Il est aussi difficile de visionner des films de la délicieuse Truus van Aalten que de voir les boucles de Shirley Temple sur la tête de Yul Brynner. Je suis pourtant une véritable fan de cette actrice qui est non seulement le reflet d'une époque aux mille possibles mais à mes yeux la seule, la vraie Betty Boop.
Ceci bien qu'elle n'ait strictement aucun rapport avec l'égérie dessinée.
Geertruida Everdina Wilhelmina van Aalten naît à Arnhem en Hollande le 2 Août 1910. Rien ne prédestine cette petite demoiselle à devenir une actrice bien qu'elle en rêve toutes les nuits depuis son plus jeune âge. Et ce pour une bonne raison: Le cinéma hollandais est pour ainsi dire inexistant.
Elle commencera donc sa vie de jeune femme en vendant des chapeaux puis gagnera Amsterdam pour y devenir demoiselle de grand magasin. En 1926, Truus a 16 ans. Alors qu'elle feuillette un magazine en déjeunant sur le pouce elle tombe sur une annonce de concours de beauté dont le premier prix est un essai dans un studio de cinéma berlinois. Le cinéma étant encore muet, on se fiche bien de la langue que peuvent baragouiner avec plus ou moins de distinction ou d'accent les jeunes reines de beauté.
Truus se rua et fit bien, elle fut invitée à Berlin. Elle s'en alla donc des rêves plein la têtes, s'imaginant déjà accueillie par une presse enthousiaste et des premiers admirateurs l'ensevelissant sous des tombereaux de fleurs. Elle ignorait encore qu'elles étaient 200 à avoir reçu la même invitation et qu'elle se rendrait au studio seule et en tramway.
Ce ne fut pas sa seule déconfiture!
Les 199 autres demoiselles, toutes plus âgées que Truus patientaient couvertes de renard argenté ou de lamé doré, leurs attitudes directement calquées sur celles de Pola Negri, Mae Murray ou Clara Kimball Young.. La jeune Truus se sentait si décalée, si ridicule qu'elle éclata de rire devant les caméras quand on lui dit "c'est à vous!" Elle fut prise d'un fou rire inextinguible, les yeux baignés de larmes. Un fou rire qui se communiqua à toute l'équipe du studio pendant que 199 aspirantes à la déification filmée prenaient des airs de perroquets offusqués.
Elle était belle, spontanée, drôle et surtout, elle illuminait l'écran. La UFA lui signa immédiatement un contrat et 199 perroquets purent caleter en allant se faire admirer dans d'autres volières. Aujourd'hui, lorsque l'on parle d'un contrat à la UFA, c'est moins ébouriffant à nos oreilles qu'un contrat à la Paramount ou la MGM. Mais en 1926, la UFA est un des plus puissants studios du monde. 3.000 cinémas affichent les films du studio en exclusivité pour un million de spectateurs par jour.
Truus apprit donc tous les rouages du métier et tomba follement amoureuse du jeune premier le plus en vue du studio: Willy Frisch. Lorsqu'il l'embrassera dans un film elle manquera en mourir de bonheur. Pourtant, tout n'est pas rose pour la nouvelle arrivante. Le métier d'actrice est mal considéré en Hollande. Son père est loin d'être ravi et menace de rompre son contrat si elle se conduit mal que ce soit dans la rue ou dans un film.
Truus a 16 ans, son père a encore autorité totale sur elle jusqu'à ce qu'elle en ait 21.
Ensuite encore, la UFA n'entend pas rendre des comptes à ses acteurs et se réserve le droit de raccourcir des scènes, voire les supprimer ou même changer le sens d'une scène voire de toute l'histoire à sa convenance. Rien n'est plus simple: il suffit de modifier les intertitres entre les scènes muettes. Elle se souviendra longtemps être arrivée parée comme une reine à la première d'un de ses films pour découvrir qu'elle avait disparu complètement de l'intrigue comme du générique! La UFA n'est donc guère conciliante avec la jeune recrue hollandaise. Les films se font à la chaîne et on aime faire travailler sans relâche les acteurs les plus en vogue. En outre, Truus est cataloguée comme "comique" ce qui limite encore les propositions que lui fait son studio.
A part sa très grande amie Olga Tschechowa qui l'encourage à prendre ses rôles avec sérieux et surtout à perdre du poids, peu d'acteurs ou de metteurs en scènes prennent la peine de la protéger et de l'imposer. Il règne à la UFA un grand snobisme. On est supposé avoir suivi un très prestigieux enseignement en art dramatique et avoir conquis le public des théâtres les plus huppés de Berlin avant de "faire des films". Ce qui est encore considéré comme un tantinet vulgaire. Et puis on n'est pas supposée, quand on est une star de la UFA, débarquer de sa Hollande natale en sabots et parfumée au gouda et à la tulipe, cette fleur qui...ne sent rien.
Truus va se consoler de son inactivité en acceptant des contrats publicitaires pour des produits de beauté, contrats qui feront sa fortune et qui paradoxalement feront d'elle une vedette populaire, bien plus que son travail au cinéma. Avec le vedettariat, l'attitude de ses "collègues" du cinéma va changer. Devenue vedette, on va l'adorer et la surnommer "petit fromage hollandais chéri". Son look va devenir un "style" et ses films des véhicules pour sa popularité sans cesse grandissante.
Elle passera le cap du cinéma parlant avec une gracieuse désinvolture, son accent hollandais apportant encore à son charme. Elle devient une star très populaire en Hollande et fait enfin la fierté paternelle! Le public batave l'appelant affectueusement Truusie, elle est "la fille qui a réussi". En 1930 elle est une des plus grandes stars d'Allemagne. Elle roule sur l'or et ses films commencent à intéresser le marché américain. En 1933, Truus dépense des fortunes colossales rien qu'en timbres et en cartes postales pour répondre à ses fans du monde entier.
Mais 1933 c'est aussi l'avènement, déjà sanglant du nazisme. Les gens de cinéma sont les premiers dans le collimateur du nouveau Reich. Il ne fait déjà plus bon d'être juif ou homosexuel et Truus a bien trop clamé son admiration immodérée pour Chaplin.
Dès 1934, à la faveur d'un tournage, elle regagne sa Hollande natale où elle est maintenant déifiée.
Truus rentrera brièvement à Berlin mais la montée du nazisme lui fait horreur. Elle rentre donc en Hollande mais n'aura pas le temps d'y faire un autre film. Le pays est envahi et soumis aux lois du Reich. Les scénarii qu'on tente de lui imposer sont supervisés par Goebbels en personne et elle aura le cran de tous les refuser. Pour avoir dit "Ce n'est pas tant votre propagande qui est gênante, là dedans c'est votre vulgarité" elle faillit avoir de très graves ennuis, ne devant son salut qu'à la protection de son éternelle amie Olga Tschechowa.
La guerre terminée, Truus van Aalten ne refera jamais de cinéma. Son souvenir même s'est volatilisé dans la violence des évènements que l'on sait. Son nom ne sera plus prononcé durant près de 40 ans et de très sérieux ouvrages sur le cinéma allemand des années 20 et 30 feront l'impasse sur la star qu'elle fut. La faute sans doute en incombant à la fois au peu d'enthousiasme qu'elle manifesta pour reprendre sa carrière après la défaite allemande. Ou son ennui profond rien qu'à l'idée d'apprendre l'anglais pour accepter les offres hollywoodiennes qui ne manquèrent pas d'affluer en leur temps.
Et puis surtout la disparition de nombre de ses films évaporés dans la chute de Berlin.
Truus avait regagné sa patrie chérie et y était devenue une femme d'affaires très prospère.
Les dernières années de sa vie furent hélas assombries par une déficience mentale. Elle était hospitalisée depuis deux ans lorsqu'elle s'éteignit le 27 Juin 1999 à l'âge de 88 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1927: Die Selige Exzellenz : Avec Willy Fritsch et Olga Tschechowa
1928: Leontines Ehemänner: Avec Claire Rommer
1929: Ich hab mein Herz im Autobus Verloren: Avec Domenico Gambino
1929: Die Lustigen Vagabunden: Avec Lotte Lorring
1931: Kopfüber ins Glück: Avec Jenny Jugo
1932:Nur ein Viertelstündchen: Court métrage avec Robert Eckert