
J’ai toujours considéré Yvonne Sanson comme la Maria Felix du cinéma italien. Et quand on sait la passion que j’éprouve pour l’art consommé de la belle Mexicaine, je crois que tout est dit.
Actrice à la beauté charnelle, Yvonne Sanson sera l’héroïne d’une kyrielle de drames sentimentaux pleins de passion, de fureur et de larmes qui passionnèrent les foules malgré leurs invraisemblances et la finesse de leurs ficelles à la délicatesse de câbles d’amarrages et toutefois bien usées. Les intellectuels affichaient une moue de dégoût. Les critiques en avalaient leurs copies de dépit. Le public s’en fichait bien, il se régalait et faisait des propriétaires de cinémas des gens riches.
Yvonne Sanson faisait recette!
Avec une telle beauté et un tel talent, c’était bien la moindre des choses!

En 1952, Yvonne, vedette de « Fils de Personne », un mélodrame invraisemblable pulvérise les recettes et envoie loin derrière elle « La Strada » et « L’Or de Naples » sortis en même temps. Fille de concierge cardiaque bientôt orpheline, dans « Fils de Personne » ,Yvonne est amoureuse du comte Nazzari, propriétaire de marbreries de Carrare. Enceinte et se croyant abandonnée, Yvonne échappe aux basses manœuvres de la comtesse douairière Françoise Rosay et à la tentative de viol d’un salaud. La croyant morte, Nazzari se marie. Mais le vil suborneur resté impuni retrouve Yvonne, kidnappe son fils et incendie la modeste chaumière où elle a trouvé refuge. Yvonne renonce alors à se suicider, croyant son enfant carbonisé et choisit d’entrer au couvent. Elle en ressortira pour voir son fils qu’elle croyait mort mourir vraiment sous ses yeux en la prenant pour un ange blanc.
Le film se termine sur Yvonne bonne soeur derrière les grilles de son couvent jetant par la fenêtre des fleurs sur le cercueil de son petit garçon que l’on porte en terre.
Rien que ça! Avouez que dans le genre on en avait pour son argent!

Pour avoir été l’archétype de la beauté italienne de son époque, Yvonne Sanson n’en est pas moins Grecque!
Elle naît à Salonique le 1 Janvier 1926. Son père, officier dans l’armée Grecque est d’origine franco-russe, sa mère turco polonaise. Rien n’est donc moins italien que la belle Yvonne.
La jeune demoiselle grandira au gré des affectations paternelles. C’est seulement après la guerre que la famille Sanson se réfugie à Rome pour fuir la guerre civile qui ravage la Grèce et joue les prolongations du grand conflit mondial.
Yvonne va avoir vingt ans et pour elle l’exil italien prend des allures d’aubaine. Depuis sa plus tendre enfance elle rêve de faire du cinéma. Or, depuis la fin de la guerre et malgré la défaite italienne, à Rome, on ne parle plus que de ça.
Et maintenant, pour un peu elle pourrait se rendre à pieds à Cinecitta!
Ses parents, parfaitement conscients du physique incandescent de leur fille ont bien tenté de la fourguer dans une institution religieuse, mais la belle n’a qu’une seule idée en tête, qu’une seule occupation. Faire des photos, les envoyer partout, écrire, tirer les sonnettes, courir les auditions même pour une figuration minable peu importe. Yvonne Sanson veut faire du cinéma et elle en fera!

Elle en fit. Oh, pas grand chose, des petits rôles frôlant la figuration, mais suffisants pour taper dans l’œil de celui qui n’est encore que scénariste: Federico Fellini qui la présente à Alberto Lattuada, son maître des débuts.
Yvonne convainc Lattuada, elle sera la belle aventurière dans « Le Crime de Giovanni Episcopo ».
Nous sommes en 1947, c’est son premier « vrai » rôle, consciente de jouer sa chance, Yvonne peaufine son rôle et l’interprète au rasoir. Le public est sidéré de la performance comme de la beauté fracassante de cette nouvelle apparition divine sur les écrans.
Les mots « Perfection », « Révélation », « Miracle » fusent de toutes parts.
L’Italie avait bien besoin de se distraire un peu car elle connaissait une crise économique épouvantable après une guerre de longue durée. Elle déroula les rutilants tapis dorés de la popularité sous les pieds de la belle Yvonne. La même année, on le sait; Lucia Bose, Gianna Maria Canale, Gina Lollobrigida et Silvana Mangano bataillent ferme pour le titre de « Miss Italie » mais elles ne sont encore que des débutantes. Yvonne a déjà un pied dans la gloire et pour tout dire une coudée d’avance. L’Italie a reconnu en elle tout un symbole. Le public l’a adoptée, les cinéastes ont suivi. Yvonne Sanson est une star. La première nouvelle star de l’après guerre en Italie.

Est-ce un hasard si les cinéastes de son temps lui confient le soin d’incarner Catherine de Russie, Milady de Winter, madame de Montespan, et Messaline ou mettent en chantier un remake de « La Femme aux deux Visages », persuadés qu’elle fera bien mieux que Garbo soi-même?
Les films feront des triomphes!
J’ignore qui aura l’idée de lui donner Amedeo Nazzari comme partenaire mais ce coup de génie provoquera un raz de marée dans les salles qui projettent leurs films. Ils en tourneront une dizaine ensemble, tous des triomphes. Et la belle Yvonne, sacrée vedette populaire, mène sa carrière de manière bien subtile qu’il n’y paraît.

Elle ne rechigne pas à quitter le haut de l’affiche pour honorer de sa présence quelques chef d’œuvre de grand maître. En 1952, pour Alberto Lattuada a qui elle doit beaucoup elle tourne « Le manteau », pépite inestimable du néo réalisme où elle n’a qu’une scène.
Pour Mario Camerini, elle joue l’épouse délaissée de Vittorio de Sica dans « Par Dessus les Moulins ». Elle laisse le premier rôle à Sophia Loren même si elle tire magnifiquement son épingle du jeu.
Et pour le même Vittorio, elle ne fait qu’apparaître dans « Pain, Amour et Jalousie ». Elle est la nouvelle sage femme du village qui remplace Marisa Merlini. Vittorio ouvre la porte de l’appartement, il surprend Yvonne, croyant trouver Marisa. Il bredouille une vague excuse tout en louchant sur ses courbes et referme la porte. L’actrice n’est pas créditée au générique.
A l’époque, lorsque le public la découvre par surprise, c’est du délire dans les salles!
On crie on hurle, on lance son chapeau, le film de Vittorio de Sica termine en apothéose.
En 1957 dans « Barrage contre le Pacifique » elle passe après Jo van Fleet, Silvana Mangano et Alida Valli. Mais qu’importe si c’est pour être dirigée par René Clément!
Yvonne Sanson est bel et bien une star. Elle le restera durant toutes les années cinquante.
Au début des années soixante, sa carrière se ralentit. Le genre de films où elle avait tant brillé se démode et ses jeunes rivales, sous l’impulsion de producteurs férus de superproductions internationales ont vu leur renommée exploser au delà des frontières. Jusqu’à devenir de grandes vedettes hollywoodiennes et même glaner des Oscar!
Paradoxalement, Yvonne Sanson, l’italienne qui n’en était pas une, fait trop italienne pour l’exportation et la star elle-même semble réfractaire à l’idée de s’en aller tourner sous d’autres cieux! Si Raquel Welch veut lui donner la réplique, il faudra qu’elle vienne le faire en Italie!

En 1963 elle disparaît des écrans après avoir été l’ultime interprète de Roberto Rossellini et ne reviendra qu’en 1967. Elle ne trouvera hélas plus de films aussi porteurs que ceux des années cinquante. Sa carrière a vingt ans, l’actrice erre bien un peu dans quelques productions indignes de son prestige puis raccroche définitivement sa gloire au magasin des accessoires démodés au début des années 70.
Discrète sur sa vie privée, on sait qu’Yvonne est la maman d’une petite Giulia et c’est à peu près tout. Jusqu’à ce que le fisc italien, un des plus véhéments qui soient la traque sans merci et finisse par la laisser exsangue et presque démunie. Elle quittera alors Rome pour Bologne où s’était installée avec sa fille et entrera dans une retraite totale.
C’est là qu’elle s’éteint, le 23 Juillet 2003, elle avait 76 ans.
Celine Colassin

QUE VOIR?
1946: L’Aigle Noir: Avec Irasema Dilian et Rossano Brazzi
1947: La Grande Aurore: Avec Renée Faure et Rossano Brazzi
1947: Le Crime de Giovanni Episcopo: Avec Aldo Fabrizi
1948: Le Chevalier Mystérieux: Avec Maria Mercader, Vittorio Gassman et Gianna Maria Canale
1949: Catene (Le Mensonge d’une Mère): Avec Amedeo Nazzari
1950: Tormento: Avec Amedeo Nazzari
1951: I Figli di Nessuno: Avec Amedeo Nazzari et Françoise Rosay
1952: Nous Sommes tous des Assassins: Avec Raymond Pellegrin et Marcel Mouloudji
1952: Le Manteau: Avec Renato Rascel
1952: Wanda la Pécheresse: Avec Frank Villard, Guiletta Massina et Françoise Rosay
1953: Nous…Les Coupables: Avec Steve Barclay et Tamara Less
1953: Nerone e Messalina: Avec Gino Cervi , Paola Barbara et Silvana Jachino
1953: Les Trois Mousquetaires: Avec George Marchal et Bourvil
1953: Quand tu liras cette Lettre: Avec Juliette Greco et Philippe Lemaire
1954: Pain, Amour et Jalousie: Avec Vittorio de Sica
1954: Torna! Avec Amedeo Nazzari
1955: Il Campanile d’Oro: Avec Roberto Risso
1955: L’Angelo Bianco: Avec Amedeo Nazzari
1955: Par Dessus les Moulins: Avec Vittorio de Sica, Sophia Loren et Marcello Mastroianni
1957: L’Ultime Violence: Avec Dario Michaelis
1958: Barrage contre le Pacifique: Avec Silvana Mangano et Anthony Perkins
1959: Il Mondo Dei Miracoli: Avec Virna Lisi, Jacques Sernas et Marisa Merlini
1961: I Masniaderi: Avec Daniela Rocca
1962: Âme Noire: Avec Nadja Tiller et Vittorio Gassman
1963: Le Jour le Plus Court: Avec Annie Girardot, Ugo Tognazzi, Toto et Gino Cervi
1966: Django: Avec Franco Nero (Yvonne apparaît dans la scène du saloon)
1967: Le Dernier Jour de la Colère: Avec Lee van Cleef et Guillano Gemma
1968: La Bande à César: Avec Raquel Welch, Robert Wagner et Vittorio de Sica
1969: L’Année de la Contestation: Avec Edwige Fenech et Franco Franchi
1970: Le Conformiste: Avec Stefania Sandrelli et Jean-Louis Trintignant
1971: Un Apprezzato Professionista di Sicuro Avvenire: Avec Femi Benussi
1972: Caresses à Domicile: Avec Simonetta Vitelli et Jerry Colman