La guerre, toujours la guerre comme un leitmotiv du XXème siècle aura fait naître autant de carrières qu’elle en aura brisées et aura eu une influence sur toutes les autres.
La très belle Madeleine Lebeau est peut-être une de celles qui aura eu le plus à s’en plaindre. Elle venait enfin de tourner son tout premier film, sous la direction d’Abel Gance, s’il vous plaît, lorsque la vindicative déferlante teutonne envahit Paris.
Il fallait fuir et ranger les rêves de gloire au placard.
Marie-Madeleine Berthe Lebeau vient au monde le 10 Juin 1923 à Anthony dans les Hauts de Seine.
Madeleine naît dans un foyer modeste. Papa qui mourra alors qu’elle est encore une enfant est menuisier, sa maman une mère au foyer.
La petite fille rêve de cinéma et grandit en beauté. A 16 ans lorsqu’elle supplie sa maman de la laisser tenter sa chance au cinéma, celle-ci n’a pas le cœur de refuser . A condition que ce soit fait sérieusement et que Madeleine soit une « dame » comme Marcelle Chantal, pas une « poule » comme il y en a tant sur les écrans et tout autour!
Nous sommes en 1939, Madeleine entre au cours René Simon, y rencontre Marcel Dalio qu’elle épouse le 10 Octobre 1939. C’est bien le moment de convoler avec un acteur israélite de 24 ans son aîné et très fraîchement divorcé de Jany Holt.
« Jeunes Filles en Détresse », le film de Marcelle Chantal où Madeleine a fait une vague apparition et où débutait également Micheline Presle n’est pas encore sorti qu’il faut fuir.
Dalio prend possession de sa nouvelle Delahaye aux ateliers du carrossier Chapron et les jeunes mariés prennent la route de Biarritz. A Biarritz ils abandonneront leur Delahaye à peine rodée, Gabin pour sa part abandonnant sa nouvelle Buick de la même manière mais en laissant son épouse Doriane dedans.
Ils passeront en Espagne et d’Espagne au Portugal où ils devront attendre un visa. Ensuite ce sera le Canada, New-York et enfin Hollywood.
Il y a déjà à Hollywood une importante communauté de réfugiés et une importante colonie française où l’on trouve Charles Boyer, Victor Francen, Michèle Morgan et Jean Gabin. Le tout étant quand même sous la bienveillante surveillance allemande en la personne de miss Dietrich.
Marcel Dalio déjà célèbre en France n’a pas de mal à débuter en Amérique. Mais pour Madeleine c’est une autre paire de manches. fabuleusement belle, elle est tout aussi fabuleusement inconnue et parle l’anglais à peu près comme un pot de géraniums tyroliens!
Son couple avec Dalio se délite peu à peu, elle réussit à faire un peu de cinéma grâce à ses amis français qui l’imposent sur leurs films. C’est grâce à Victor Francen qu’elle chante « la Marseillaise » dans « Casablanca », film où elle croise celui qui est encore son mari mais s’est bien gardé de la faire engager sur le film. Ils se retrouveront encore en 1943 sur le plateau de « Paris After Dark ».
Le tournage de Casablanca est pour le moins épique.
Le scénario s’écrivant au fur et à mesure, ce qui rend Ingrid Bergman folle. Le soir, Madeleine raconte les dernières péripéties de plateau à Michèle Morgan qui s’ennuie beaucoup à Hollywood et qui a refusé le rôle dévolu à Ingrid.
Il arrivera d’ailleurs une mésaventure aux deux amies françaises exilées qu’elles n’oublieront jamais.
Michèle, désœuvrée a suivi le conseil d’amis et s’est acheté un terrain où elle fait construire une maison de style « cottage normand ». Cette maison fera d’elle la voisine de Greta Garbo. Mais Michèle est inquiète, sa maison lui semble hostile. Elle ne peut même pas y garder de chiens qui se montrent très vite agressifs.
Elle s’en ouvre à Madeleine qui comme à son habitude rigole bien à l’idée. Michèle l’invite à dîner dans sa fameuse maison enfin terminée. Alors que les deux amies papotent, le service ne suit pas.
Le couple de domestique, oubliant ses fonctions s’est enivré à la cuisine. Et lorsque Michèle s’en inquiète, le couple entre dans une fureur éthylique sensationnelle et les deux françaises n’ont que le temps de prendre leurs jupes à leur cou pour filer dare-dare se réfugier dans la colline poursuivies par le couple armé de couteaux à viande.
La maison de Michèle se rappellera à sa mémoire en étant le théâtre du massacre de Sharon Tate et ses invités par la tribu Mansion en 1969. les deux amies n’évoqueront plus l’épisode jusqu’à ce que Michèle le relate dans ses mémoires. Mais jusqu’à la fin, elle se demandera s’il est possible qu’une maison ne soit pas hantée par son passé mais par son futur.
Le reste du temps, Madeleine fait comme tout le monde à Hollywood, elle se console avec un millionnaire à savoir Paul Getty en personne!
En 1946, Madeleine rentre d’Hollywood, sans rancune mais sans y avoir brillé d’une quelconque manière. « Casablanca » n’est pas encore devenu le très grand classique du cinéma qu'il sera aux yeux des générations futures.
Madeleine en a surtout retenu cette étrange ressemblance entre le scénario et sa propre vie puisque les personnages de Casablanca ont fui le nazisme et sont bloqués à Casablanca en attente d’un passeport pour l’Amérique. C’est trait pour trait son histoire si ce n’est qu’elle attendait à Lisbonne et non Casablanca et que Bogart n’y tenait pas un bar!
Son retour en France lui faut d’être choisie pour donner la réplique à l’acteur le plus en vogue du moment: Jean Marais dans « Les Chouans ».
Pourquoi Madeleine? Sans doute parce que le sort des grandes vedettes d’avant guerre n’est pas encore très décidé dans l’esprits des professionnels du cinéma et que les nouvelles venues ne sont pas encore assez sûres de durer.
C’est un film très cher, Madeleine rentre blonde d’Hollywood mais les films qu’elle y a tournés ne sont pas encore sortis en France. L’engage t-on parce que l’on croit que la sortie de ses films américains en fera une superstar ou simplement parce qu’elle est sublime et convient parfaitement au rôle? Je l’ignore.
Si j’évoque cette éventualité d’un pari sur la qualité des films américains de Madeleine Lebeau, c’est parce qu’après « Les Chouans », lorsque ces fameux films sortiront et que Madeleine ne s’y montrera que peu, on ne lui fera plus ce genre de propositions ultra prestigieuses.
Peu de choses méritent que l’on s’attarde après « Les Chouans ». Madeleine est une actrice parmi d’autres, sans doute un peu plus belle.
Et puis il faut dire aussi qu’après « Les Chouans » elle est partie pour un nouvel exil. Londonien cette fois. Elle était partie tourner « Cage of Gold » avec Jean Simmons et se déclarait ravie. « J’ai enfin tenu un rôle qui me convient parfaitement! Celui d’une femme normale! » C’est agréable de savoir qu’au fond il y a quand même une place pour vous dans le cinéma! » Puis elle ajoutait « Il paraît que je suis difficile à distribuer car j’ai toujours l’air un peu triste et mélancolique mais que ma voix grave ne colle pas à l’image que je donne. Et comme je n’arrête pas de rire, ca complique encore les choses je crois! »
Madeleine qui était une des plus belles femmes de son temps était retournée vivre avec sa maman à la campagne après Hollywood et lorsqu’elle ne tournait pas elles chinaient des livres précieux à lire le soir à la flambée.
« J’ai dit que je ne me marierais plus jamais mais je n’ai pas dit que j’entrerais au couvent! Si un beau garçon pas trop compliqué et facile à vivre croise ma route, je ne dis pas non mais ces oiseaux là sont rares! »
Elle fera la rencontre de l’oiseau rare sur un plateau de série B. Clément Duhour qui sera le père de sa fille et restera mieux connu pour avoir fait beaucoup d’usage à Viviane Romance qui n’allait pas tarder à mettre le grappin dessus.
En 1956 Madeleine se maria bien bourgeoisement avec l’industriel Marcel Guez mais ce mariage fut court. Trois ans à peine.
Madeleine Lebeau aurait pu s’effacer tout à fait du paysage cinématographique de son époque d’autant qu’elle fit partie de celles que la nouvelle vague voua aux gémonies.
Le meilleur souvenir que l’on gardera peut-être d’elle dans le cinéma des années 50, c’est son rôle dans « La Parisienne » où elle est la rivale de…Brigitte Bardot et révèle un sens du comique assez sensationnel.
Dans « Une Parisienne » Brigitte Bardot a contraint Henri Vidal dragueur impénitent à l’épouser. Il invite sa maîtresse Madeleine Lebeau à déjeuner pour rompre avec elle. Brigitte Bardot a promis d’être absente mais revient espionner. Furieuse de ce qui se passe à table, elle prend la place de la bonne comme dans n’importe quel vaudeville
Bardot: « On s’excuse à la cuisine mais la mayonnaise a tourné! »
Lebeau: « Ta bonne s’habille chez Balmain! »
Vidal: « C’est pas ma bonne c’est ma femme! »
Lebeau: « Tu as épousé ta bonne? »
« Vidal: Brigitte je t’interdis! Retourne à la cuisine immédiatement! »
Lebeau: « M’enfin ce n’est pas parce que tu as épousé ta bonne que tu dois lui parler sur ce ton! »
Vidal: « Brigitte qu’est-ce que tu fais? »
Bardot: « Je rends mon tablier! »
Lebeau: « Bravo, madame! faites-le cocu, c’est tout ce qu’il mérite! »
Le film très soigné reste fort sympathique à voir et il reste un des meilleurs souvenirs de tournage de Brigitte Bardot.
Madeleine finira sa carrière ou peu s’en faut dans « Angélique marquise des Anges » mais se sera quand même montrée dans « Le Chemin des Écoliers » avec Delon, Brialy et Bourvil.
En 1962 elle aura eu sa revanche à la fois sur la vie et le cinéma.
Fellini la choisit pour un rôle dans « Huit et Demi » et sur le tournage elle tombe follement amoureuse du dialoguiste de Fellini Tullio Pinelli de 15 ans son aîné. Ces deux-là s’aimeront pour la vie. Ils sont ensemble depuis déjà 26 ans lorsqu’ils se marient et ils resteront unis jusqu’à la mort de Tullio en 2009 à l’âge de…100 ans!
Ils étaient ensemble depuis 47 ans. Le couple s’était installé en Italie et Madeleine s’était laissée oublier par le cinéma depuis bien longtemps. Même si, la Marseillaise » de « Casablanca » fait qu’on ne l’oubliera jamais tout à fait.
Le 1 mai 2016, Madeleine s’éteignait en Andalousie à l’âge vénérable de 92 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1939: Jeunes Filles en Détresse: Avec Marcelle Chantal et Jacqueline Delubac
1941: Hold Back the Dawn: Avec Paulette Goddard, Olivia de Havilland et Charles Boyer
1942: Casablanca: Avec Ingrid Bergman et Humphrey Bogart
1942: Gentleman Jim: Avec Alexis Smith et Errol Flynn
1943: Paris After Dark: Avec Brenda Marshall et Georges Sanders
1944: Music for millions: Avec June Allyson et Margaret O’Brien
1947: Les Chouans: Avec Jean Marais
1948: Le Secret de Monte Cristo: Avec Pierre Brasseur et Marcelle Derrien
1950: Et moi j’te dis qu’elle t’a fait d’l'œil! Avec Bernard Lancret
1950: Cage of Gold: Avec Jean Simmons et David Farrar
1951: Dupont Barbès: Avec Henri Vilbert
1952: Fortuné de Marseille: Avec Henri Vilbert et Lisette Lebon
1953: L’Aventurière du Tchad: Avec Jean Danet
1953: Légère et court vêtue: Avec Jacqueline Pierreux et Jean Paradès
1954: Si Versailles m’était Conté: Avec Paulette Goddard, Nicole Courcel et Danièle Delorme
1954: Quai des Blondes: Avec Barbara Laage et Michel Auclair
1954: Cadet Rousselle: Avec Dany Robin et François Perier
1955: La Pícara Molinera: Avec Carmen Sevilla
1955: Napoléon: Avec Raymond Pellegrin et Clément Duhour
1956: Le Pays d’où je viens: Avec Françoise Arnoul et Gilbert Bécaud
1957: Une Parisienne: Avec Brigitte Bardot et Henri Vidal
1958: La Vie a Deux: Avec Sophie Desmarets, Fernandel et Robert Manuel
1959: Le Chemin des Ecoliers: Avec Françoise Arnoul, Alain Delon et Jean-Claude Brialy
1962: Huit et Demi: Avec Anouk Aimée, Marcello Mastroianni et Claudia Cardinale
1964: Angélique, Marquise des Anges: Avec Michèle Mercier
1965: La Vuelta: Avec Perla Cristal