclerc et Tino Rossi
1950: Le Furet: Avec Jany Holt et Colette Darfeuil
1951: La Vie est un Jeu: Avec Rellys
1951: Les Mousquetaires du Roi: Avec Danielle Godet, Raymond Buissières et Marcelle Derrien