Comme Debbie Reynolds, trois ans plus tard, Jane Powell naît un premier avril. Le premier avril 1929, à Portland en Oregon. La petite demoiselle surgit sur les listes de l'état civil comme Suzanne Lorraine Bruce. Elle restera la fille unique de ses parents Paul et Eileen. Nous sommes dans un milieu modeste mais les époux Bruce ne manquent de rien. Eileen comme toute l'Amérique est littéralement folle de Shirley Temple. A deux ans elle inscrira sa petite fille aux cours de danse pour voir si, à tout hasard, elle aussi, n'aurait pas un peu de génie infantile. Et c'est le bingo! Le Saint Graal! L'enfant est douée! Elle est douée et elle adore ca! Il ne faudra plus attendre bien longtemps pour que la mère enchantée offre à sa fille aux cheveux raides comme des bâtons de mikado une permanente pour donner à sa tignasse désespérante l'aspect des illustres bouclettes à la Shirley. Des millions de petites fille subiront la même torture quitte à se retrouver chauves comme des œufs. Torture infligée par des mères ignorant hélas que les divines bouclettes de miss Temple étaient postiches. Notre petite Suzanne garda quelque poils sur le crâne et se révéla bientôt plus douée encore pour le chant que pour la danse.
A cinq ans la bambine roucoule déjà à la radio et le miracle tant espéré finit par arriver! Un découvreur de talent la "repère"
Hélas, le découvreur en question ne va pas dérouler sous les pieds menus les tapis rouges d'Hollywood! Elle ne sait pas danser, décrète il. Elle bougeotte. Elle ne sait pas chanter non plus elle fredonne. En Oregon ca impressionne peut-être mais à Hollywood ca fera plutôt sourire.
Il fut donc convenu que la future étoile suivrait une formation intensive donnée par le découvreur de talents lui-même au métier de star de cinéma... A Oakland.
Les parents de Suzanne n'ont jamais douté un instant ni du talent de leur petite fille ni de son envie de faire ce métier et d'y réussir. Paul abandonne son travail après 14 ans de bons et loyaux services et la petite famille part d'installer dans un hôtel bon marché d'Oakland. Mais le rêve va vite tourner au cauchemar. Scotty Weston, le fameux découvreur de talents et coach pour stars en formation n'est pas un escroc mais il n' a pas que la petite Suzanne Bruce dans son portefeuille de découvertes. Il a loué une ancienne salle de bal désaffectée aussi sombre qu'humide pour donner ses leçons à des dizaines d'autres "jeunes espoirs". C'est le temps des désillusions, des vaches maigres et des conserves réchauffées en cachette dans la chambre, à même la boîte. Finalement la famille Bruce dépitée et sans un sou rentrera en Oregon où...Paul ne retrouvera pas de travail.
Ils frôlent l'indigence lorsque des anciens amis leur proposent in extremis d'occuper le poste de concierges dans un immeuble qu'ils possèdent. L'ironie du sort étant que les locataires qui entendent la petite fille chanter à tue-tête dans les couloirs font savoir à ses parents qu'ils trouvent absolument scandaleux qu'ils ne fassent rien pour la future carrière de cette enfant surdouée. Finalement ils se cotiseront tous pour offrir des cours de chant à la petite mascotte de l'immeuble adorée de tous!
A 12 ans, Suzanne est redevenue une petite vedette locale. Elle passe dans deux émissions de radio par semaine quand elle entre au lycée. Il faudra attendre l'été 1943 pour que la chance frappe enfin pour de bon à la porte de la famille Bruce. L'actrice à la retraite Janet Gaynor a son propre show radiophonique qui n'est autre que l'ancêtre des télé crochets actuels pour aspirants chanteurs. Suzanne Bruce y est inscrite à la faveur des grandes vacances que les Bruce passeront cette année là, pleins d'espoirs à Hollywood.
Et Suzanne gagne le concours haut la main!
Elle est donc présentée à la MGM pour un bout d'essai. Louis B. Mayer l'a entendue à la radio et l'homme ne s'est jamais remis d'avoir loupé Deanna Durbin. Il a dû se "contenter" de Judy Garland "Cette naine à la voix de négresse" comme il l'appelle. Il est tellement persuadé d'avoir mis la main sur son rossignol juvénile qu'il signe un contrat de 7 ans à la jeune Suzanne sans lui faire passer de bout d'essai. Pourquoi faire un bout d'essai puisque de toute façon il la flanque à son "école des jeunes talents" où elle se fera d'emblée une amie pour la vie de la jeune étudiante studieuse qu'est alors Elizabeth Taylor. C'est d'ailleurs parce qu'Elizabeth est très brune que la MGM fait de Suzanne une blonde! Et comme à la MGM on est d'un naturel prudent, un an plus tard, on prêtait la nouvelle recrue à la United Artist pour son premier film.
Si c'était un échec et qu'elle déplaisait au public autant que ce soit dans un film d'un autre studio.
Suzanne rentra au bercail avec les honneurs et garda comme pseudonyme le nom de son premier personnage: Jane Powell!
Jane connaîtra son premier grand succès personnel en 1948 ce sera "A Date with Judy" où elle joue la gentille fille à sa maman et Liz l'épouvantable garce "fille à papa"! Si Jane tourne peu pour la MGM c'est que le studio gère aussi sa carrière à la radio où elle est devenue une star. Qu'il faut aussi partager les rôles qui pourraient lui convenir avec son alter ego Debbie Reynolds et qu'enfin, pour parfaire son expérience, le studio trouve judicieux qu'elle fasse de la scène.
Elle va donc jouer des vaudevilles à travers tout le pays pendant que Liz se fait les ongles dans sa loge et que sa maman lui lit avec beaucoup d'émotion ses lettres d'admirateurs.
A la MGM tout le monde s'est littéralement entiché de Jane Powell. Elizabeth et Debbie bien sûr mais aussi leurs copains d'école Claude Jarman et Roddy MacDowall. Jeannette MacDonald la couve comme une poule son œuf et Esther Williams refuse de se marier si Jane ne chante pas à la cérémonie! Par contre, sous le coup d'un étrange maléfice, Lana Turner la hait.
Durant les années guerre, les plus grandes stars d'Hollywood sillonnaient le pays pour se faire admirer et accessoirement récolter des fonds. Un jour, au fin fond de l'Oregon, Lana Turner reçoit un bouquet de fleurs d'une jolie petite fille qui chante, à ravir pour elle. Plus tard, la petite fille devenue Jane Powell est donc engagée à la MGM, studio dont Lana est la reine. Un jour elles se croisent et Jane Powell raconte à Lana leur rencontre en Oregon. Et Lana "Ah bon? Je ne m'en souviens absolument pas!" Ce que Jane peut comprendre. Mais le lendemain, les deux actrices se croisent encore, elles tournent sur des plateaux voisins. Jane lance un grand bonjour à Lana et Lana de lui répondre "Qui êtes-vous? Je ne vous connais pas!" Chaque fois qu'elles vont se croiser, Jane dira bonjour à Lana et l'autre répondra "Qui êtes-vous? Je ne vous connais pas!" Un peu plus tard, Jane Powell regarde la télévision et Lana est reçue dans un talk show. Le présentateur la questionne sur les "jeunes vedettes de la MGM" et Lana "Oh! Elizabeth Taylor est vraiment la plus belle femme du monde avec ses yeux extraordinaires, je l'adore! Debbie Reynolds? Mais elle est adorable vraiment c'est un délice de la croiser au studio! Jane Powell? Qui est-ce? Je ne la connais pas du tout! Elle est à la MGM? Ah bon? Vous êtes sûr? Tiens?"
Tête de Jane Powell!
Le 5 Novembre 1949, Jane Powell épouse l'ancien champion de patinage artistique Gerhardt Anthony Steffen échoué à Hollywood dans le sillage de Sonja Henie. Il coach Jane qui doit chausser les patins dans un film et l'amour fait le reste. Jane renonce au protestantisme pour épouser l'élu de son cœur et devient catholique Liz est sa demoiselle d'honneur, elle sera celle de Liz lors de son mariage avec Nikki Hilton.
Le couple aura deux enfants. Gerhardt Anthony Steffen III qui vient au monde le 21 Juillet 1951. Suzanne "Sissy" Ilene Steffen pour sa part vient au monde le 21 Novembre, 1952. Durant son mariage et ses deux maternités, Jane Powell aura trouvé le temps de tourner quelques-uns de ses plus grands succès dont "Royal Wedding" dont elle est très fière et où elle danse six minutes sans coupures avec Fred Astaire en personne.
Malheureusement la petite famille se dissous dans un divorce prononcé le 6 Août 1953. Un divorce précédé d'un scandale énorme qui eut pour Hollywood tout d'un cataclysme. En plein cœur de l'été 1953, Jane Powell considérée comme l'épouse parfaite et la mère la plus admirable d'Hollywood quitte époux et marmaille adorée pour s'en aller filer le parfait amour avec Gene Nelson. La MGM qui travaille à la nouvelle image de Jane Powell qui passe de la gentille fifille de province à la parfaite épouse américaine s'offusque à un point tel qu'elle faillit être débarquée de son film en cours "Hit the Deck" au profit de Vera Ellen.
A l'heure de son divorce elle s'apprête à tourner son film le plus célèbre " Seven Brides for Seven Brothers". Avec Royal Wedding, ces deux seuls films suffisent déjà amplement pour l'inscrire à jamais dans l'histoire du cinéma, de Hollywood, de la MGM et de la comédie musicale.
Mais les préparatifs du film ne sont rien comparés au "chambard" que provoque la fugue de Jane dans la presse. Sous des dehors idylliques on apprenait benoîtement que le merveilleux mariage battait de l'aile depuis que la charmante Jane Powell était devenue une star de la MGM aussi platinée qu'adulée. Son mari chéri avait mal vécu l'ascension de Sonja Henie alors qu'il restait sur le carreau de l'anonymat et maintenant la même histoire se reproduisait. Dur pour l'égo du monsieur.
De son côté, Gene Nelson vit le même conflit conjugal. Il est arrivé à Hollywood flanqué de sa belle épouse Miriam avec qui il forme un couple de danseurs dans la lignée du couple Marge et Gower Champion. Miriam s'est effacée pour laisser Gene briller seul et se contente de répéter avec lui ses duos dansants. C'est Miriam qui répéta avec Gene les numéros de "Three sailors and a Girl" avant que de le laisser virevolter dans les bras de Jane. On cancana beaucoup sur le fait que non seulement Gene Nelson ressemblait très fort au mari délaissé de Jane mais qui de plus est, il était lui aussi un ancien partenaire de Sonja Henie. Reproduction de schéma clamèrent les une. Elle l'aime encore répondirent les autres.
Or, tout le monde allait en être pour ses frais.
Le film encore au montage, Le 8 Novembre 1954, Jane Powell épouse Patrick W. Nerney, un concessionnaire automobile neuf ans son aîné et accessoirement ex mari de l'actrice Mona Freeman avec qui il a une fille prénommée...Mona. Leur fille Lindsey Averill Nerney vient au monde le 1 février 1956. Ils divorceront en 1963.
Si Jane Powell connut une montée fulgurante de sa carrière durant son premier mariage, durant le deuxième les choses vont changer du tout au tout. Maintenant qu'elle a été deux fois mariée et qu'elle a trois enfants, elle n'est plus trop crédible dans les rôles de petites oies blanches chantantes qui ont fait sa gloire. Mais si à Hollywood on n'est pas aussi regardant quand il s'agit de faire durer au maximum les formules qui marchent, le cinéma a lui aussi bien changé. Les films sont de plus en plus chers à produire et les grandes comédies musicales qui ont fait la renommée de la MGM se démodent. Le studio ne sait plus que faire d'Esther Williams, de Cyd Charisse, de Kathryn Grayson, de Debbie Reynolds, de Gene Kelly, de Fred Astaire de Judy Garland. Il faut les reconvertir à tout prix. Et si June Allyson réussit parfaitement son passage au cinéma traditionnel ce n'est pas le cas de Jane Powell.
Une page s'est tournée un peu brutalement dans une bourrasque de Rock and Roll.
En 1958, Jane Powell qui a essayé de se survivre encore un peu abandonne définitivement le cinéma et s'engouffre à la télévision et surtout sur les plus prestigieuses scènes de Broadway où elle triomphera dans les plus grandes comédies musicales du répertoire américain.
En 1965, Jane Powell épousait James Fitzgerald qui resterait son mari dix ans.
Après ce troisième divorce viendrait le règne plus bref de David Parlour qui épousé en 1978 serait éradiqué en 1981.
Et puis viendrait le cinquième et ultime mariage en 1988. Jane retrouve par hasard un autre "ancien d'Hollywood, Dickie Moore qui fut un enfant star dès 1926. Et ce mariage là, durera jusqu'au 7 Septembre 2015 où Dickie Moore décède 5 jours avant de fêter ses 90 ans.
Jane Powell sera restée avec sa copine Debbie Reynolds une des dernières vétéranes des grandes comédies musicales MGM en activité puisqu'elle avait pris sa retraite en...2002!
Le 21 septembre 2021, Jane Powell s'éteignait paisiblement dans son sommeil. Sans souffrance et sans crainte. Sa vie était finie. Tout simplement. Elle avait 92 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
La filmographie de Jane Powell ci-dessous est à ma connaissance complète
1944: Song of the Open Road: Avec Bonita Granville et W.C. Fields
1945: Delightfully Dangerous: Avec Constance Moore et Ralph Bellamy
1946: Holiday in Mexico: Avec Walter Pidgeon et Ilona Massey
1948: A Date with Judy: Avec Elizabeth Taylor et Carmen Miranda
1948: Luxury Liner: Avec George Brent
1948: Three Daring Daughters: Avec Jeanette MacDonald et José Iturbi
1950:Nancy Goes to Rio: Avec Ann Sothern, Carmen Miranda et Barry Sullivan
1950: Two Weeks with Love: Avec Ricardo Montalban
1951: Royal Wedding: Avec Fred Astaire et Peter Lawford
1951: Rich, Young and Pretty: Avec Danielle Darrieux et Wendell Corey
1953: Small Town Girl: Avec Farley Granger et Ann Miller
1953: Three Sailors and a Girl: Avec Gordon MacRae et Gene Nelson
1954: Seven Brides for Seven Brothers: Avec Howard Keel
1954: Deep in My Heart: Avec Gene Kelly, José Ferrer et Merle Oberon
1954: Athéna: Avec Debbie Reynolds, Vic Damone et Edmund Prudom
1955: Hit the Deck: Avec Tony Martin, Debbie Reynolds et Ann Miller
1958: Enchanted Island: Avec Dana Andrews
1958: The Girl Most Likely: Avec Cliff Robertson
1958: The Female Animal : Avec Hedy Lamarr et Jan Sterling
1975: Marie: Avec Sissy Spaceck
1999: Picture This: Avec Melissa Errico et Valerie Perrine