VERA CARMI
- Céline Colassin
- 4 oct.
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La belle et blonde Vera Carmi est hélas restée pour moi une énigme, et je ne peux que m’appuyer sur des suppositions — logiques, certes, mais sait-on jamais, avec le destin — pour retracer celui de cette belle italienne.
Elle naît à Turin, dans le Piémont, le 23 novembre 1914, sous le patronyme de Virginia Doglioli. Une petite enfance de guerre. Une jeunesse dans l’Italie fasciste de Mussolini. L’Italie où le cinéma n’a jamais été aussi rutilant. Ses divas comptent bien au moins égaler les grandes suprématies hollywoodiennes. En rallongeant les faux-cils, les capots des limousines et en rajoutant une tonne ou deux de renards blancs à leur tenue du dimanche. La jeune fille en a, comme tous ses compatriotes, plein les mirettes et se rêve, elle aussi, future étoile de celluloïd.
Le destin s’en mêle — ou plutôt un photographe de plateau, charmé par sa blondeur glacée.
On raconte que c’est en remplaçant au pied levé une figurante enrhumée qu’elle aurait été repérée. Elle n’avait pas de maquillage, juste cette pâleur nerveuse que les caméras aimaient tant. À Cinecittà, on se murmurait : « Vera Carmi ne joue pas la douleur, elle l’habite. » Et c’est vrai qu’elle avait déjà, à vingt-cinq ans, cette façon d’être triste comme une élégance.
Elle gagne Rome et fait des débuts au théâtre avant d’être repérée par le cinéma. Très vite, le public s’entiche de cette douceur blonde jouant les tristesses résignées et les amoureuses de l’ombre, comme le font ailleurs Madeleine Renaud, Madeleine Ozeray et autres fragilités éthérées des écrans. Son rythme de tournage va être immédiatement intense et la belle Vera commence au minimum un nouveau film tous les deux mois. Cinecittà tourne à plein régime, même si l’Italie, une nouvelle fois, se bat, car elle a débuté en 1941.

En 1942, Alessandro Blasetti lui offre son rôle le plus célèbre dans Quattro passi fra le nuvole. Elle y incarne une femme simple, presque anonyme, et c’est sans doute la seule fois où Vera fut aimée pour ce qu’elle n’était pas : une Italienne ordinaire. Blasetti lui aurait dit :« Vous êtes trop belle pour être crédible. »Et elle aurait répondu, pince-sans-rire :« Alors, filmez-moi floue. »À cette époque, la beauté pouvait être un handicap — surtout après la chute du régime qui l’avait érigée en vertu nationale.
Après la guerre vint la défaite et la paix. Mais la paix dans un pays exsangue où l’on manque de tout. De pain, de vin, de pâtes, d’hommes et de logements. Et bien entendu de pellicule. Il faut tout le génie bricoleur d’un Vittorio De Sica pour quand même trouver du matériel pour faire des films. Mais Vittorio ne fait pas tourner Vera. Ni aucune diva mussolinienne d’ailleurs.
Le néoréalisme veut des femmes maigres et des cheveux défaits. Vera, elle, a toujours les siens bien mis. Elle dira plus tard à un journaliste :« Ils ne voulaient plus de comédiennes, ils voulaient des ménagères. Et je n’avais pas le tablier qu’il fallait. »Pendant que De Sica et Rossellini filmaient les ruines, elle préférait encore les feux de rampe. Le théâtre, disait-elle, ne trahit pas la lumière.
Vera se retourne donc vers le théâtre, le music-hall, la revue, et lorsque naîtra la télévision, on l’y verra aussi. Elle reviendra aux écrans larges, mais son nom dégringole des sommets jusqu’aux tréfonds des génériques de films où brillent Myriam Bru ou Antonella Lualdi. Les grandes années de gloire sont passées.
Reflet d’une époque révolue, sa carrière s’étiole.
La presse de l’époque la traitait de « relique de Cinecittà » — jolie formule pour dire qu’elle n’était plus au goût du jour. Un jour, un jeune réalisateur prétendit qu’elle « représentait trop le passé ». Elle répondit calmement :« Le passé vous survivra, jeune homme. C’est son métier. »Et elle avait raison : aujourd’hui, il ne reste plus rien du film du jeune homme, mais Vera, elle, a encore son regard sur les affiches effacées des cinémathèques.

Les Pampanini, les Mangano, les Lollobrigida achèveront l’œuvre du temps. Les beaux films qui avaient fait sa gloire sont démodés, oubliés, souvent perdus.
La « tendre douceur blonde » s’éteint elle-même à seulement 55 ans, le 6 septembre 1969, à Rome. Elle avait tourné pour la dernière fois quinze ans plus tôt, un vague rôle de secrétaire dans une comédie, Le Milliardaire, où aucun nom célèbre ne brillait et où la tête d’affiche était Mike Bongiorno.
C’est d’ailleurs une étrange ironie : Bongiorno, présentateur de jeux télévisés, incarnerait l’avenir médiatique d’une Italie qui riait à nouveau, pendant que Vera Carmi, elle, s’effaçait doucement dans le souvenir d’un cinéma qui ne riait jamais. On dit qu’à la fin, elle avait rangé toutes ses photos dans une boîte à chaussures, avec une étiquette manuscrite :« Vera Carmi — pour mémoire, pas pour gloire. »Une manière pudique de signer son propre oubli.
Celine Colassin

QUE VOIR?
1941: Le Cavalier sans Nom: Avec Mariella Lotti et Amedeo Nazzari
1941: Villa da Vendere: Avec Amedeo Nazzari
1943: Redenzione: Avec Carlo Tamberlani
1944: Finalmente, Si: Avec Enzo Fiermonte et Paolo Stoppa
1944: Circo equestre Za-bum: Avec Carlo Campanini
1946: Le Modelle di Via Margutta: Avec Lilliana Lainé et Claudio Gora
1950: : Domenica d’agosto Avec Franco Interlenghi
1951: Milano Miliardaria: Avec Isa Barzizza et Tino Scotti
1953: Ti ho Sempre Amato: Avec Myriam Bru, Amedeo Nazzari et Jacques Sernas
1953: Die Tochter der Kompanie: Avec Antonella Lualdi et Michel Auclair
1954: La Cieca di Sorrento: Avec Antonella Lualdi et Marilyn Buferd
1954: Appassionatamente: Avec Myriam Bru et Amedeo Nazzari
1954: In amore si pecca in due: Avec Cosetta Greco
1954: Ho pianto per te!: Avec Virginia Belmont et Guido Celano
1954: Tradita: Avec Brigitte Bardot, Lucia Bosé et Pierre Cressoy
1955: Amici per la Pelle: Avec Geronimo Meynier