Mademoiselle Marfa Dhervilly…Ce nom, naguère prestigieux ne dit plus rien à personne, fût-ce le plus averti des cinéphiles. Et le drame de cette comédienne qui fut une des très grandes dames de son temps est que cet oubli profond comme une tombe se referma sur elle de son vivant.
L’été 1963 vit fleurir un entrefilet dans la presse spécialisée du cinéma, un entrefilet d’un genre particulier:
« Marfa Dhervilly est une comédienne bien oubliée aujourd’hui, elle fut pourtant la star talentueuse de dizaines de films souvent charmants. Aujourd’hui, Marfa a 86 ans et finit sa vie seule, oubliée de tous et dans le plus profond dénuement d’une maison de retraite pour indigents. C’est pourtant moins d’argent que de présence amicale dont elle a crûment besoin. Si quelques uns qui la connurent pouvaient lui envoyer un petit mot d’amitié, la grisaille de sa triste vieillesse s’en trouverait probablement illuminée.
Elle n’eut probablement pas le temps de recevoir ces messages si messages s’il y eut.
En Novembre elle en avait enfin fini avec sa vie.
Marthe Jenny Dutreix vint au monde à Paris le 9 Novembre 1876. Il est bien entendu impossible aujourd’hui de retrouver trace des jeunes années de la plus oubliée des reines de Paris. Car Marfa fut bel et bien une reine de Paris et côtoya les Guitry, le père et le fils ensuite ainsi que l’illustre Sarah Bernhardt…Avant la grande guerre!
Marfa avait 24 ans en 1900 et fut parmi les curieux qui assistèrent à l’inauguration de la …tour Eiffel. Elle avait 13 ans et la chose fort décriée des esthètes se nommait alors « la tour de trois cent mètres »!
Brièvement mariée à Saturnin Fabre, Marfa Dhervilly sera une véritable grande dame des planches. Le théâtre de la Scala sera immensément fier d’avoir à son programme la star dans « Princesse Dollars » pour les réveillons de 1912. Elle attendra encore dix ans pour débuter au cinéma à la demande de son ami René Clair qui souhaite la diriger dans « Prix de Beauté ». Lequel est décerné dans le film à Louise Brooks qui n’est pas encore alors l’icône que l’on sait. Marfa a déjà 46 ans à l’époque. Les grandes heures de sa beauté sont passées mais son prestige est immense et elle s’est faite une spécialité des personnages de très grandes mondaines qui lui vont à ravir.
Mais parce que René Clair se brouille avec ses producteurs, le film lui échappe. Plusieurs metteurs en scène s’attèleront à sa réalisation. A chaque changement le rôle de Marfa se réduit puis se fait encore élaguer à la sonorisation du film. L’expérience l’ayant, tout comme ses amies Sarah Bernhardt et Mary Marquet profondément dégoûtée, elle jura bien de ne plus jamais se faire filmer et il faudra quatre ans pour la persuader de se montrer à nouveau sur les écrans. La grande dame des planches finira par se piquer au jeu d’un cinéma devenu parlant. Après avoir hurlé d’épouvante à chaque scénario proposé, elle va tourner, telle une boulimique de pellicule, dix films en 1931!
Elle gardera un rythme de croisière très accéléré et apparaîtra sur les écrans à la même cadence jusqu’à l’entrée en guerre de la France en 1940. Elle n’a jamais hésité à clamer haut et fort son mépris d’Hitler, de sa politique et de ses sbires. Elle fera partie de l’aventure hautement risquée du film « Après Mein Kampf, Mes Crimes » et reste dans le Paris occupé la plus effrontée des opposantes à l’occupant avec sa jeune amie Hélène Perdrière.
Deux « sorties » de la star furent célèbres en leur temps. Alors qu’un officier Allemand, très admiratif devant son altière présence la salua d’un tonitruant « Heil Hitler », elle se retourna, regarda derrière elle plus lança d’un profond dédain « Vous avez la berlue mon ami, vous me confondez!‘ Et a un autre qui la menaça d’un « Madame je vous préviens! » elle répondit d’un « Monsieur je vous emmerde »
La secrétaire de Sacha Guitry se souvient dans ses mémoires de l’admiration que le maître portait à Marfa, admiration héritée de son père.
A la lecture de d’un texte de Guitry, Marfa se serait exclamée « Je suis pillée! »
Mais son attitude hautement cocardière ne fera pas d’elle une artiste dont la présence est souhaitée dans le paysage culturel français des années guerre. Trop célèbre pour être déportée ou fusillée sur le champ, Marfa sera mise à l’index.
Paris libéré, très occupé à la tonte des demoiselles ne pensera pas à rendre à la star de bientôt 65 ans sa place d’autrefois. Le souvenir de l’altière mondaine va s’effacer dans la joie de la liberté retrouvée. Elle reprendra le chemin des plateaux de cinéma, mais tournera de moins en moins des rôles de plus en plus courts. Bientôt elle ne pourra plus compter que sur ses amitiés pour intégrer la distribution d’un film de Guitry ou de Jean Delannoy dont elle était l’idole absolue et qui lui permit d’aligner quelques films de grand prestige à sa longue filmographie dont « La Minute de Vérité » ou »Marie Antoinette »
C’est Delannoy déjà qui l’avait ramenée sur les plateaux d’après guerre dans l’excellentissime « Les Jeux sont Faits » en 1946. Titre hautement prophétique.
Marfa Dhervilly s’éteignait dan sa triste solitude le 18 Novembre 1963. Recueillie par la maison de retraite pour comédiens indigents de Couilly Pont aux Dames, c’est là qu’elle repose en compagnie de quelques autres oubliées.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1922: Prix de Beauté: avec Louise Brooks
1926: Mots Croisés: Avec Colette Darfeuil.
1931: Rien que la Vérité: Avec Meg Lemonnier et Saint Granier.
1931: Romance à l’inconnue: Avec Annabella
1932: Une Jeune Fille et un Million: Avec Madeleine Ozeray et Claude Dauphin
1932: Moune et son notaire: Avec Monique Rolland
1933: Je te Confie ma Femme: Avec Arletty et Edith Mera
1934: Princesse Czardas: Avec Meg Lemonnier et Jacques Pills.
1934: Sapho: Avec Mary Marquet et Germaine Montero
1935: Marcia Nuziale: Avec Madeleine Renaud et Jean Marchat
1936: Les Deux Favoris: Avec Thomy Bourdelle, Lisette Lanvin et Viviane Romance.
1937: Les Perles de la Couronne: Avec Arletty et Geneviève Guitry de Séréville.
1937: Paris: Avec Renée Saint Cyr et Harry Baur
1937: La Danseuse Rouge: Avec Vera Korène et Maurice Escande
1938: Remontons les Champs Elysées: De et avec Sacha Guitry
1938: Firmin, le Muet de Saint Pataclet: Avec Antonin Berval et Colette Darfeuil.
1938: Café de Paris: Avec Vera Korène et Jules Berry
1940: Après Mein Kampf, Mes Crimes: Avec Line Noro
1940: Monsieur Hector: Avec Fernandel
1940: L’Héritier des Mondésir: Avec Elvire Popesco, Jules Berry et Fernandel
1942: L’Honorable Catherine: Avec Edwige Feuillère et Raymond Rouleau
1942: Vie Privée: Avec Marie Bell et Ginette Leclerc
1945: Echec Au Roy: Avec Odette Joyeux, Lucien Baroux et Gabrielle Dorziat.
1946: Les Jeux sont Faits: Avec Micheline Presle
1948: Aux Yeux du Souvenir: Avec Michèle Morgan et Jean Marais
1948: La Passagère: Avec Dany Robin et George Marchal.
1952: La Minute de Vérité: Avec Michèle Morgan et Jean Gabin.
1955: Marie Antoinette: Avec Michèle Morgan et Isabelle Pia
1955: L’Affaire des Poisons: Avec Danielle Darrieux, Paul Meurisse Viviane Romance, Pierre Mondy et Anne Vernon