Jacqueline Plessis n'est pas une de ces actrices ayant tourné une multitude de films. Elle n'est pas une de ces actrices qui possèdent tout un rayonnage d'étagère rempli de récompenses en tout genre. Elle n'est pas non plus une de ces actrices dont la vie privée a fait le régal de la presse à scandale. Elle est plus que cela. Elle est une femme dont le prestige personnel rejaillit sur le prestige de son pays. La France. Même si cette notion de prestige national semble aujourd'hui bien obsolète et pour tout dire assez galvaudé.
La future Jacqueline Plessis naît au Havre, le 9 Novembre 1918, (et non le 11 comme clamé partout) soit deux jours avant l'armistice, avant la fin officielle de la "der des der". Petit nouveau né de la liberté, elle voudra très tôt devenir infirmière. Non qu'elle soit fascinée par les raides blouses blanches amidonnées du métier, ni qu'elle soit enivrée par l'envoûtant fumet des pommades camphrées ni même qu'elle ait envie d'épouser un beau médecin. Elle veut aider, venir en aide, être utile, soulager les peines. Elle est comme ça.
N'a t'elle pas grandi dans une France où les "gueules cassées" sont légion? Légion d'ancien braves. Aujourd'hui sans bras, sans jambes, sans yeux et sans visage. Milliers de victimes d'une guerre dont la violence a dépassé de loin les compétences humaines en matière de soins. La liberté chèrement payée abandonne sur le bas côté de la vie civile des millions de "braves" devenus laissés pour compte et pour lesquels on ne peut rien ou si peu...
Leur laisser la priorité sur les strapontins du métro parisien. C'est peu. En effet.
Des millions de petites filles de la génération de Jacqueline Plessis voudront agir pour eux, leur rembourser un peu de cette liberté que la France leur doit et qui en profite en détournant les yeux.
Elle en était là, lorsqu'en 1939, le monde remet le couvert. La guerre recommence, C'est reparti pour un tour de manège qui promet d'être bien pire encore que le précédent. Jacqueline a encore vingt ans lorsqu'Hitler envahit la Pologne.
Elle sera l'une des premières à s'engager dans la résistance. Tant pis pour ses études qu'elle abandonne sur le champ. Née au Havre, ayant grandi à Compiègne avant de devenir parisienne d'adoption, elle se sent au cœur des choses et ne se souviendra jamais avoir hésité un seul instant.
C'est dans la résistance qu'elle rencontre celui qui deviendra l'amour de sa vie.
Henri Bernadac. Il est avocat, il a 16 ans de plus qu'elle et il est un des résistants les plus recherchés de France. Par les Allemands, certes, mais il est franc maçon, et les franc maçons sont la bête noire du maréchal Pétain. Il y a cumul, L'homme défend les libertés, il est l'ennemi de l'Allemagne et de la France.
Les jeunes mariés du maquis survivront à la guerre.
Leur fils unique, Jean-Claude est né dans la clandestinité en 1942.
Bernadac reprendra son métier et sa clientèle faite de nombreux artistes et de quelques producteurs influents.
Mais Jacqueline ne sera jamais infirmière. C'est en côtoyant les relations de son mari qu'elle va rencontrer elle aussi des artistes qui vont l'inciter, elle est si belle, à se diriger vers le théâtre.
En 1942 déjà, en pleine occupation, elle était venue glisser sa ravissante frimousse sur le plateau du film d'Yves Mirande "Les Petits Riens" où s'affrontaient Raimu et Fernandel sous le regard de la vétérane Cécile Sorel qui apparaissait pour la dernière fois.
Mais sa véritable carrière commence en 1946 avec "On Demande un Ménage" avec les vedettes Gilbert Gil, Denise Grey et Jean Tissier. Petit film, petit budget, petites ambitions. Mais Jacqueline, qui mine de rien voit la trentaine se profiler à l'horizon ne va pas en rester là.
Encore débutante et déjà trop âgée pour jouer les ingénues, sa beauté altière et distinguée va lui permettre de briller dans les rôles de grandes bourgeoises mises à la mode par Christian Dior dès la libération.
Danielle Darrieux, Michèle Morgan, Françoise Christophe, Marie Sabouret se sont glissées dans l'emploi. Jacqueline ne va pas démériter et soutenir la comparaison haut la main.
Bientôt elle tournera avec Jules Berry, Jean Marais, Martine Carol, Louis de Funès, Charles Boyer Robert Lamoureux, Noël-Noël.
L'Italie fait appel à elle, Jacqueline s'exporte.
Et attention! Que pour du premier rôle!
Ce que paradoxalement, la France ne lui confie que peu.
Sauf au théâtre bien entendu.
L'été 1950 la presse spécialisée épinglait le fait que Jacqueline Plessis allait enfin tourner en français! Presque une exception dans sa carrière.
Voilà des années qu'elle ne s'était plus exprimée à l'écran qu'en italien ou en espagnol. C'était d'autant plus piquant que dans "Les Chemises Rouges", elle donnerait la réplique à...Anna Magnani, Gino Cervi et Massimo Serrato!
Ce qui est encore plus piquant, c'est qu'in fine, Jacqueline ne tournera pas le film!
Femme de théâtre, elle honorera les écrans français, avec parcimonie, certes, mais durant 25 ans.
Ses succès au théâtre où elle sert Guitry et Achard la mènent en tournée partout en France mais aussi en Europe. Un métier-passion qu'elle délaissera au début des années 60 pour une nouvelle occupation: la télévision.
Jacqueline Plessis est fascinée par ce média encore nouveau et aborde les plateaux de l'ORTF en actrice certes, mais aussi et surtout en curieuse. Elle devient assistante technique avant de devenir elle-même productrice et peu à peu ce nouveau métier prendra tout son temps. Jacqueline Plessis à l'aube des années 70 n'est plus actrice, elle est définitivement une femme de télévision et sera à l'origine de plus de deux cent programmes.
Lorsqu'elle n'est pas en studio, Jacqueline est chez elle, dans la vaste propriété de l'Est parisien que les Bernadac occupent depuis la fin de la guerre. L'ancienne résidence de Viollet Leduc qu'il avait construite pour lui-même, copie conforme d'un maison de style gothique qui se trouvait sur la droite de la cathédrale Notre Dame de Paris. Sculpteuse et poétesse dans ses moments de loisirs, Jacqueline Plessis sera un temps conseillère municipale de son village Neuilly Plaisance.
En 1987 elle arrête de travailler. Son mari tant adoré décline. En 1989 il la laisse veuve.
Elle reprendra ses activités de productrice mais si l'âge est là, le cœur fait un peu défaut depuis que l'amour est parti. Peu à peu Jacqueline s'éloigne, vit seule au Castel jusqu'à ce qu'en 2012 , le cœur brisé elle reconnaisse que l'imposante demeure est aujourd'hui bien trop vaste pour la vieille dame qu'elle est devenue.
Elle s'installe dans un appartement bien plus fonctionnel à Perpignan, ce qui la rapproche de son fils Jean-Claude.
Alerte nonagénaire dont la beauté restait toujours palpable car elle passe par le cœur et regard, Jacqueline Plessis n'était ni seule ni solitaire et veillait à ce que ses amis qui ont donné leur vie pour la France ne meurent pas une seconde fois. D'oubli.
Jacqueline s'éteindra dans sa 101ème année le 18 décembre 2019.
Pour ce que nous vous devons, grâce vous soit rendue chère dame.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1942: Les Petits Riens: Avec Cécile Sorel, Raimu et Fernandel
1946: On Demande un ménage: Avec Denise Grey, Jean Tissier et Gilbert Gil
1948: Si Jeunesse Savait: Avec Suzet Maïs et Jules Berry
1948: Lohengrin: Avec Antonio Casinelli et Renata Tebaldi
1950: La Taverna Dellà Liberta: Avec Umberto Spadaro
1951: La Vendetta di una Pazza: Avec Lida Baarova
1952: Les Sept Péchés Capitaux: Avec Noël-Noël et Louis de Funès
1955: Village Magique:( Vacances d'amour) Avec Lucia Bose et Robert Lamoureux
1955: Nana: Avec Martine Carol et Charles Boyer
1956: Si Paris nous était Conté: Avec Jean Marais