Si on passe outre des enfantillages des Bathing Beauties et des ensorcellements frelatés d’une Theda Bara, Miriam Hopkins peut être considérée comme la première star érotique du cinéma américain. Un érotisme blond ce qui était nouveau. Un érotisme subtil très étudié et savamment mis en scène. Un art consommé touchant au sublime et bientôt tranché net par un coup de ciseau censeur.
Miriam Hopkins est la première actrice à avoir, si j’ose dire, exploré le sexe à l’écran. Elle est la première actrice à jouer la comédie sur le thème du ménage à trois frôlant dangereusement mais fort joyeusement les limites de l’échangisme. Elle sera aussi homosexuelle que son époque le permet dans « Ils Etaient Trois » où elle n’a d’yeux que pour Merle Oberon !
Elle plaidera ensuite la cause des femmes violées en un temps où on ne pouvait montrer de couples mariés à l’écran que dans les lits jumeaux séparés par un meuble. Et bien entendu elle aura tourné nue et se sera prostituée à l’écran comme si c’était la chose la plus naturelle du monde !
Et si quelques esprits chagrins sont tentés de souligner qu’à l’époque de la toute-puissance des studios, les actrices jouaient ce qu’on leur disait de jouer, disaient ce qu’on leur faisait fait dire dans des robes qu’elles n’avaient pas choisies, je répondrai oui. Oui, mais pas Miriam Hopkins ! Elle aurait mis le feu à la MGM sans le moindre scrupule pour obtenir ce qu’elle voulait. D’ailleurs elle n’estima jamais qu’être liée par un contrat à un studio était une chose signifiante en soi. Elle les déchiquetait à la moindre contrariété.
C’est que voyez vous, Miriam Hopkins était une intellectuelle égarée au pays des marchands de soupe et elle avait beau jeu d’argumenter face à n’importe quel « mogul » du septième art.
Miriam Hopkins avait lu tous les livres, vu toutes les pièces et visité tous les musées. Ce n’est pas Louis B. Mayer qui allait lui donner du fil à tordre.
Ellen Miriam Hopkins naît à Savannah en Géorgie le 18 Octobre 1902. La France vient d’enterrer Zola et la police découvre les empreintes digitales. Le monde change, le siècle commence, Miriam arrive, ça va chauffer !
Miriam est encore bambine lorsque la famille quitte Savannah pour Bainbridge où le père de sa maman est le très respecté maire. Miriam restera fille unique et ses parents ne s’entendent plus très bien. Après avoir tenté un ultime « nouveau départ » au Mexique, ils divorceront en 1909. Miriam confiée à sa mère se retrouve à Syracuse dans l’état de New-York ! Drôle de dépaysement pour une fille du sud. Mais la culture est tellement plus essentielle sur la Côte Est que dans le Sud. Ça vaut bien d’affronter les rigueurs d’hivers surréalistes. A Bainbridge, à part l’école elle n’avait d’autre distractions que de chanter dans le chœur de l’église où bon papa maire tenait aussi la baguette. Cet exode est d’ailleurs un épisode étrange sur lequel je songerai un jour à faire la lumière. En 1909 une femme ne vit pas seule, ça n’existe pas. Une veuve, une divorcée trouve refuge dans sa famille. La mère de Miriam traverse le pays pour aller s’installer…Chez son beau-frère à Syracuse !
Thomas Cramer Hopkins, le beau-frère en question est responsable du département géologie à l’université. Le père de Miriam n’était qu’un simple placier en assurances. Ça la change. C’est lui dira plus tard Miriam Hopkins qui l’a éveillée au goût de la culture, la lecture et la curiosité des choses. Elle-même étudiera à l’université de Syracuse. Miriam ne se piquera pas de géologie mais de théâtre à force de lecture. Persuadée que c’est là sa voie, elle brigue désormais Broadway. Après tout Syracuse est à un jet de pierre de New-York.
A 19 ans elle fait le siège des théâtres et bat le pavé aux aguets de la moindre figuration. Elle va en désespoir de cause faire une demande de passeport pour suivre une troupe sans prestige en tournée en Amérique du sud. Mais pour des raisons qui lui sont propres, elle refuse de donner son adresse et se déclare « adresse inconnue » à l’administration stupéfiée. Elle n’obtiendra pas son passeport et la troupe partira sans elle, la laissant sur Broadway déconfite. Miriam Hopkins va connaître la vie difficile des actrices ambitieuses sans renom qui trouvent moins de travail au théâtre que n’importe quelle donzelle bien roulée et pas trop pudique sachant s’agiter en rythme dans un chorus.
Un jeune metteur en scène fait beaucoup parler de lui en cette année 1926. Un certain Georges Cukor qui vient d’épater la critique en réussissant malgré son jeune âge une adaptation magnifique de « The Great Gatsby ». Il a d’emblée ses admirateurs inconditionnels qui s’ébahissent de son élégance, sa pertinence, son humour, sa modernité, cette façon nouvelle de valoriser les femmes. Et puis ses détracteurs qui le trouvent trop compliqué trop snob trop homosexuel trop juif. Un comble car si Cukor est en effet né dans une famille juive, ses parents n’étaient pas pratiquants et il a appris l’hébreu phonétiquement souvent sans le comprendre pour faire bonne figure devant les amis de la famille et quelques directeurs de théâtre.
Miriam qui besogne depuis cinq ans sur Broadway auditionne pour Cukor. Miriam, pas plus haute qu’une botte arrive au genou de Cukor mais ses beaux yeux pâles, ses cheveux blonds mousseux et son tempérament très affirmé séduisent Cukor. Une autre actrice auditionne pour Cukor et n’aura pas la chance de Miriam. Toute aussi petite mais le cheveu rare, l’œil globuleux et la poitrine lourde, Bette Davis déplaît à Cukor. Pour d’étranges raisons, la compagnie de Cukor signe quand même un contrat d’un an à miss Bette Davis. Effaré, des années plus tard il apprendra qu’il ne l’avait jamais faite travailler alors qu’il n’était qu’égards pour Miriam. Bette aura la rancune tenace et devenue la star que l’on sait clamera fièrement qu’elle ne pardonnerait jamais à Cukor !
Or la réalité est toute autre. Cukor a effectivement fait travailler Bette Davis au théâtre durant la saison de 1926. Il l’a dirigée dans six pièces. Mais si l’homme aime à mettre en scène des toquées, la folie lui a toujours fait peur. Or la mère de Bette Davis hante les théâtres planquée derrières des rideaux pour encourager sa fille et Bette elle-même est tellement « investie » qu’elle fait peur à Cukor. "Dans une pièce où elle devait tirer sur son partenaire elle avait l’air d’avoir tellement envie qu’il meure que j’étais persuadé qu’un jour elle tirerait dessus pour de vrai". Cukor la compare alors à Jeanne Eagles qui on le sait était l’antithèse absolue de l’équilibre psychologique.
La vérité sur le licenciement de Bette Davis par George Cukor est à la fois plus simple et plus dans le style Bette Davis. Bette a rapidement pris ses aises et s’est mise à donner ses idées, ses points de vue avant de donner ses ordres. Or ses avis sont toujours antagonistes à ceux de Cukor. Pour une pièce où elle doit jouer la maitresse de l’excellent Louis Calhern, Bette travaille son personnage et ses costumes jusqu’à ce que Cukor effaré la renvoie. « Elle avait l’air d’être sa fille plutôt que sa maîtresse, tout le monde était très mal à l’aise ». Bette finira par claquer la porte avec une telle violence que les plâtres du théâtre continuent encore à se fendiller aujourd’hui. Elle se répandit jusqu’à ce que mort s’en suive sur son renvoi par Cukor à cause des machinations de Miriam Hopkins très jalouse d’elle. Bette Davis ne pardonnera pas non plus à Miriam Hopkins tout le mal qu’elle ne lui a pas fait mais qu’elle a dit qu’elle lui avait fait. Ce qui est nettement supérieur à la vérité.
Miriam de son côté se désennuyait du tapage mené par Bette Davis en épousant un certain Brandon Peters, acteur qui lui avait donné la réplique et qui l’avait prise à son jeu. Acteur mari dont elle se débarrassa en moins d’un an oublié probablement au rebut des accessoires des pièces qui ont quitté l’affiche.
L’année 1928 fut l’année de tous les changements.
Miriam Hopkins se remariait. Cette fois avec l’aviateur et scénariste à ses heures Austin Parker.
A Hollywood le cinéma se mettait à parler. L’industrie du film en plein désarroi se traînait aux pieds du tout Broadway. Cukor fut un des premiers metteurs en scène sollicités et il accepta immédiatement l’offre Paramount à la condition d’emmener avec lui toute la distribution de la pièce sur laquelle il travaillait. Cukor débarque donc à Hollywood avec Miriam Hopkins flanquée de son mari. Un train plus loin arrivent Barbara Stanwyck et…Bette Davis !
L’inséparable duo de Broadway pouvait espérer travailler ensemble mais le destin va en décider autrement. Cukor n’est engagé que comme consultant à 600$ par semaine et sans mention aux génériques, l’idée étant d’aider les réalisateurs chevronnés avec les passages dialogués. Il ne dirige pas, il n’a rien à dire et certainement pas d’actrice à imposer.
Miriam débute à l’écran sans Cukor, lequel ne va pas tarder à s’enticher de Katharine Hepburn mais leur collaboration aura un ultime rebondissement.
Miriam n’a pas été distribuée par Paramount tout de suite. Le studio était mi-figue mi-raisin à son propos. D’abord et avant tout on était très contents de l’avoir signée car les actrices sachant parler qui débarquaient de Broadway par fourgons entiers avaient pour la plupart des têtes à faire peur ! Qui aurait envie de payer sa place au cinéma pour voir une Bette Davis ou une Barbara Stanwyck pendant 90 minutes ?
Myriam au moins était belle. Très belle. Belle mais pas facile. Elle avait déjà envoyé quelques scénarios au nez de leurs auteurs, envoyé bouler les directeurs du département publicité qui voulaient la fiancer à un maharajah imaginaire. La belle voulait un rôle où elle pourrait briller artistiquement et proposer quelque chose de nouveau puisque le son, déjà s’était banalisé.
Elle allait être servie. Et Hollywood aussi.
Elle accepte le rôle d’Ivy dans « Dr Jeckyll and Mr Hyde ». Ivy la poule des bas-fonds, Rose Hobart s’offrant les jolis froufrous de la douce fiancée du Dr Jeckyll. Fredric March quant à lui deviendrait à la fois le bon docteur et son double maléfique. Jouant à fond la carte de la prostituée des rues basses, Miriam tourne nue suis un couvre-pieds défraîchi et coiffée comme une botte d’oignons, elle balance nonchalamment sa jambe nue en dehors du lit, comme une invitation à venir l’y retrouver car elle s’y ennuie seule. Avant l’apparition d’internet qui permet de tout vérifier en quelques clics, nombre de cinéphiles juraient qu’elle avait une petite montre à la cheville, fantaisie érotique des prostituées d’autrefois. Ils se trompaient. Elle porte une jarretière d’ailleurs bien inutile mais cette certitude montre assez l’impact érotique de l’image. L’aimable Rouben Mamoulian qui réalisait le film ne trouva rien à redire lorsque Miriam plaça en fond de décor un miroir permettant au spectateur de voir son dos nu jusqu’en bas des reins par reflet.
Le film sera un succès colossal. Ce sera le premier film projeté au festival de Venise et Fredric March emportera un Oscar bien mérité. Les exploits érotisants de Miriam Hopkins furent pour leur part éradiqués du montage final. Son audace coûtait huit minutes de film ! Mais le peu qu’il restait de Miriam, cinq minutes, suffit pour lui valoir de très bonnes critiques, une augmentation de salaire et au passage faire se volatiliser jusqu’au souvenir de la pauvre Rose Hobart dans le film. Son film terminé, sa réputation de blonde sulfureuse allant galopant à Hollywood, Miriam s’offre un peu de temps pour divorcer et aller retrouver son cher Cukor sur le plateau du premier film qu’il dirige « One Hour with You » avec les nouvelles attractions que sont Jeanette Macdonald et le très exotique et tout aussi célèbre Maurice Chevalier. Or, le tournage va tourner à l’enfer. Lubitsch qui est le réalisateur star de la Paramount s’intéresse de plus en plus au film et intervient de plus en plus dans la mise en scène. D’abord honoré, Cukor se retrouve très vite sur un fauteuil pliant sans plus rien avoir à dire ni à faire. Le ton monte, c’est la guerre. Lubitsch reprend le film et refuse que le nom de Cukor soit mentionné au générique comme le contrat de ce dernier le permet encore. L’affaire se terminera en procès et Cukor quittera Paramount avec fracas pour gagner la RKO. Sans doute était il persuadé que sa si chère Miriam le suivrait, secouant sur Paramount son mépris souverain comme de la poussière sur ses escarpins de satin champagne mais non.
Miriam fut instantanément fascinée par le travail de Lubitsch et trouvait sa mise en scène nettement plus ingénieuse et spirituelle que celle de Cukor. Miriam resta chez Paramount, hors de question de quitter Lubitsch d’une semelle. Et ça tombait bien. Lubitsch était au moins aussi fasciné par Miriam qu’elle ne l’était par lui .
Cukor change de studio et de muse, délaissant Paramount et Myriam Hopkins pour RKO et Katharine Hepburn.
Lubitsch ne change pas de studio mais change de muse, délaissant son égérie Pola Negri ramenée à Hollywood dans ses bagages pour Miriam Hopkins. Dans tout ce charivari Miriam Hopkins déjà deux fois divorcée décrète un peu vite qu’on ne l’y reprendra pas une troisième fois ! Elle se voit dès lors privée en toute logique d’espoirs de maternité. Certes, les liaisons masculines ne lui manqueront jamais mais elle est de ces femmes qui comme Lupe Velez sont prêtes à piétiner toutes les conventions mais ne s’imaginent pas « filles mères ». D’ailleurs Miriam n’est pas tombe enceinte durant ses mariages, il se peut qu’après tout sa nature s’y refuse.
Qu’à cela ne tienne, Miriam adoptera !
Une aberration ! Une actrice d’Hollywood célibataire après deux divorces, est-ce là un foyer pour une chère petite tête blonde orpheline ?
Certes non, surtout au début des années 30, mais on parle de Miriam Hopkins pas de n’importe quelle actrice ! N’en déplaise à Joan Crawford, Miriam Hopkins sera la première actrice célibataire d’Hollywood à adopter légalement un enfant.
Le petit Michael vient au monde le 29 Mars 1932 et deviendra Michael Hopkins fils adoptif et adoré de la star célibataire Miriam Hopkins. Une indiscrétion éveilla la curiosité de la presse qui vit là une aubaine à gros titres. Ils durent remballer leurs velléités de scoop très vite. « Ce que je fais ne vous regarde pas, pourquoi j’adopte un enfant ne vous regarde pas ! C’est mon fils il vivra avec moi et ira partout avec moi et ça non plus ça ne vous regarde pas ! » J’imagine la déconvenue de Joan Crawford qui durant son mariage avec Franchot Tone subira 9 fausses couches avant de devoir renoncer à tout espoir de maternité pendant que ce bon Franchot la trompait avec…Miriam Hopkins !
Miriam n’eut pas besoin de découper Pola à la scie égoïne pour s’en débarrasser et devenir la muse officielle de Lubitsch. La belle polonaise, grisée elle-même par la légende qu’Hollywood lui avait fabriquée de toutes pièces y croyait elle-même dur comme fer et s’attachait plus à singer une rivalité toute publicitaire avec Gloria Swanson que de tourner pour Lubitsch ou qui que ce soit d’autre. Que pouvait encore faire Lubitsch d’une actrice à l’accent des Balkans à couper au couteau et qui se faisait livrer sur les plateaux de tournage en chaise à porteurs ? Miriam balayait d’un souffle de modernité la préhistoire du film qu’incarnait encore « la louve des Carpates ».
Dans sa trépidante impatience de tourner ensemble, Lubitsch convainc Miriam d’accepter un rôle de princesse idiote dans son film suivant « The Smiling Lieutenant » qui doit réunir Maurice Chevalier et Claudette Colbert. Paramount s’est entichée de Chevalier comme tout le reste de l’Amérique et considère que sous la direction de Lubitsch il est « invincible ». Aucun souci pour confier le second rôle féminin à Miriam, le studio débloque des budgets illimités pour son grand film de prestige de l’année. Si Cukor n’avait strictement aucun attrait pour les charmes féminins, Lubitsch est nettement plus intéressé par ceux de Miriam et ces deux-là deviennent amants. La chose ne manque pas de piquant lorsque l’on sait avec quelle facilité Miriam va rafler Maurice Chevalier à Marlène Dietrich pendant que Lubitsch les dirige. Et toujours avec la même déconcertante désinvolture, elle aura une liaison avec Fredric March sous le nez de Lubitsch sur le plateau de « Design for Living ». Miriam n’est pas du genre à s’embarrasser de convenances bourgeoises et ne déteste pas pimenter quelque peu ses relations de rivalités amoureuses. N’aura-elle pas une liaison avec John Gilbert sous le nez de la divine Greta Garbo en personne ?
Le tournage ne sera pas la fête espérée. Lubitsch perd sa mère et est dévasté de chagrin, à mille lieues de l’intrigue falote du film et des infidélités de Miriam. En outre, Miriam et Claudette entendent être filmées chacune du même profil ce qui est impossible dans les scènes qu’elles ont en commun. Lubitsch qui voit dans cette rivalité de profils tout le parti qu’il peut en tirer pour son film attise la querelle au lieu de la tempérer. La Paramount devra intervenir avant que l’une des deux actrices n’égorge l’autre. Claudette aura gain de cause, c’est elle la star. En échange, Miriam obtient une scène en nuisette de dentelle et pour la consoler, Lubitsch ajoute au script une gifle qu’elle doit flanquer à Colette et qu’il faudra tourner de nombreuses fois.
Après Bette Davis, Miriam s’offrait une deuxième ennemie. Ça ne serait pas la dernière !
Claudette Colbert, Bette Davis, Joan Crawford, Marlène Dietrich, Greta Garbo, aucune ne la porte en odeur de sainteté. La star s’en fiche !
Elle donne dans sa somptueuse propriété de très élégantes soirées où elle ne convie que les intellectuels, auteurs, écrivains, réalisateurs, romanciers, peintres, mais n’a que faire de ces potiches de celluloïd envisonnées dans son salon ! Elle fera une intéressante collection d’amants choisis parmi les réalisateurs les plus intéressants et les plus puissants d’Hollywood. Lubitsch bien sûr mais aussi Fritz Lang qui avait été celui de Dietrich avant elle. King Vidor et Rouben Mamoulian lui feront un intéressant usage avant qu’elle n’épouse Anatole Litvak en 1937.
Mais cette fois, c’est Bette Davis qui va lui damer le pion. Elle aura une liaison avec Litvak pendant le tournage de « All This and Heaven Too ». Une relation éphémère que Litvak aurait voulue plus discrète mais ce n’était pas dans les intentions de Bette Davis. Il fallait qu’au moins une personne soit au courant ! Litvak travaille au montage de son film avec Bette Davis pendant que Davis et Hopkins tournent « The Old Maid » on ne décrit plus l’ambiance du tournage et toute l’affaire se solda par un divorce chez les Litvak ! L’année 1939 fut une année noire pour Miriam Hopkins. Trompée par Litvak, moquée par Davis, elle divorce et perd le rôle de Scarlett O’hara dans « Autant en Emporte le Vent ». Rôle rejeté avec un mépris absolu par Bette Davis pressentie avant Miriam. Alors Miriam va faire ce qu’elle a toujours fait dès qu’Hollywood lui déplaît un tant soit peu : Elle prend son fils sous le bras et s’en va triompher à Broadway ! Miriam Hopkins aura mené au triomphe plus de quarante pièces à Broadway durant sa carrière, une carrière théâtrale somme toute plus prestigieuse encore que sa carrière filmée.
Mais son départ de 1939 n’est pas judicieux car il correspond à l’entrée en guerre de l’Europe. Or si l’Amérique n’est pas directement concernée, le marché européen se ferme ce qui bouleverse complètement l’industrie du cinéma. Beaucoup de stars comme Garbo ou Dietrich sont surtout rentables en Europe. Hollywood doit se réorganiser dare-dare notamment en menant des opérations de séduction vers le marché sud-américain à grand renfort de Lupe Velez et Carmen Miranda. Un marché où une Miriam Hopkins n’a pas grand-chose à faire. Alors bien sûr, Miriam Hopkins va continuer à tourner mais la mécanique céleste de sa carrière va s’enrayer à l’aube de la nouvelle décennie. Quelques films qui n’ont pas le succès escompté et cette guerre où s’implique bientôt l’Amérique. Hollywood voit ses plus grands acteurs partir au front jouer les héros pour de vrai et moissonne un nouveau contingent d’acteurs plus jeunes pour des films remplis de chansons de technicolor et de pin’up pour relever le moral des troupes au front. Ça chante, ça danse, ça Betty Grable à tout va et là n’est pas l’univers d’une Miriam Hopkins. C’est l’ère Rita Hayworth, Lana Turner, Linda Darnell, Veronica Lake, Dorothy Lamour, c’est un autre univers.
En 1943, après le succès mitigé de son nouveau film avec Bette Davis, Miriam se le tient pour dit, prend ses cliques et ses claques et quitte Hollywood dans une certaine indifférence générale pour gagner son cher Broadway.
C’est là qu’elle fêtera la fin de la guerre en prenant un quatrième et ultime mari, le correspondant de guerre Raymond B. Brock. Epousé en 1945 il lui fera de l’usage jusqu’en 1951.
On ne la reverra à Hollywood qu’en 1949. Six ans d’absence c’est long pour une actrice surtout dans un cinéma qui ne cesse de se découvrir de nouvelles icones féminines. Jane Russell, Elizabeth Taylor, Ava Gardner, Jennifer Jones, Doris Day, Judy Garland, June Allyson sont les nouvelles actrices qui comptent. Elles ont 25 ans de moins que Miriam. Et pour jouer les vétéranes intrépides, Miriam a de la concurrence ! La concurrence de celles qui n’ont pas déserté et entendent bien défendre leur gagne-pain ! Joan Crawford, Barbara Stanwyck Claudette Colbert, Ginger Rogers et bien sûr Bette Davis n’entendent pas s’étouffer pour donner de l’air à qui que ce soit ! Miriam Hopkins n’est pas du genre à quémander quoi que ce soit, elle ne l’a jamais fait et ce n’est pas dons sa nature ni même dans son genre ! Elle s’engouffrera à la télévision entre deux triomphes sur scène.
Hollywood qui considérait la télévision avec condescendance considéra Miriam Hopkins de même. On la revit de ci de là jusqu’en 1970. Ne dédaignant pas à son tour jouer les vieilles monstresses pour narguer Bette Davis qui s’épanouissait dans le genre.
Si on la revit dans « La Rumeur » dans un rôle haut en couleurs c’est parce que c’était le remake d’un de ses succès « Ils Etaient Trois » où son rôle d’autrefois était maintenant dévolu à Shirley MacLaine. Pour « Sanctuaire », le remake de son triomphal Becky Sharp où Lee Remick lui succédait, on se contenta de l’inviter à la première. Miriam Hopkins ne prit pas ombrage, du moins officiellement de sa carrière au cinéma désormais derrière elle. Elle aurait d’ailleurs été bien mal inspirée de le faire, elle s’était fait plus d’ennemis à Hollywood qu’il n’y a de feuilles sur un arbre.
Et puis après les années guerre étaient venues les fort peu glorieuses années McCarthy. Miriam Hopkins avec son franc parler et ses opinions politiques très tranchées était dans le collimateur du FBI depuis son arrivée à Hollywood et allait le rester jusqu’à sa mort soit près de 40 ans ! Elle avait glissé de l’extrême droite à l’extrême gauche la plus radicale et si on ne put jamais la déclarer officiellement communiste on n’en pensait pas moins. Miriam Hopkins se ficha toujours comme d’une guigne de ce que l’on pouvait dire ou penser d’elle, McCarthy et le FBI comme les autres ! Lorsqu’elle adopta son petit Michael en 1932, comme l’enfant avait les mêmes yeux bleus et les mêmes cheveux blonds que sa mère, une rumeur persistante voudra que Michael soit son vrai fils et son adoption une comédie. Miriam ayant dit une fois pour toute ce qu’elle avait à dire à ce propos ne fit plus jamais de commentaires. A un point tel que le jeune Michael lui-même vivra des années dans le doute.
Une autre de ses marottes lui aura été nuisible durant sa carrière, son effarante superstition pour une femme à l’esprit aussi aiguisé. Cette intellectuelle de haut vol ne faisait rien sans l’assentiment des oracles, des pendules, des cartes et autres mages et astrologues en tout genre. Elle refusa bien des rôles pour obéir aux astres au pendule ou au hibou. Elle en acceptera d’autres pour les mêmes raisons et lorsque l’on a un film à produire d’un tant soit peu sérieux on préfère quand même que les décisions prises par la star ne soit pas affaire de marc de café ou de constellation hasardeuse pour les natives de la balance !
Nombre de jeunes réalisateurs songeant à elle se verront embarrés par leurs producteurs qui ne veulent pas avoir affaire avec la « chienne » toute magnifique qu’elle soit. La « Chienne Magnifique » un surnom qui lui allait bien et qu’elle devait à son ami Tennessee Williams. Elle était l’actrice de la première pièce que Williams a produite au théâtre. Il disait d’elle « Aujourd’hui je l’adore mais à l’époque elle me fichait une peur bleue, Rien qu’à l’idée de lui parler j’avais l’impression que mon estomac devait digérer un chapeau melon ». « Mon cher, si votre tête lui revient et qu’elle prend plaisir à travailler avec vous elle sera formidable mais si vous ne lui plaisez pas alors votre vie ne vaudra plus la peine d’être vécue ! » Tennessee Williams. Mais au fond, Miriam Hopkins était-elle « difficile » ou simplement comme Gabin et quelques autres très exigeante envers les autres comme envers elle-même ? Peut-être un peu des deux. Ceux dont elle fut l’amie lui vouèrent une véritable adoration et celui dont elle fut la mère l’adora de tout son être jusqu’à ce jour funeste où une crise cardiaque la foudroya dans son appartement New-Yorkais 9 jours avant qu’elle ne fête ses 70 ans. C’était le 9 Octobre 1972.
Au décès de sa mère, son fils Michael découvrira non sans stupeur qu’elle n’avait strictement rien gardé comme souvenir de sa carrière. Pas une photo, pas un article, pas une lettre, rien !
Elle avait toujours clamé bien haut bien fort n’en avoir "rien à fiche de la gloriole et du passé" mais même lui n’imaginait pas à quel point c’était vrai. Il découvrira avec tout autant de stupeur que Miriam Hopkins voulait être inhumée dans sa Géorgie natale.
Ainsi fut fait.
Michael s’éteindra en 2010.
QUE VOIR ?
1928 : The Home Girl : Sans doute pour voir ce que donne Miriam Hopkins à l’écran, la Paramount la distribue dans un court métrage. Mais attention ! Il s’agit d’une série de courts métrages montrant de grands acteurs aux prises avec les textes et les personnages de grands auteurs, pas une bobine de lancer de tartes à la crème !
1931 : Dr. Jekyll and Mr. Hyde : Scandale à Hollywood, Miriam Hopkins est nue dans un lit. L’honneur est sauf les scènes sont coupées mais pieusement conservées. Miriam a repris sa place dans la version restaurée du film.
1931 : The Smiling Lieutenant : Miriam aurait tout fait pour être dirigée par Lubitsch, même tourner dans une opérette réunissant Maurice Chevalier et Claudette Colbert !
1932 : Trouble in Paradise : Miriam Hopkins enfin sacrée « star d’Ernst Lubitsch » Cette fois sa rivale brune est l’élégante Kay Francis dont le jeu d’actrice ne peut se comparer à celui d’une Claudette Colbert. C’est la première fois que l’on évoquera la « Lubitsch Touch » à propos du réalisateur et les sous-entendus très audacieux feront le bonheur des spectateurs et le malheur du film. En 1935, la toute nouvelle et déjà toute puissante censure interdit purement et simplement son exploitation, jugeant les dialogues signés Lubitsch en personne par trop outrageants pour les chastes oreilles américaines ! On ne reverra le film qu’en…1968 !
1933 : Design for Living : Le film préféré de François Truffaut et le dernier Lubitsch avec Miriam, ici dans un rôle encore très risqué. Celui d’une femme résolument libérée avant l’heure ne pouvant se décider entre l’amour de deux hommes et vivant tantôt avec l’un tantôt avec l’autre, se plaignant de ne pouvoir profiter des deux à la fois. Il fallait bien toute la subtilité de Lubitsch et les talents conjugués de Miriam Hopkins, Fredric March et Gary Cooper pour faire passer le sujet en 1933 car l’homosexualité fort peu latente des deux hommes est tout bonnement évidente sans jamais être évoquée. Dans de très nombreux plans les deux hommes sont physiquement plus proches entre eux que de Miriam. D’ailleurs le ton est donné d’emblée puisqu’ils dorment l’un contre l’autre quand elle les rencontre. Impossible de ne pas voir dans ce film le ferment de « Jules et Jim ».
1933 : The Story of Temple Drake : Adaptation de « Sanctuaire » de William Faulkner, le film était incroyablement risqué pour l’époque mais surtout pour son actrice. Miriam Hopkins y était violée et forcée à la prostitution. L’Amérique fut sous le choc, Georges Raft refusa, scandalisé, le rôle masculin et le film fut pour beaucoup dans l’instauration du code de censure. Miriam commenta « Oh pourtant nous avions très édulcoré l’œuvre de Faulkner ! Normalement j’aurais dû me parjurer au tribunal pour faire pendre un innocent, c’était beaucoup plus intéressant ! » Le film connaîtra un remake sans grand intérêt avec Lee Remick et Yves Montand.
1934 : The Richest girl in the world : Le naufrage du Titanic a fait d’une petite fille la plus riche héritière du monde. Adulte, personne ne sait à quoi elle ressemble tant elle a vécu protégée. L’avisée richissime fait alors passer sa secrétaire Fay Wray pour elle.
1935 : Becky Sharp : Selon les supports promotionnels du film, Becky Sharp était le premier film tourné en couleurs 100% naturelles…Bon…
1935 : Splendor : Sans doute le film le plus méconnu de Miriam Hopkins. Elle y retrouvait Joel McCrea pour la troisième fois et la distribution se complétait de Billie Burke et David Niven.
1936 : These Three : Il fallait bien du cran en 1936 pour adapter au cinéma ce fait divers où l’homosexualité de deux institutrices avait scandalisé tout un état. William Wyler s’en tire d’une habile pirouette en faisant de Miriam Hopkins et Merle Oberon deux innocentes victimes d’une rumeur sans fondements…Même si, dans son jeu, Miriam ne laisse aucun doute de ses sentiments inavoués pour Merle qui n’y voit goutte !
1939 : The Old Maid : Duel fracassant entre Miriam Hopkins et Bette Davis sous le regard d’un George Brent d’autant plus mal à l’aise qu’il a une liaison avec Bette et ne tient pas à prendre parti. C’est d’ailleurs à cause d’elle qu’il a obtenu le rôle. Bette a fait des pieds et des mains pour qu’il l’accepte malgré le peu d’intérêt qu’il représente. Et ceci après avoir bataillé tout autant pour qu’on le reprenne à Humphrey Bogart initialement prévu. Bette, histoire de mettre un peu plus d’ambiance encore s’offrit une courte liaison avec Anatole Litvak alors époux légitime de Miriam Hopkins. Bette se plaignit tout du long qu’elle était affublée de costumes de vieille fille alors que Miriam fanfaronnait dans des costumes sublimes et dans un rôle de beauté éternelle et distinguée.
1943 : Old Acquaintance : Le tapage mené par Bette Davis et Miriam Hopkins sur le plateau de « The Old Maid » valait bien que l’on réunisse à nouveau ces deux-là dix ans plus tard, histoire de voir si l’incendie allait reprendre de plus belle entre les deux « chiennes magnifiques » officielles d’Hollywood.
1949 : The Heiress : Miriam entre Olivia de Havilland et Montgomery Clift sous la direction de William Wyler qui lui a toujours fort bien réussi. Son court rôle lui vaudra un golden globe.
1952 : Carrie : Toujours pour la caméra de William Wyler, Miriam est l’épouse revêche et vaguement alcoolique de Laurence Olivier à qui elle refuse le divorce pour qu’il puisse vivre sa passion pour Jennifer Jones. Ce tournage ne fut pas sans rappeler celui du « Lieutenant Souriant » à Miriam tant il fut pénible. Wyler ne voulait pas de Jennifer Jones imposée par son mari Selznick dans le rôle principal. Elle se mit à détester tout le monde dès son arrivée à commencer par Laurence Olivier qui le lui rendait bien entre deux crises de goutte. Wyler était au plus bas. Son petit garçon d’un an venait de décéder. Une situation rendue plus pénible encore par Jennifer Jones qui enceinte voulait faire accélérer le tournage avant que son état ne se remarque. Elle finira par faire une fausse couche et apprendra dans la foulée le décès de son premier mari Robert Walker. Le film sera un des rares échecs au box-office de Miriam Hopkins. Un comble car elle s’y était montrée particulièrement brillante !
1961 : The Children's Hour : Hollywood remet en chantier un ancien triomphe de Miriam Hopkins. C’est Shirley MacLaine qui lui succède tandis qu’Audrey Hepburn qui détestait le film succède à Merle Oberon. Miriam s’invite et joue l’inénarrable tante Lili Mortar. Miriam Hopkins aura la candeur de s’étonner : « Dans les années 30 il était interdit de parler d’homosexualité au cinéma ni même de le suggérer. Pourtant nous n’avions aucun problème avec ça et nous savions parfaitement ce que le film racontait sans le dire. Aujourd’hui que l’on peut en parler franchement tout le monde est plus mal à l’aise qu’il y a 30 ans ! Les deux actrices n’en parlent pas, elles n’en ont jamais parlé ensemble et Hepburn tient son rôle comme si elle était innocente comme l’agneau et effarée par l’injustice d’une rumeur sans fondements. William Wyler a fait couper les scènes trop dérangeantes parce qu’il était lui-même offusqué ! A croire que la censure nous rendait plus audacieux ou en tout cas plus courageux. »
1966 : The Chase : Un film « all stars » qui ne méritait certainement pas une telle brochette de stars de premier plan à son générique ! Marlon Brando, Jane Fonda, Robert Redford, Angie Dickinson, Janice Rule et j’en passe. Miriam Hopkins se joint à l’aventure probablement par curiosité, celle d’être dirigée par Arthur Penn…Ou pour être la mère de Robert Redford !
1970 : Savage Intruder : Ultime apparition plutôt psychédélique de Miriam Hopkins à l’écran.
LES FILMS QUE VOUS NE VERREZ PAS
(Avec Miriam Hopkins)
New-York Miami : Miriam refuse un rôle pour lequel Bette Davis se serait damnée et qui échouera chez Claudette Colbert qui le détestait et le détestera toute sa vie !