
Louise Beavers est une véritable star n’en déplaise aux esprits chagrins qui ne verront en elle qu’un sempiternel second rôle. N’en déplaise aussi à ceux qui lui reprochèrent vertement et tout au long de sa carrière de n’interpréter que des rôles de femmes noires inféodées aux héros blancs du film. Qu’elle soit leur bonne, leur nounou ou…Leur esclave. Ces détracteurs étant généralement eux-mêmes noirs.
Comme si Louise Beavers était à l’origine de la ségrégation aux Etats-Unis.
Il est communément admis de considérer comme un acte de bravoure de la part de Billie Holiday d’avoir quitté Hollywood après son premier et dernier film, outrée de l’image que donnait la cité du film de la condition noire en Amérique. Nier la réalité et fuir pour s’enfoncer le nez dans le sable blanc des night-clubs new-yorkais est il vraiment plus brave que d’affronter les choses en face? Les montrer telles qu’elles sont? Passer sa vie à tenter de faire évoluer les mentalités? Ce que fit brillamment miss Beavers. Que je sache, miss Holiday n’a pas trouvé particulièrement outrageant de ne pouvoir se produire…Qu’à Harlem!

Louise Ellen Beavers vient au monde le 8 Mars 1902 à Cincinnati dans l’Ohio. Et ce n’est pas parce que la ségrégation n’existe pas officiellement au nord-est du pays que le racisme n’existe pas. Ses parents, Ernestine et William ont quitté leur Géorgie natale pour s’installer « a la ville ». Ils sont enseignants. Enseignants noirs pour noirs comme on l’imagine. Si la ségrégation n’existe pas officiellement quelle famille blanche ferait éduquer ses pâlichons bambins par des enseignants noirs, je vous le demande?
Ernestine, la maman de Louise est de santé fragile et le médecin de famille, noir lui aussi, conseille un déménagement vers le climat plus salutaire de la Californie.
Les Beavers quitteront Cincinnati pour Pasadena. C’est là que Louise terminera ses études, partageant son temps libre entre le sport et la chorale de l’église.
A vingt ans, la jeune Louise, déjà ronde, cherche du travail et si aujourd’hui on s’arrache les cheveux pour savoir comment la jeune femme débuta au cinéma, j’ai le plaisir de livrer la solution trouvée par hasard dans la presse d’époque.
Louise a trouvé un travail comme habilleuse pour un photographe. A l’époque c’est plutôt chic d’avoir une domesticité noire en cuisine, dans la nursery, derrière le volant de la Packard et bien sûr au vestiaire de ces dames. Louise étrangement, excelle dans son emploi, elle sait être charmante, conviviale, mettre ces dames à l’aise, les dérider devant l’objectif d’une plaisanterie charmante et bien sûr encenser leur blanche beauté. Car Louise, voyez-vous, n’est pas raciste. Elle.

C’est ainsi qu’elle se retrouve sur le plateau de « Chercheuses d’Or » en 1923, comme habilleuse, mise sur l’opportunité par une actrice du chorus.
Le film se tournait chez Warner. Ce genre de films n’était pas la spécialité du studio. On manquait de personnel dans les back stages. Louise se présenta, fut engagée sur le champ, fut parfaite, se fit apprécier avec naturel de tout le monde à commencer par la star Louise Fazenda.
Des loges elle glissa sur le plateau pour quelques apparitions dans son propre rôle, celui de l’habilleuse de ces dames. Il serait cependant faux de croire qu’elle transcenda l’écran et que ce fut là le premier pas d’une carrière fulgurante.
On ne la reverra pas à l’écran avant…1927, soit 4 ans plus tard.
Louise qui avait continué son travail d’habilleuse se laissa convaincre de passer un test pour « La Case de l’Oncle Tom » qui nécessitait des acteurs de couleur. Nous étions en 1927, ce furent ses vrais débuts. En 1929 elle connaissait enfin un premier succès personnel en étant la bonne de Mary Pickford dans « Coquette », film qui vaudra son Oscar à Mary.
Hollywood qui n’avait su que faire d’elle en 1928 s’en entiche et lui fait tourner sept films en 1929 dans la foulée du succès de « Coquette ». Louise va devenir la matrone noire officielle de la PARAMOUNT.

On va alors lui reprocher comme je l’ai dit de servir la soupe aux blancs dans les films et de ne jouer que les domestiques de ces dames. Et ce qui est pire, de les jouer dans la bonne humeur.
Mais Louise est fine mouche. Elle sait parfaitement que si elle refuse ces rôles elle n’en obtiendra pas d’autres et que des millions de femmes noires de tout âge et de tout acabit se rueront pour prendre sa place. La condition des noirs dans le cinéma américain n’est pas, c’est vrai, particulièrement valorisante.
Mais le cinéma n’invente pas la société, il la reflète. Il la reflète et lui correspond. Déserter la Paramount par conviction, s’en aller au chômage par choix voilà bien un désidérata grotesque émis par des gens qui ne sont pas concernés.
Qui parmi ses détracteurs aurait craché sur un salaire PARAMOUNT?
Au contraire, en vivant confortablement du cinéma, en faisant un métier passionnant parmi les gens les plus célèbres du monde, Louise va réussir à changer quelques mentalités. L’actrice a une véritable présence et son personnage marche tout de suite, dès qu’elle entre dans le champ. Sa bonne humeur est communicative et comme l’écrira fort justement un critique: "On n’admire pas Louise Beavers comme une actrice, on l’aime comme une véritable amie" .

Louise Beavers a une véritable cote de sympathie auprès du public. Bientôt il sera hors de question de la maltraiter voire même d’être impoli avec elle à l’écran ou de lui donner des ordres d’un ton sec. Dorénavant ses patrons de cinéma lui parleront avec déférence. C’est avec respect que ces dames, et non des moindres la regarderont ranger leur petit linge fin.
On verra Louise au service de Louise Fazenda, Mary Pickford, Carole Lombard, Dolores Costello, Claudette Colbert, Jean Harlow, Mae West, Constance Bennett, Myriam Hopkins, Myrna Loy, Jeanette Macdonald, Joan Crawford, Gene Tierney, Belle Bennett, Lucille Ball, Ginger Rogers, Betty Grable et bien d’autres.
Un pas énorme est franchi. On n’avait pas encore pensé en Amérique à être polis avec la domesticité noire. Mais dans les années 30 Hollywood étant l’exemple même du savoir vivre et de la distinction pour tous les américains, on allait y songer.

Et puis Louise Beavers étant une actrice très appréciée du public et des acteurs à qui elle donne la réplique; la PARAMOUNT va songer à étoffer ses rôles. De domestique poliment traitée elle deviendra domestique confidente, domestique compréhensive et enfin domestique qui vient en aide à ses patrons qu’elle aime sincèrement et qui le lui rendent bien.
En 1934, le studio saute le pas en étant de la première version de « Imitation of Life » avec Claudette Colbert où Louise à un rôle d’égale importance à celui de Claudette. Et surtout, pour la première fois, les problèmes personnels de son personnage sont non seulement évoqués mais traités avec autant d’intérêt que ceux de Claudette.
Que Louise Beavers n’ai pas été nommée aux Oscar pour sa prestation faillit provoquer si pas une guerre civile au moins des émeutes à Hollywood! La presse prendra le parti de la laissée pour compte. Du jamais vu!
Prendre la défense d’une femme noire face à une institution blanche!
Entre Louise et les Oscar, l’opinion choisit Louise!
On pourra lire en gros titres: « L’Académie des Oscars refuse de nommer une actrice noire! » et en très grosse lettres juste au dessus on lisait SHAME! En 1939 l’académie ne commettra pas la même erreur et se dépêchera de couronner Hattie MacDaniel pour « Autant en Emporte le Vent ».

Quant à Louise, son statut aura complètement changé. Non seulement elle aura pu renégocier très avantageusement son contrat PARAMOUNT et exiger 20 semaines par an de liberté pour faire du théâtre mais sans même qu'elle le demande, son salaire a été revu très nettement en conséquence de sa popularité.
Mae West quant à elle lui écrit même quelques répliques d’anthologie pour « Lady Lou »
-Louise: Je n’aimerais pas être arrêtée dans la rue sans jupons par un policier! »
-Mae: « Pourquoi? Tu préfèrerais par un pompier? »
Il suffit de revoir « Le Lien Sacré » avec Carole Lombard et James Stewart pour se convaincre de l’évolution de Louise et avec elle, celle de sa condition de femme noire au cinéma. Carole est flanquée d’une belle mère revêche avec tout le monde et odieuse avec Louise, ce qui heurte vivement Carole. Ensuite, Carole et James, désargentés, doivent se passer des services de leur bonne. Louise prend donc son congé, non sans avoir refilé à Carole, un journal ouvert à la page des offres d’emploi. « Pourquoi n’essayez-vous pas? Travailler n’ a jamais tué personne, vous savez! » On assiste alors à cette scène inenvisageable cinq ans plus tôt: La nuit de Noël, le couple blanc, fauché comme les blés n’a rien à se mettre sous la dent et Carole réveillonne en contemplant la tête de sa belle-mère qui tricote. Soudain on sonne, c’est Louise, hilare en robe du soir de satin doré, qui part réveillonner avec sa ribambelle de joyeux amis et qui a songé à son ancienne patronne qu’elle aimait sincèrement et qui lui apporte dinde aux marrons et champagne frappé! On voit donc le couple de patrons qui vit la descente aux enfers de la médiocrité après le départ de Louise qui de son côté a visiblement vu ses affaires prospérer.
A la fin des années 40, ce sera sa marque de fabrique: La domestique rigolote qui sauve ses patrons des situations les plus désastreuses grâce à son courage, son dévouement son bon cœur et…sa finesse d’esprit!

Cela étant dit, j’ignore si tous les « bons amis d’Hollywood » de Louise assistèrent à son mariage en 1936 avec Robert Clark. J’ignore d’ailleurs si elle les avait invités.
Robert deviendra le manager de Louise. Ils divorceront, se remarieront et divorceront pour de bon. Louise se remariera ensuite avec un certain monsieur Leroy Moore en 1952.
Sa carrière va continuer de manière ascendante même si elle ne retrouvera pas au cinéma de rôle aussi fort que celui d’Imitation of Life.
Hollywood n’est pas seule responsable de cet état de fait qui cantonne Louise au même type perpétuel de rôles. Les Etats du sud ne veulent pas voir de noirs à l’écran. Les numéros de Léna Horne sont enlevés des comédies musicales où elle paraît et lorsque l’on adapte un roman dont les héros et surtout les héroïnes sont noirs, on n’hésite pas à confier le rôle à Jeanne Crain ou Gene Tierney. Dans la seconde version d’Imitation of Life, si le rôle de Louise est repris par une actrice noire, le rôle de sa fille métisse est tenu par Susan Kohner pâle comme un linge dans une publicité de poudre à lessiver.
S’il faudra attendre Sidney Poitiers pour ouvrir quelques autres portes, il est incontestable que c’est Louise qui a ouvert la porte à Sidney!
N’avait-elle pas obtenu un premier rôle dès 1938 dans « Live Goes On »?

Les exploits de Louise Beavers ne vont pas s’arrêter là. Elle s’en ira tester sa popularité à la télévision et aura le grand privilège de devenir « Beulah », l’héroïne de la première sitcom « noire ». Beulah, un personnage créé à la radio puis à la télévision par…Hattie MacDaniel.
Hattie avait cédé son rôle à Louise peu avant sa mort, épuisée par le cancer du sein qui la rongeait.
Lorsque Louise s’éteindra le 26 Octobre 1962, la presse titrera « Beulah is Dead » tant la popularité de l’actrice dans le rôle de Beulah avait atteint des sommets.
Louise Beavers avait beaucoup joué de son embonpoint dont elle faisait un élément drolatique au service de son personnage. Elle avait fini par en payer les conséquences. Son obésité avait altéré sa santé.
Louise Beavers souffrait déjà du diabète lorsque son cœur usé l’abandonne à seulement 60 ans.
Dix ans plus tôt, jour pour jour, le 26 Octobre 1952, Hattie MacDaniel s’était éteinte
Celine Colassin.

QUE VOIR?
1923: Gold Diggers 1923: Avec Louise Fazenda et Hope Hampton
1927:Uncle Tom’s Cabin: Avec Margarita Fischer
1928: Oriental Hugs (court métrage) Avec Vera Steadman
1929: Election Day:(Court métrage) Avec la bande de « Our Gang »
1929: Coquette: Avec Mary Pickford
1929: Barnum as Right: Avec Merna Kennedy et Glenn Tryon
1929: Wall Street: Avec Aileen Pringle
1929: THunderbold: Avec Fay Wray et Richard Arlen
1929: Glad Rag Doll: Avec Dolorès Costello et Ralph Graves
1929: Gold Diggers of Broadway: Avec Nancy Welford
1930: Recaptured Love: Avec Belle Bennett, John Halliday et Dorothy Burgess
1930: Our Blushing Brides: Avec Joan Crawford, Anita Page et Robert Montgomery
1931: Six Cylinder Love: Avec Sidney Fox et Spencer Tracy
1931: Annabelle’s Affairs: Avec Jeanette Macdonald et Victor MacLaglen
1932: The Expert: Avec Loïs Wilson et Dickie Moore
1932: Unashamed: Avec Helen Twelvetrees, Robert Young et Lewis Stone
1932: Young America: Avec Doris Kenyon et Spencer Tracy
1932: Hesitating Love (court métrage) Avec Louise Fazenda et Marie Prévost
1932: It’s Tough to be Famous: Avec Mary Brian et Douglas Fairbanks jr.
1932: What Price Hollywood: Avec Constance Bennett
1933: 42nd Street: Avec Bebe Daniels, Ruby Keeler et Ginger Rogers
1933: Her Bodyguard: Avec Wynne Gibson et Edmund Lowe
1933: The Story of Temple Drake: Avec Myriam Hopkins
1933: Jimmy and Sally: Avec Claire Trevor et James Dunn
1933: Lady Lou: Avec Mae West et Cary Grant
1933: Bombshell: Avec Jean Harlow et Frank Morgan
1933: Pick-up: Avec Sylvia Sidney et Georges Raft
1934: Bedside: Avec Jean Muir
1934: Merry Wives to Reno: Avec Glenda Farrell
1934: I Belived in You: Avec Rosemary Ames et John Boles
1934: Imitation of Life: Avec Claudette Colbert et Rochelle Hudson
1935: Annapolis Farewell: Avec Rosalind Keith et Guy Standing
1936:Bullets or Ballots: Avec Joan Blondell et Edward G. Robinson
1937: Make Way for Tomorrow: Avec Fay Bainter et Beulah Bondi
1938: Life Goes On: Avec Edward Thompson
1938: Brother Rat: Avec Priscilla Lane et Wayne Morris
1939: Made for Each Other: Avec Carole Lombard et James Stewart
1940: Primerose Path: Avec Ginger Rogers et Marjorie Rambeau
1941: Belle Starr: Avec Gene Tierney, Dana Andrews et Randolph Scott
1941: Shadow of the Thin Man: Avec Myrna Loy et William Powell
1942: Young America: Avec Jane Withers et Jane Darwell
1942: Reap the Wild Wind: Avec Paulette Goddard, Susan Hayward et John Wayne
1942: Holiday In: Avec Marjorie Reynolds, Fred Astaire et Bing Crosby
1943: Top Man: Avec Susanna Foster et Donald O’Connor
1943: Du Barry Was a Lady: Avec Lucille Ball, Gene Kelly et Red Skelton
1943: Jack London: Avec Susan Hayward, Virginia Mayo et Michael O ‘Shea
1944: Hollywood Parade: Avec Marlène Dietrich et Orson Welles
1945: Delightfully Dangerous: Avec Constance Moore et Ralph Bellamy
1946: Lover Come Back: Avec Lucille Ball et George Brent
1948: Mr. Blandings Builds His Dream House: Avec Myrna Loy et Cary Grant
1948: Good Sam: Avec Ann Sheridan et Gary Cooper
1949: Tell It to the Judge: Avec Rosalind Russell et Robert Cummings
1950: My Blue Heaven: Avec Betty Grable et Don Dailey
1950: Girl’s School: Avec Joyce Reynolds et Ross Ford
1950: The Jackie Robinson Story: Avec Jackie Robinson et Ruby Dee
1952: I Dream of Jeanie: Avec Muriel Lawrence
1952: Colorado Sundown: Avec June Vincent, Rex Allen et le cheval Koko
1953: Never Wave at a WAC: Avec Rosalind Russell, Marie Wilson et Paul Douglas
1956: Good-Bye my Lady: Avec Sidney Poitiers et Walter Brennan
1956: Teenage Rebel: Avec Ginger Rogers, Michael Rennie et Mildred Natwick
1956: You Can’t Run Away from It: Avec June Allyson et Jack Lemmon
1957: Tammy and the Bachelor: Avec Debbie Reynolds, Walter Brennan et Leslie Nielsen
1958: The Doddess: Avec Kim Stanley et Lloyd Bridges
1960: All the Fine Young Cannibals: Avec Natalie Wood et Susan Kohner
1960: The Facts of Life: Avec Lucille Ball, Ruth Hussey et Bob Hope