Croquer le portrait de Vera Ralston est chose ardue, même si elle n’a tourné qu’une poigne de films. Sa vie mouvementée se complique encore de fausses informations, quand ce ne sont pas de pures inventions de la principale intéressée elle-même. Sa date de naissance, son nom, rien n’est certain et moins encore sa célèbre anecdote qu’elle aimait raconter avec fierté et dont l’authenticité demeure douteuse.
Alors qu’elle participe aux jeux olympiques d’hiver de Garmisch-Partenkirchen en 1936, Adolph Hitler lui aurait demandé si elle était fière de patiner pour la croix gammée. Ce à quoi elle aurait répondu sans hésiter « Je serais encore plus fière si je pouvais carrément patiner dessus ! » Evidemment rien n’est impossible. Mais notre patineuse s’étant classée 17ème et sous les couleurs de la Tchécoslovaquie, On imagine mal Hitler qui haïssait le sport allant la féliciter et l’associer à sa croix gammée à coup de question idiote.
Mais commençons par le début. La future Vera Ralston naît dans la périphérie de Prague. Ses parents, catholiques fortunés habitent au bord de la rivière Berounka. Nous sommes le 23 juillet 1919. La future Vera se rajeunira régulièrement jusqu’à naître en 1923. Elle vient au monde sous le patronyme de Vera Helena Hruba. Elle affirmera, tant qu’à être née 4 ans plus tôt, s’être toujours appelée Ralston. Ceci est également faux. Priée de se trouver un pseudonyme plus américanisé, elle choisira Ralston après avoir lu ce nom sur une boîte de corn-flakes.
Vera a un frère, Rudy. Son père est un bijoutier très coté. Il est même le président de l’association des bijoutiers.
Vera n’est pas une élève qui fait des étincelles en classe et seuls ses cours de danse l’intéressent. Sa mère excédée l’envoie dans un couvent à Doksi où les religieuses sont allemandes et enseignent dans cette langue. Vera n’en fera pas plus d’étincelles pour autant. Plus tard elle se souviendra de cette époque comme de celle où elle a appris à fumer. Et mieux encore, fumer sans se faire attraper ! C’est pendant ses vacances d’hiver que son futur destin va se jouer. Son frère Rudi lui enseigne les bases du patinage sur la rivière gelée. La famille semble avoir décrété que le sport lui ferait le plus grand bien. Ce n’est pas faux. Vera s’entiche de patinage jusqu’à la folie ! Elle a 13 ans et dorénavant il n’y aura plus que le patinage qui compte.
Incontestablement douée, deux ans plus tard la voilà à Londres où elle passe son été en stage de patinage artistique en salle. C’est la grande époque Sonja Henie, la reine du patinage qui fait rêver la planète. Toutes les jeunes filles se sont lancées sur la glace, c’est le sport à la mode grâce à Sonja. Mais Vera va mettre tout le monde d’accord. Elle remporte la médaille d’or aux championnats britanniques. Elle a 15 ans, elle ne patine que depuis deux ans. Oui, elle est douée. Exceptionnellement douée.
En 1936 ce sont les jeux olympiques en Allemagne. Sonja y participe. Vera se sent son égale. Pas pour longtemps. Sonja remporte pour la troisième fois la médaille olympique. Vera est dix-septième. Du haut du podium, Sonja n’aura d’autre choix que de rendre son salut à Hitler, ce qui créera une vive polémique dans son pays.
Vera aura alors beau jeu de dire qu’elle au moins ne mangeait pas de ce pain là et avait taclé Hitler en personne.
Ses prestations olympiennes n’auront pas été vaines. On lui propose une tournée américaine de féeries sur glace. Elle accepte et parcourt tous les USA avec son spectacle. Très vite la RKO lui fait une offre mais elle la refuse.
Vera est amoureuse, elle compte se marier et a d’autres priorités que de faire du cinéma. C’est une grosse erreur. Tout Hollywood veut sa patineuse comme on a voulu sa danseuse de claquettes. Sonja fait moins la fine bouche et signe chez Century Fox où elle devient une star d’emblée. Le patin c’est la fureur du moment. Même Joan Crawford va s’y mettre. Histoire de montrer qu’elle aussi…Tient debout.
Pauvre Vera qui non seulement ne signe pas de contrat mais ne se marie pas non plus. Sa famille épouvantée a découvert du sang juif à l’intérieur du beau fiance. Elle met son veto formel et Vera, s’en souvenait elle, est encore mineure. La tournée américaine s’achève. Vera déconfite rentre à Prague.
Deux ans plus tard, le 15 mars 1939, Vera et sa mère embarquent in extremis sur le dernier avion qui quitte Prague avant le déferlante nazie. Direction Paris. La mère de Vera ne se sent pas suffisamment loin des hordes barbares. Elles embarqueront sur un paquebot pour New-York. « Un océan entre nous et ce fou furieux, c’est la plus élémentaire prudence ». Tête de Vera qui pour l’avoir vu de près lui trouvait une tête de Charlot ! A peine débarquée à New-York, Vera qui avait laissé un souvenir ébloui à la compagnie des féeries sur glace est aussitôt réengagée et reprend sa vie de tournée. Sa mère l’accompagne partout, ravie de jouer les touristes.
En janvier 1941, Vera et sa mère voient leur visa expirer et risquent d’être renvoyées en Tchécoslovaquie occupée. L'Amérique n’est pas encore entrée en guerre contre l’Allemagne nazie et aurait plutôt tendance à admirer Hitler vu de loin. Le directeur de la troupe a une idée de génie et informe la presse de la menace d'expulsion de la pauvre réfugiée. Vera et ses féeries sur glace « Ice Scapades » vont triompher partout, elle jouit immédiatement d’une vraie popularité. Elle recevra plus de 2400 propositions de mariage pour lui permettre de rester aux Etats-Unis.
Et cette fois ce n’est pas Vera qui reçoit une proposition de contrat à Hollywood, c’est tout le spectacle ! Pour Vera et sa mère c’est une aubaine. Hollywood et le gouvernement américain ont toujours étroitement collaboré. Il n’est pas un président, pas un ambassadeur qui n’ait rêve d’être invité pour un week-end par Douglas Fairbanks et Mary Pickford dans leur mythique propriété de Pickfair. La maison blanche a l’air d’une guérite en comparaison. Doug et Mary ont levé des fonds astronomiques pour l’effort de guerre 14-18. La maison blanche n’a rien à refuser à Hollywood. Alors pour quelqu’un qui veut rester aux USA avec des papiers douteux, faire du cinéma c’est le saint graal.
Hedy Lamarr confirmerait volontiers;.
C’est le directeur du studio Republic Pictures, Herbert J. Yates qui engage les « Ice Capade » pour deux films. Il remarque la vedette de la troupe, lui conseille d’apprendre l’anglais, de maigrir et de se trouver un nom prononçable. Vera accepte même si elle baragouinera toujours l’anglais avec un accent à couper au couteau. Elle est obéissante. Elle signe avec le studio Republic. Herbert J. Yates va mettre deux ans à peaufiner sa future superstar. Le temps déjà qu’elle arrive à se faire comprendre en anglais.
En 1945, alors que Marlène Dietrich triomphe avec « Destry rides again », Le studio Republic sort en grandes pompes « Dakota » avec Vera en compagne de John Wayne. Si Republic est un studio mineur et spécialisé en westerns de série B, on y connaît quand même son travail et toutes les ficelles qui font un bon western. Les scènes à grand spectacle sont confiées à un spécialiste qui réglera quelques années plus tard les courses de char dans « Ben-Hur ».
Le film fonctionne, le succès est là, le public répond présent. Mais Yates est bien trop avisé pour ne pas savoir que c’est Wayne que l’on vient voir. Il met en chanter un second film qui devrait réunir Wayne et Vera mais le cow-boy refuse, il déteste Vera !
Yates lui offre un pourcentage sur les bénéfices. Si Wayne a ses têtes, il est aussi assez âpre au gain.
En attendant qu’Herbert J. Yates fasse d’elle une star, Vera a adopté la nationalité américaine. Elle a pu faire venir son père et son frère et s’installer avec sa famille enfin réunie dans une jolie propriété de Sherman Oaks. Mais cette parenthèse enchantée sera de courte durée.
La liaison de Vera avec Yates était peut-être un secret de polichinelle pour Hollywood, mais les parents de Vera étaient loin de s’en douter.
En 1947, Yates quitte sa femme et ses quatre enfants pour sa Vera adorée. Il débarque avec sa valise chez Vera. Aussitôt le père outragé d’une telle liaison, boucle la sienne et regagne illico ses pénates en Tchécoslovaquie.
Yates a 67 ans, Vera n’en a que 26 !
Comment peut-on feindre une grande passion amoureuse avec ce petit bonhomme ventripotent et chauve comme une tortue ? Un an plus tard, Vera s’est installée dans sa liaison avec Yates. Elle s’embarque avec sa mère pour aller fêter Noël avec son père à Prague. Mais les retrouvailles ne sont pas idylliques. Le père n’a pas décoléré.
Vera rentre à Hollywood. Elle ne reverra jamais ni Prague ni son père.
Le 15 mars 1952, Yates est enfon divorcé. Le couple se marie et s’offre une lune de miel de trois mois à travers l’Europe en évitant Prague. Entretemps, de 1947 à 1952, Vera a essayé de perdre son accent.
En vain. Yates a essayé d’en faire une star.
En vain.
Le couple vit grand train. Chaque année on voyage beaucoup, on s’est également offert un domaine à Santa Barbara d’où l’on surplombe l’océan. Yates fait tourner Vera. Les critiques la descendent en flèche et certains acteurs exigeront une prime pour accepter de lui donner la réplique. Yates ignore toutes les critiques et offre à son beau-frère Rudy un poste chez Republic avec un salaire mirobolant.
En 1956, la belle mécanique s’enraye. Les films de Vera perdent énormément d’argent, Rudy est outrageusement surpayé. Les actionnaires du studio s’estiment floués. Yates ne tient compte d’aucune remarque, aucun chiffre, aucune menace. En 1958 c’est le procès, Yates hausse les épaules et emmène Vera passer l’été en Italie pour toute réponse. C’est une erreur. Yates perd sur toute la ligne et perd son poste chez Republic.
On s'est beaucoup gaussé des piètres qualités d'actrice de Vera Ralston et des pertes qu'elle a infligées à son studio. C'est aller un peu vite en besogne. Jetons un oeil objectif sur "Jubilée trail" , western tourné en 1954 et destiné à faire briller l'étoile Ralston au firmament des stars. Le studio Republic a mis les petits plats dans les grands. Les décors sont pompeux à la limite du pompier, dégoulinants d'or et de pourpre sous des lustres croulants de pampilles de cristal. Adèle Palmer s'est déchaînée sur les costumes qui tiennent de la parade de cirque, de l'emballage cadeau et du costume folklorique. D'emblée Vera Ralston ouvre les festivités dans un numéro chanté et dansé. Une robe qui a l'air de sortir de la dernière collection New-look de Dior, une perruque noir geais très peu photogénique. Anachronisme à tous les étages. La pauvre Vera n'a pas fini son numero qu'arrive la magnifique Joan Leslie. Alors que le nom de Vera Ralston domine toute le monde en haut de l'affiche, son personnage n'a aucun intérêt, ne sert à rien et semble se coller à l'intrigue comme une tique au cul d'un chien. La seule histoire compréhensible c'est celle de Joan Leslie. Vera Ralston a des robes mais pas de personnage. Le film étant destiné à la mettre en valeur elle ne peut convaincre personne, elle n'a rien à faire. Evidemment elle se démène tant qu'elle peut. Le scénario lui-même semble une suite de scènes destinées à la valoriser et qu'on a eu beaucoup de difficultés à coller bout à bout. Le film est une vraie pétaudière truffée de personnages invraisemblables et de situations grand-guignolesque. Même Barbara Stanwyck ou Joan Crawford n'auraient pas pu se dépêtrer d'un tel fatras. Il n'y a que deux lignes de dialogue à sauver.
John Russell: "J'ai déjà rencontré des femmes comme vous!"
Vera Ralston: "Ca je n'en doute pas, mais cette fois-ci ça ne vous coûtera rien!"
Le couple Ralston- Yates n’entend pas ralentir son train de vie pour autant. Mais Yates a perdu son revenu de 200.000$ par an et plus personne ne songerait à faire tourner Vera et son impossible accent. Du jour où Yates est évincé du studio Republic, la carrière au cinéma de Vera est instantanément terminée. La relation matrimoniale quant à elle a des hauts et des bas. Une procédure de divorce a même été entamée puis abandonnée.
En 1965, le père de Vera est décédé à Prague. Le couple voyage à bord du SS Colombo à destination de l’Italie lorsque Yates est foudroyé par sa première crise cardiaque. Il y en aura neuf avant la fatale du 2 février 1966. Tout le monde avait considéré Vera comme une croqueuse de fortune mais la mort de Yates à 85 ans la foudroie. Elle sombre en dépression. Pourtant Yates ne la laisse pas démunie. La succession lui rapporte près de dix millions de dollars. Elle est en convalescence à Hawaï en 1973 lorsqu’elle apprend le décès de sa mère adorée. Sa dépression a duré des années et maintenant qu’elle va mieux elle perd la personne la plus importante au monde à ses yeux.
Le secours viendra d’un autre millionnaire. Charles V. Alva qui lui demande de devenir sa femme le 16 juin 1973. Il est beau, il a 41 ans, Vera en a 52.
Le 9 février 2003, Vera Ralston s’éteint emportée par le cancer dans sa propriété de Santa Barbara. Quatre mois plus tard, elle aurait fêté ses 30 ans de mariage avec Charles. Et un mois plus tard elle aurait soufflé ses 84 bougies. (En n’en avouant que 80 au grand maximum)
Celine Colassin.
QUE VOIR ?
1941 : Ice Capades : Avec Dorothée Lewis et James Ellison
1942 : Ice Capades Revue : Avec Ellen Drew et Barbara Jo Allen
1944 : The lady and the monster : Avec Erich von Stroheim
1945 : Dakota : Avec John Wayne
1947: The Flame: Avec John Carroll
1948 : Approved : Avec Georges Brent, Constance Bennett et Brian Aherne
1949 : The Fighting Kentukian : Avec John Wayne et Marie Windsor
1951 : Belle le Grand : Avec John Carroll et Hope Emerson
1953: A Perilous Journey: Avec SCott Brady et Hope Emerson
1954: Jubilée trail: Avec Joan Leslie et John Russell
1958 : The man who died twice : Avec Rod Cameron
1958 : The Notorious Mr Monk : Avec Lyle Talbot et Don Kelly